FINI LE PILLAGE En fait, le voyage en Espagne de Abderrahmane Youssoufi, à la tête d'une importante délégation ministérielle pour la réunion de la 5ème commission mixte de haut niveau, était plus axé sur la pêche que sur la coopération sectorielle. D'autant plus qu'à la veille des élections municipales et européennes, le Parti Populaire d'Aznar se devait d'arracher "un petit quelque chose" aux Marocains. Et ce petit quelque chose avait une forte odeur de poisson... Une illusion qui s'éloigne de plus en plus, du fait de la détermination des Marocains à ne plus assister, impuissants, à l'épuisement de leurs ressources halieutiques. Envoyé spécial à Madrid Abderrahmane Youssoufi a donc accompli, les 28 et 29 avril 1999, son voyage en terre ibérique de la manière que l'on attendait. Sereine et studieuse. Sereine, parce qu'on ne la fait pas à un vieux renard comme lui. Et qu'il fallait bien plus que la légère pression qu'ont tenté d'exercer les Espagnols pour le destabiliser. Studieuse, parce que, même lié par un programme hyper saturé, il a donné à chaque activité toute l'attention et la minutie qu'il fallait. Les observateurs avaient du mal à se convaincre du caractère multi-sectoriel de la visite qui s'inscrivait dans le cadre de la réunion annuelle de la haute commission mixte. Et ce malgré les réunions -souvent fructueuses- des différentes commissions qui ont concerné aussi bien l'Energie, que la Justice, les Travaux publics, l'Enseignement, l'Industrie et le Commerce, les Transports, les Finances, la formation professionnelle. Discorde La pêche -ou "la pesca" comme on dit là-bas - pesait de tout son poids sur les discussions, même celles qui paraissaient les plus éloignées de ce secteur vital pour les deux pays. Ceci malgré toute la dédramatisation que tout un chacun s'efforçait d'apporter à la question. Dans la bouche des responsables et des journalistes espagnols, le terme "pesca" était plus que récurrent. Allait-on reconduire l'accord ? Et dans quelles conditions ? Que demanderaient les Marocains en échange ? Les yeux, les caméras et les micros étaient donc, tout naturellement, braqués sur Thami El Khyari, le ministre en charge de la Pêche. Mais, Si Thami s'est contenté de faire des réponses-pirouettes, ponctuées par des silences qui en disaient long. Il savourait là -discrètement, il est vrai - une belle revanche sur tous ceux qui l'accusaient de faire de la surenchère lorsqu'il criait, à qui voulait l'entendre, que l'actuel accord serait le dernier du genre. "Celui qui veut investir sur la terre ferme, qu'il soit le bienvenu !", se contentait-il de dire à ceux qui l'assaillaient de questions à propos de la Pêche. Tout un programme. Mais c'est le Premier ministre himself qui est monté au créneau au cours de la conférence de presse conjointe avec José Maria Aznar, pour rappeler aux Espagnols que la partie marocaine est venue, non pas faire des propositions en matière de pêche, mais pour écouter les propositions de Madrid. Et voir dans quelle mesure celles-ci coïncident avec la position du Maroc. Clair. Aussi clair que dans l'esprit de tout le monde, lors de la signature en 1995, de l'accord, qui expire le 30 novembre 1999, ne serait pas renouvelé. Ce n'était, en fait, qu'une demi-surprise, de la part des Espagnols, étant donné la nature de l'accord, les nombreuses déclarations des responsables marocains concernant cette question et au vu de la lettre qu'avait adressée Jacques Santer, l'ancien président de la Commission Européenne, à Sa Majesté le Roi Hassan II dans laquelle il réaffirmait que l'Union Européenne reconnaissait que cet accord serait le dernier du genre. Ecartant la possibilité d'un "nouvel accord de la même nature", M. Youssoufi a marqué la préférence du gouvernement marocain pour des possibilités de coopération "différente" et de nature distincte dans un cadre nouveau entre le Maroc et l'Espagne. Beau sens tactique des Marocains qui placent la question dans le cadre qui est le sien, c'est-à-dire de l'UE, et non pas entre le Maroc et l'Espagne. Membre de l'UE, Madrid pourrait grâce à l'aide européenne, trouver soutien et réconfort aux équipages des 450 bateaux espagnols qui pompent et aspirent les côtes marocaines. Stratégies Le Maroc, quant à lui, ne jouit pas du soutien d'une base arrière. Il ne peut compter que sur ses propres ressources. Bien limitées, il est vrai. Partant de ce constat, la position intransigeante adoptée par les Marocains en Espagne devient bien compréhensible. Confronté à une situation socio-économique des plus précaires, le gouvernement d'alternance, dos au mur, n'avait d'autre choix que de prendre le taureau par les cornes. Ce qu'il a fait. À juste titre, d'ailleurs. D'ailleurs, le deuxième tête-à-tête, et qui n'était pas programmé, entre les deux chefs de gouvernement, s'inscrit dans cette logique de "coinçage" qui se déclenche dès que la pêche est évoquée. Il n'y avait qu'à voir les mines pleines de sérénité et parfois réjouies des membres de la délégation marocaine, et celles contrites de leurs homologues espagnols, pour comprendre que quelque chose avait changé cette fois-ci. Même si cette réunion n'a pas engendré de résultats spectaculaires, force est de reconnaître que le "niet" des Marocains, en ce qui concerne la pêche a quelque peu fait sortir les Espagnols de leurs gonds. Ne se départissant jamais de leur courtoisie ni de leur diplomatie, les Espagnols, à l'image d'un José Maria Aznar soumis à la pression des prochaines élections municipales et européennes, ont quand même tenu à rappeler que le Maroc est le premier pays au monde à bénéficier de crédits espagnols non remboursables, que 800 entreprises espagnoles sont établies au Maroc, que l'opération de transit des MRE se déroule dans les meilleures conditions, etc, etc. Menaces à peine voilées ? Voire. Dos au mur, le Parti populaire d'Aznar se devait d'arracher quelque chose aux Marocains. Et ce petit quelque chose avait une odeur de poisson. Une odeur qui semble s'éloigner de plus en plus, balayée par l'intransigeance marocaine, elle-même mue par des difficultés socio-économiques qui laissent au gouvernement de l'alternance une marge de manuvre de plus en plus étroite. Les diplômés-chômeurs, le sous-équipement, la dette, etc, sont autant de problèmes qui font que le Maroc ne pouvait indéfiniment assister en spectateur au pillage de ses côtes de moins en moins poissonneuses. Le président du gouvernement espagnol montrait des signes évidents de nervosité. Lors de la conférence de presse, il a réaffirmé le désir de son pays de parvenir à une solution bien avant la date-butoir du 30 novembre. Subtilités Et émis l'espoir, tout en reconnaissant que ledit accord était bien le dernier, que soient ouvertes de nouvelles voies dans la coopération qui seraient de ''nature différente'' pour les secteurs de pêche dans les deux pays. Et comme on pouvait s'y attendre, il a été cassant quand fut évoquée la question de la cellule de réflexion permanente concernant ces deux villes marocaines sous occupation espagnole. "Sebta et Mellilia se portent très bien et j'espère qu'il en demeurera ainsi", a lâché Aznar, d'une seule traite. La réponse de Youssoufi a été un modèle du genre. Tout en réitérant la volonté du Maroc de régler cette question par la voie du dialogue et de la négociation, il a souligné qu'il lui est arrivé quelquefois de penser à haute voix, à des solutions telles que celles qui ont prévalu pour Macao et Hong Kong". Retour