Dans cette tribune, la professeure universitaire et experte médias, Nadia Lamhaidi, analyse les enjeux de la communication au temps de la mobilisation des jeunes de la génération Z au Maroc. Elle questionne ce que le traitement consacré à cette dynamique, tant par le gouvernement que par les médias, dit de l'évolution du débat public. Les récents événements que connaît le Maroc ont eu cette vertu de conforter le principe immuable : «le temps des médias» est loin d'être «le temps des politiques». Le décalage est d'autant plus impactant à l'ère des réseaux sociaux, qui opèrent en boucle et qui ne reconnaissent point «les heures de bouclage». Un autre constat qui s'impose : La confrontation récente entre le gouvernement et la «Génération Z» a révélé un fait majeur : la déficience de la communication du gouvernement Akhannouch : du mutisme, quasi-généralisé, à des sorties médiatiques hâtives, hasardeuses, dans leur majorité, qui ont davantage relevé de la «communication de crise» que d'une stratégie de communication mûrement réfléchie et assumée par les différentes composantes du gouvernement. Les différentes sorties médiatiques de l'équipe du chef de gouvernement se sont, jusqu'à l'éclatement du «Hirak» de la Génération Z, cantonnés dans l'idée suivante : «Pour vivre heureux, vivons cachés !»… des médias et des journalistes. Or, le Marocain attendait une sortie médiatique imminente après les premières descentes des jeunes de la génération Z réclamant une meilleure gouvernance du secteur de la santé et de l'éducation. Les ministres des départements concernés, sous la houlette de leurs conseillers en communication, ont fait le choix, à haut risque, de se murer dans le silence en espérant que cette vague s'éclipse. La houle, partie crescendo, a fini par rattraper le lourd silence des bureaux feutrés. L'escalade, et la malheureuse tournure qu'ont pris les événements, ont vite fait de rattraper nos ministres, et leurs conseillers en communication, pour les pousser à des sorties médiatiques marquées dans leur majorité, par une frilosité manifeste. Cette quête accélérée de l'efficience pour éponger la colère de la rue, et les doutes qui se sont emparés de l'opinion publique nationale, se sont avérés peu probants. Ce constat appelle plusieurs remarques autant de fond que de forme. Considérons de prime abord le «Timing» : Le choix des membres du gouvernement d'ajourner leurs sorties médiatiques pour interagir avec l'écho des protestations a lourdement biaisé l'efficience de leur communication de crise. En effet, «après l'heure, ce n'est plus l'heure». Cette maxime a été vérifiée à l'occasion des réactions à la prise de parole tardive des ministres, du chef de gouvernement et de sa majorité. Un biais qui sonne le glas de certaines stratégies de communication, si jamais elles existent, qui sembleraient bouder «le temps des médias» au risque de laisser nos ministres rattrapés par l'emprise imparable des réseaux sociaux sur le façonnement de l'opinion publique en boucle. «le temps des politiques» est plus que jamais en total décalage avec les attentes de l'opinion publique. Le gouvernement Akhannouch a fait montre d'un besoin imminent d'une stratégie de communication clairement définie, assimilée et mise à l'œuvre par l'ensemble des responsables gouvernementaux. Les sorties, non-stop, de nos ministres sur les médias, et principalement les télévisions nationales et arabes, ont révélé le peu de maîtrise de la sphère médiatique et surtout digitale. La fronde a éclaté sur les réseaux sociaux, un espace qui porte la Vox Populi via des plates-formes au fort potentiel de rassemblement, de rabattage et de créations de communautés. Il est intéressant de noter que les jeunes de la génération Z, réunis sur Discord, sont au départ des «gamers» qui ont fait leur mue en transformant leurs performance de gaming en optimisant la fonctionnalité de créer des communautés mobilisables. Instantanéité rendant aisée la mission des lanceurs d'ordre. Cette communauté de jeunes, formulant des revendications frontales, dans un style nouveau, qui rompt avec la langue de bois dominante a su, au départ, séduire et surtout intéresser par son aptitudes à secouer échiquier politico-médiatique marocain. Usant d'une langue qui défie «les lignes rouges» en les transformant en «lignes vertes» où les tabous disparaissent au bénéficie d'une communication fraîche et directe obéissant à un registre de langue qui bannit les formulations sinueuses et soporifiques leur préférant des formulations directes, dans l'ère du temps... des jeunes. Cette dynamique nouvelle est aujourd'hui initiée par des activistes, en apparence, de la génération Z composée essentiellement par des «digital natives» qui se sont créés des agoras virtuelles pour débattre, lancer des réquisitoires, formuler des plaidoyers, argumenter, analyser, rassembler, débattre, rabattre, élaborer des feuilles de route… Leur démanche répond à des paradigmes changeants, initiés certes lors des événements du 20 février, mais qui, quatorze plus tard, ont inventé des modes et des registres nouveaux de communication. Ces jeunes ont troqué Facebook, X (ex-Twitter)… contre des plateformes de communication et de mobilisation «tout en un», principalement Discord, qui permet de créer des communautés, d'adhérer à des «serveurs», d'échanger en temps réel, et en mode illimité, via non seulement du texte, mais aussi en mode vidéo avec, à l'appui, le partage d'écran, un mode largement rodé par cette génération sur la plate-forme Tik Tok. Autant de formats et de modes de communication novateurs qui répondent à des algorithmes particuliers que les membres du gouvernement ont, semble-t-il, encore du mal d'abord à identifier, et à intégrer pour tenter de jeter des passerelles de débat avec les initiateurs et les membres de la génération Z. Un constat qui interpelle largement les équipes et cabinets conseil en communication qui «n'ont pas vu venir», ou qui ont péché par le manque d'anticipation. Télévisions publiques : Le rempart ? Comme lors de la pandémie COVID, la télévision publique s'est naturellement prêtée à l'examen de la «responsabilité sociale» en se positionnant sur la fronde de la rue, en enchaînent dans la foulée des débats en boucle en essayant de diversifier les profils des jeunes représentants de la génération Z d'une part, les jeunesses des partis et les responsables gouvernementaux d'autre part. Face à certains de nos ministres, non encore suffisamment rodés aux outils d'une communication gouvernementale digitale, en phase avec les métamorphoses incessantes que connaît ce secteur, la télévision publique a tendu la perche à nos ministres. Elle a eu cette vertu de rattraper ce déficit de communication gouvernementale en jouant un rôle direct dans l'effort de rectification de l'image et de la notoriété de certains ministres qui se sont retrouvés dans l'œil du cyclone. Il est notoire de relever que pas tous les ministres ont tiré leur épingle du jeu. Bien au contraire. Certains ministres ont vu leur image entachée suite à des échanges musclés et peu amènes avec des journalistes en totale maîtrise de leur rôle. La TV a eu toutefois ce mérite de révéler des profils méconnus de certains ministres, qui, malgré une apathie due à la nouveauté de l'exercice. Certains ministres qui étaient, de manière inexplicable, restés en retrait des médias et des réseaux sociaux, même pour communiquer sur des réalisations réelles qui pouvaient juguler les réquisitoires virulents, ont eu cette attitude risquée de bouder les médias ce qui a lourdement attenté à leur image. Il est en effet remarquable de noter le rôle essentiel joué par la télévision publique. On a pu constater que certains ministres ont su saisir la perche qui leur a été tendu par la télévision publique pour jouer des sessions de rattrapage par rapport à leur déficit de communication et qui ont, plus au moins tiré leur épingle du jeu, face à des journalistes entreprenants, et en totale maîtrise de la règle du jeu imposé par la conjoncture exceptionnelle des Talk Show programmés. D'autres ministres ont en revanche échoué dans cet exercice de la communication de crise, car trop confortés dans leur vision d'une démarche de communication caduque, d'un autre âge, basée sur un discours moralisateur et une posture «donneur de leçon», qui considère encore la télévision publique comme un médium au service de leur département. Ce décalage a largement impacté leur image personnelle, celle du gouvernent et de leur parti politique. Si certains ministres du gouvernement actuel ont peiné à se prêter au jeu des plateaux TV et aux joutes avec des journalistes rodés à l'art de l'interview, des ténors des plateaux de télévision, des seniors, continuent d'épater par leurs aptitudes à maîtriser la règle du jeu médiatique et de raviver la nostalgie aux grandes messes cathodiques qui ne sont plus qu'un lointain souvenir d'une classe politique qui avait su adapter l'art du «tribun» en art du «communicateur politique» à succès. Les chaînes publiques de télévision ont attiré l'attention par leur propension à proposer un discours revendicatif qui puise dans le registre des opposants les plus récalcitrants. Si la télévision publique a, comme lors de la pandémie de COVID, pleinement assumé son rôle de médiateur et permis d'apporter des correctifs en assumant le rôle de «Pompier» pour apaiser les esprits et permettre un échange temporisé, de permettre à la parole de se libérer des couacs de communication cumulés au fil des gouvernements et des partis politiques, tous azimut, le déficit de la communication gouvernementale sur la sphère digitale, est loin d'être comblé. Les médias publics ont péché, des décennies durant, par une forme d'abdication face à l'hégémonie des réseaux sociaux dans le façonnement de l'opinion publique. Les paradigmes changent et évoluent au rythme des événements et des péripéties politiques et sociétales sans que ces médias accélèrent leur mue car trop fébriles face à l'idée d'adapter leur offre éditoriale via de nouveaux formats, algorithmes, registres de langue... à même de séduire une génération nouvelle qui ne se reconnaît plus dans le discours qu'ils jugent d'apathique et de décalé par rapport à leurs attentes. Génération Z…éro communication avec le gouvernement ? La scène politique marocaine traverse un nouvel épisode qui fera date ; celui du décalage entre une génération qui adopte une nouvelle grammaire politique, et des membres du gouvernement cantonnées dans un style traditionnel et conservateur en déphasage avec les métamorphoses actuelles. Un acteur nouveau s'invite sur la scène politique avec cette particularité : «les sans visage», mais qui jouissent d'une immense visibilité sur les réseaux sociaux. Une jeunesse hyper connectée, au contenu viral, que le gouvernement, déconnecté, de cette nouvelle réalité sociologique, peine à identifier pour en décoder les paramètres et s'initier à ses algorithmes… Un point d'achoppement soulevé par Mohamed Mehdi Bensaid, ministre de la Jeunesse, de la culture et de la communication, qui a ouvertement appelé à dialoguer avec des représentants de la génération Z qui soient clairement identifiés et disposés à s'engager dans une démarche d'expression structurée de leurs revendications à même d'atterrir dans les bureaux des décideurs pour entamer une réflexion sur les solutions au lieu de naviguer à vue sur les plates-formes virtuelles en manque de structuration politiques. Force est de constater que très peu de jeunes représentants la génération Z ont été présents sur les plateaux de télévision. Une stratégie assumée par conviction, ou furtif choix éditorial ? Une attitude à même de jeter l'opprobre sur leur actions peu regardante sur les règles du jeu démocratiques et des enjeux majeurs de la nation. Cette stratégie explicite de la communauté devrait interpeller le gouvernement à accélérer son repositionnement sur les réseaux sociaux, investir dans les ressources pour explorer les codes de cette nouvelle donne sociologique et médiatique.