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Investigation/Immigration
La malédiction de la pirogue pour la société dakaroise
Publié dans Albayane le 15 - 05 - 2013

La malédiction de la pirogue pour la société dakaroise
Derrière les discours officiels sur la coopération dans la lutte contre les flux migratoires irréguliers entre l'Afrique et l'Espagne, la frontière méridionale de l'Europe, existe une autre réalité sociale dont les protagonistes sont les familles, particulièrement, les femmes dont l'époux ou le fils a péri dans un naufrage d'embarcation de fortune. En dépit de son aspect dramatique, le phénomène de l'immigration, dans son volet clandestin, constitue un des thèmes les plus médiatisés. A chaque fois qu'une embarcation de fortune, une « patéra » ou un « cayuco » (pirogue), sombre au fond de la mer, les médias espagnols y trouvent aussitôt une aubaine pour illustrer leurs télés journaux de séquences prises de cadavres flottants d'immigrés subsahariens ou de ceux repêchés in extremis par un patrouilleur.
De tous les angles, les caméras des télévisions captent les images de rescapés enrôlés dans des couvertures frappées de l'emblème de la Croix Rouge, des femmes enceintes sur le point de s'écrouler ou des bébés affamés accrochés à la poitrine de leurs mères. La presse écrite reprend, par la suite, le sinistre événement à la Une sous des titres gras et accompagnés de clichés de sans-papiers déconcertés. A chaque naufrage de pirogue ou de patéra avec à bord des sans-papiers, l'immigration irrégulière est présentée au grand public dans un style redondant comme s'il s'agissait d'un événement banal, casuel et fatal. C'est l'impression que tout observateur averti retient du traitement qui se fait de l'immigration irrégulière dans les médias espagnols depuis le début des grandes vagues dans les années 2000 de pirogues provenant de l'Afrique de l'Ouest. Les victimes des réseaux de trafic d'êtres humains et les naufrages maritimes sont ainsi vues comme une simple conséquence d'un phénomène rébarbatif et disgracieux. En repassant les statistiques officielles, il paraît clair que le phénomène de l'immigration vers l'Espagne s'est converti en une épreuve douloureuse au 21 ème siècle pour les ravages qu'il cause au sein des sociétés du Maghreb et de l'Afrique Occidentale. Au Sénégal, ce sont surtout les familles des disparus dans la traversée de l'Atlantique vers l'archipel des Canaries qui deviennent par la suite les protagonistes d'une histoire douloureuse. « Généralement, les femmes ne partaient pas parce que ce sont leurs enfants jeunes ou leurs maris qui prennent la pirogue à destination des Canaries », a indiqué à Albayane Khad Diop, vice-présidente de l'Association des Clandestins Rapatriés et Femmes affectées de Thiaroye (ACRAFT), un collectif créé en 2006 à la suite du développement du phénomène de l'immigration clandestine.Les récits des épouses des disparus et décédés abondent mais confirment une même version avec pour toile de fond la douleur pour la séparation d'un proche pour toujours, la désarticulation de la cellule familiale et la peur d'un avenir incertain pour la progéniture. Pour Aissatou Ndiague, son fils (célibataire, 34 ans) s'était noyé en 2006 au large des Canaries en compagnie de son gendre (A.K), qui avait laissé derrière lui deux femmes, sa fille et une deuxième épouse. « Pour couper court aux rumeurs dans le quartier, ma fille s'est remariée en 2011 avec un cousin et j'ai décidé de prendre en charge ses deux enfants », a confié Ndiague.Le récit de Baba Niang, autre membre de l'ACRAFT, décrit des situations insoutenables héritées de la perte de deux neveux au naufrage d'une pirogue en 2006. « Le premier avait deux épouses et 7 enfants et le second une épouse et un enfant », a-t-elle lamenté notant que les trois épouses, encore jeunes, se sont mises à travailleur pour conserver leurs enfants près d'elles au lieu de se remarier.L'espoir investi en le courage de l'époux ou du fils de brader les dangers de toute sorte pour atteindre l'Eldorado espagnol, se transforme en un eternel deuil à partir du moment où les mauvaises nouvelles commencent à circuler et que la pirogue qui le transportait n'était pas arrivée