À peine formé, déjà dissous. En démissionnant moins d'une journée après la nomination de son gouvernement, Sébastien Lecornu entre dans l'histoire comme le Premier ministre le plus éphémère de la Ve République. Au-delà du symbole, cette déflagration politique souligne la fragilité du système institutionnel français dans un paysage parlementaire éclaté. Elle place Emmanuel Macron face à un dilemme majeur : recomposer, dissoudre ou tenter une ultime coalition. Un gouvernement de 14 heures Lecornu, nommé Premier ministre le 9 septembre 2025, avait pour mission d'apaiser un champ politique profondément fragmenté. Le pari présidentiel reposait sur une alliance entre la majorité centriste (Renaissance, MoDem, Horizons) et Les Républicains (LR). Mais à peine la liste des ministres dévoilée, les critiques se sont multipliées, notamment chez les alliés conservateurs, dénonçant une équipe « trop macroniste ». Le lendemain matin, face à la défection de ses partenaires et à l'impossibilité d'obtenir la confiance du Parlement, Lecornu a remis sa démission. Le gouvernement n'aura donc jamais tenu de Conseil des ministres, un fait inédit sous la Ve République. LIRE AUSSI : France : Démission éclair de Sébastien Lecornu, situation institutionnelle inédite La coalition introuvable Cette démission illustre l'impasse institutionnelle née des législatives de 2024 : aucun bloc ne dispose d'une majorité stable, et la logique de coalition, peu ancrée dans la culture politique française, échoue à s'imposer. Les Républicains, tiraillés entre tentation d'alliance et peur de dilution, se sont retirés au dernier moment, provoquant l'effondrement du fragile édifice. Lecornu, pourtant considéré comme l'un des profils les plus transpartisans du macronisme, n'a pas réussi à instaurer un climat de confiance. Son projet de « coalition de responsabilité », inspiré du modèle allemand, s'est heurté à la résistance des partis et à la défiance de l'opinion publique. Les trois scénarios de l'après-Lecornu 1. Une recomposition express Emmanuel Macron pourrait tenter une nouvelle nomination rapide, en cherchant une personnalité capable de rallier le centre et la droite modérée. Plusieurs noms circulent, dont celui de Bruno Le Maire, jugé rassurant par les marchés, ou de Catherine Vautrin, ancienne ministre du Travail, plus consensuelle. Mais un troisième échec consécutif renforcerait le sentiment d'usure du pouvoir. 1. La dissolution de l'Assemblée nationale L'hypothèse d'une dissolution, déjà évoquée à l'Elysée, comporte un risque politique majeur : les sondages donnent le Rassemblement national et la gauche unie en tête. Une telle décision pourrait cependant apparaître comme un moyen de « remettre les compteurs à zéro » et de restaurer une légitimité institutionnelle avant la présentation du budget 2026. Les marchés financiers, attentifs à la trajectoire budgétaire française, redoutent toutefois une période prolongée de paralysie législative. 1. Une coalition d'union nationale Dernière voie possible, celle d'une coalition élargie incluant certaines figures de l'opposition sur un programme minimal : défense, pouvoir d'achat, transition énergétique et équilibre budgétaire. Une telle solution, évoquée dans les cercles de l'Elysée, nécessiterait un compromis inédit dans la Ve République. Mais le contexte de défiance mutuelle et de rivalités partisanes rend ce scénario peu probable à court terme. Des implications économiques immédiates La vacance politique survient à un moment critique pour la France. Le projet de loi de finances pour 2026 devait être présenté dans les jours à venir. La démission du gouvernement Lecornu retarde ces arbitrages et alimente les doutes des marchés sur la capacité du pays à maîtriser ses finances publiques. Déjà, plusieurs agences de notation ont mis en garde contre une possible dégradation de la note souveraine si l'instabilité se prolonge. La France, engagée dans un processus de réduction du déficit à 4,4 % du PIB, risque de manquer ses cibles, tandis que les taux d'emprunt à dix ans se sont tendus de quelques points de base lundi matin. Macron face à la tentation du risque Pour Emmanuel Macron, la crise Lecornu est à la fois un symptôme et un avertissement. Symbole de la difficulté à gouverner sans majorité claire, elle souligne les limites du modèle présidentiel dans un contexte de fragmentation durable. À mi-mandat, le chef de l'Etat doit arbitrer entre trois maux : l'immobilisme, la dissolution risquée ou le pari d'un consensus inédit. L'avenir immédiat dépendra de sa capacité à convaincre une partie du Parlement de s'associer à une feuille de route pragmatique. Faute de quoi, la France pourrait s'acheminer vers une période de gouvernance par décret, à la légitimité fragile et sous le regard inquiet des investisseurs européens.