Face à la propagation inquiétante de la drogue synthétique « L'Poufa », le Royaume est appelé à renforcer sa riposte. Apparue en 2020 et popularisée pendant la pandémie, cette substance aux effets destructeurs gagne du terrain. Une étude du ministère de la Justice recommande de moderniser la législation, d'améliorer les capacités techniques et d'instaurer un système d'alerte précoce. Le Maroc fait face à une nouvelle menace sanitaire et sécuritaire : la diffusion rapide de la drogue synthétique connue sous le nom de « L'Poufa ». Apparue en 2020, cette substance hautement addictive s'est propagée dans les grandes villes durant la pandémie de Covid-19, profitant de la raréfaction des drogues importées et de la précarité accrue des milieux urbains. Une étude récente réalisée par l'Observatoire national de la criminalité, relevant du ministère de la Justice, dresse un constat alarmant. Intitulée « L'Poufa au Maroc : analyse des tendances et réponses stratégiques », elle appelle à une révision en profondeur du Dahir de 1974 sur les stupéfiants afin d'y inclure explicitement les drogues de synthèse, aujourd'hui absentes du texte. Le rapport propose également de durcir les sanctions contre les fabricants et revendeurs, tout en modernisant les laboratoires d'analyse, en formant des chimistes spécialisés et en adaptant les traitements médicaux aux spécificités de ces substances nouvelles. Les chiffres confirment l'ampleur du phénomène : 878 affaires liées à L'Poufa ont été recensées entre 2022 et 2024, entraînant 1 044 arrestations et la saisie de plus de 18 kg de drogue. Les quantités interceptées ont bondi de 493 grammes en 2022 à 9,7 kg en 2024, et le nombre d'interpellations a quintuplé sur la même période. Trois décès directement attribués à cette drogue ont été enregistrés. Lire aussi : Médicaments : Le ministère de la Santé renforce la traçabilité et le contrôle du circuit pharmaceutique Le rapport indique que la consommation de L'Poufa touche essentiellement les zones urbaines, qui concentrent plus de 80 % des affaires et près des trois quarts des arrestations. La tranche de population la plus exposée correspond aux 18-55 ans, composée majoritairement d'hommes (89 %), avec une forte proportion de personnes au chômage ou en situation de fragilité sociale. Ce profil témoigne d'un enracinement du phénomène dans les milieux marginalisés, où la déscolarisation et l'exclusion favorisent la consommation de substances dangereuses. Sur le plan chimique, L'Poufa est un mélange instable composé de résidus de cocaïne, de produits pharmaceutiques et de solvants chimiques. Bon marché et facile à fabriquer, elle provoque des effets puissants et destructeurs : hallucinations, troubles du comportement, agressivité, dépendance rapide et risque élevé de surdose. Sa diffusion est facilitée par les circuits de contrebande et la fabrication artisanale dans certaines zones périurbaines. Vers un dispositif intégré de veille, de traitement et de prévention Pour endiguer ce fléau, le rapport recommande une réponse intégrée et multisectorielle. Il propose la création d'une base de données nationale permettant de centraliser les informations sur les saisies, les profils et les zones à risque. Il suggère également la mise en place d'un système national d'alerte précoce pour identifier rapidement l'apparition de nouvelles drogues et coordonner les interventions. En parallèle, des programmes de prévention ciblés en milieu scolaire et des centres de soins spécialisés devraient être développés à l'échelle régionale, afin d'offrir un accompagnement médical et social adapté aux toxicomanes. L'étude insiste aussi sur la nécessité d'une coopération internationale renforcée, notamment à travers l'échange d'informations judiciaires et l'adoption de protocoles communs avec les pays partenaires. Le partage d'expériences en matière de traitement, de prévention et de surveillance est jugé indispensable pour contenir l'essor des drogues synthétiques, désormais produites et diffusées à l'échelle mondiale. Ces recommandations rejoignent les alertes répétées de l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS), qui a désigné en 2024 les drogues de synthèse comme une menace majeure pour la santé publique mondiale. Le rapport 2025 de l'ONU-Drogues et criminalité confirme cette tendance, signalant une croissance rapide de la production de substances artificielles, souvent vendues en ligne et difficilement traçables. Pour le Maroc, le défi est double : il s'agit à la fois de protéger la jeunesse et de préserver la stabilité sociale. En modernisant son cadre législatif, en renforçant ses capacités scientifiques et en développant des dispositifs de prévention, le Royaume cherche à anticiper un phénomène qui ne peut être contenu par la seule répression. La lutte contre L'Poufa devient ainsi un enjeu national de santé publique, mais aussi un combat pour la sécurité et la cohésion sociale.