à bon port. « Au début, les jeunes sénégalais prenaient l'avion vers le Maroc (sans besoin de visa) pour pouvoir joindre sur la cote nord les points de départ clandestin à bord de patéras vers l'Espagne. Ils mettaient leur destin entre les mains d'un mafieux guide/passeur », ajoute Diop. Ils savaient que s'ils étaient « attrapés par la police marocaine ou algérienne, ils seraient refoulés vers d'autres pays africains qui ne serait pas le sien, tel le Mali ». C'est la raison pour laquelle, « ils optèrent pour la route maritime conduisant vers les Canaries, un trajet long et très risqué avec peu de chances d'arriver sain et sauf dans les plages canariennes», explique-t-elle. Pour l'épouse endeuillée commence une nouvelle vie, mais cette fois sans le soutien du mari. C'est la raison pour laquelle les 386 adhérées de l'ACRAFT ont décidé d'unir « les efforts et forces pour tenter de vaincre la tristesse de perdre un proche en se réfugiant dans des activités productives ». Elles ont créé par leurs propres moyens des unités de transformation de céréales et poisson, fabrication de poupées artisanales, une savonnerie et une teinture en compagnie des jeunes rapatriés (qui ont échoué dans leur processus migratoire). Elles ont également mis sur pied leur propre marché de commercialisation de produits halieutiques. « Certaines femmes ont tenté leur chance mais avaient échoué », déplore Diop.Outre les problèmes d'ordre économique, il est judicieux de s'interroger si les disparus ou absents au Sénégal à cause de l'immigration clandestine maintiennent-ils leurs épouses dans des situations conjugales impossibles conduisant souvent à des situations kafkaïennes. Bien que cette hypothèse paraisse plausible dans la mesure où la cellule familiale perde un de ses deux piliers fondamentaux, il est néanmoins indispensable de faire parler de nombreuses sources en vue de se rendre compte des incidences aux plans légal, social et moral qu'engendre le nouveau statut de la veuve du disparu dans un naufrage de pirogue. Pour Birame Gueye, sa bru était enceinte le jour où son fils avait péri au large des canaries en 2006. « Comme conséquence, elle vit désormais chez ses parents en compagnie de son enfant de six ans ». Le témoignage de Halimata Niang, également de l'ACRAFT, apporte un autre éclairage : « quatre de mes frères, deux mariés et deux célibataires, s'étaient noyés suite au naufrage de leur pirogue en 2006 alors que le cinquième avait réussi à entrer en Espagne. Les épouses de mes frères, qui ne savent que faire, ne se sont pas remariées. Elles vivent avec leurs parents en compagnie de leurs enfants ». Cependant la disparition du mari crée d'inextricables problèmes, assure Halimata qui cite les cas de « filles qui attendent toujours le retour de leurs fiancés ou maris; d'autres qui ne sont pas convaincues de leur disparition et il y a même certaines qui sont tombées enceintes en leur absence ». Certaines filles ont dû carrément couper avec le passé au terme d'un deuil qui avait trop duré. Fatouma Ndoye Niang cite l'exemple de la fiancée de son fils, disparu dans l'Atlantique en 2006. « Elle avait dû faire face au choc de la perte de son futur époux durant une longue période avant de décider de se marier en 2010 », confie-t-elle. L'absence de rapport avec l'ex-fiancée de son fils l'atterre mais l'admet : « je n'ai pas le choix parce qu'elle a fondé un foyer et a désormais un enfant ».A ce niveau, interviennent la religion, le législateur et la société pour éclairer tout chercheur qui se penche sur l'étude de la condition des femmes victimes de l'immigration clandestine au Sénégal. Une enquête de terrain, réalisée par Albayane à Dakar du 3 au 7 septembre 2012 avec l'appui de l'Institut Panos Paris et l'Institut Panos Afrique de l'Ouest et le soutien de l'Union Européenne, a permis d'approcher les sources fiables pour lever le voile sur cette problématique. L'objectif général est d'informer sur l'immigration noire africaine qui est moins connue et moins étudiée au Maroc et en Europe que l'immigration maghrébine. Ce travail d'investigation a aussi un objectif spécifique qui vise à sensibiliser l'opinion publique au nouveau statut des femmes victimes du phénomène des pirogues au Sénégal et en Afrique Occidentale. Dans ce contexte, le recours à l'Association des Clandestins Rapatriés et Familles Affectées de l'Immigration Clandestine de Thiaroye (ACRAFT), installée dans la banlieue de Dakar, était indispensable. De la même manière, la contribution de juristes, prédicateurs, militants des droits humains et sociologues a été judicieuse pour être au fait des implications d'ordre légal et social qu'entraîne la situation de la veuve d'un disparu dont l'embarcation a coulé. L'Atlantique, un piège mortel pour les sans papiers Au Sénégal, le grand calvaire des femmes victimes du phénomène de l'immigration clandestine se situe principalement en 2006, année qui a enregistré les grandes vagues de pirogues arraisonnées au large des Canaries mais aussi les hauts bilans de disparus pour noyade dans la mer. Dans une étude publiée en mars 2008 dans la revue ASYLON(S) sous le titre "L'émigration clandestine sénégalaise", deux sociologues Cheik Oumar Ba et Alfred Iniss Ndiaye, expliquent comment dans la plupart des entretiens, les migrants clandestins affirmaient qu'ils avaient toujours voulu partir en Espagne. « Mais, le pas décisif a été franchi grâce à l'offre de voyage qui leur a été faite par des rabatteurs dans leur propre quartier », soutiennent-ils. « Avec la multiplication des réseaux de passeurs, les jeunes candidats ont eu plus d'opportunité pour faire le voyage moyennant une somme comprise entre 300.000 FCFA et 1.000.000 FCFA, mais la moyenne reste 400.000 FCFA» ( 1 Dirham : 60 FCFA environ). C'est ce qui a amené Makaila Nguebla, un blogueur installé à Dakar et militant de défense des droits de l'homme au Tchad et de la condition de l'immigré clandestin en Afrique de l'Ouest, à lancer un cri d'alarme devant le fait que la « la société civile soit complètement débordée » et que les Etats africains « soient très peu préparés pour accompagner la société civile dans les activités tendant à limiter l'immigration suicidaire à laquelle se livrent les jeunes en général pour abandonner le continent africain et aller vers un hypothétique Eldorado ». Cette constatation est corroboré par le récit de Mme Khad Diop du collectif ACRAFT), qui a confié à Albayane que leurs enfants rapatriés « leur racontent qu'ils ont vécu des situations de misère et ont été dupés et dépouillés par les passeurs et intermédiaires mafieux ».Aujourd'hui, comme dans la plupart des pays d'Afrique Occidentale et du Maghreb, le rêve d'émigrer en Espagne, a cessé de fasciner les jeunes devant le durcissement des contrôles maritimes, le renforcement de la coopération
entre Etats en matière de lutte contre les flux migratoires irréguliers et la persistance de la crise économique. Il suffit de repasser les statistiques du ministère espagnol de l'intérieur, depuis 2001, pour constater que 2006 avait marqué le bilan le plus élevé avec un total de 31.678 arrestations de sans-papiers uniquement dans les Iles Canaries, contre 12.478 en 2007 et 9.181 en 2008. Depuis 2006, sept pays européens participent, en outre, avec des moyens techniques et experts aux côtés des forces espagnoles dans la lutte contre l'immigration irrégulière. Depuis son déploiement en 2006, l'Agence de Surveillance des Frontières Maritimes Européennes (FRONTEX) a, de son côté, doublé son assistance économique à l'Afrique qui est passée de 12 millions d'euros à 24 millions d'euros. L'Espagne est le grand destinataire des Fonds de l'Union Européenne en matière d'immigration (Fonds des frontières et Retour : entré en vigueur en juin 2007) en recevant 90 millions d'euros à titre de 2009 et 2010. Un plan de Vigilance Extérieure est devenu complètement opérationnel à compter de 2008 aux Iles Canaries. D'autant plus, le Sénégal fait partie du Réseau de Communications Sud Via Satellite (SEAHORSE) groupant le Maroc, l'Espagne, la Mauritanie, Cap Vert, la Gambie et la Guinée Bissau. Pour la mise en marche de cet arsenal de mesures de vigilance, seuls 340 sans papiers de différentes nationalités ont été interceptés en 2011 au large des Iles Canaries, indique le ministère espagnol de l'Intérieur dans un bilan annuel relatif à la lutte contre l'immigration clandestine. Durant cette période, la proportion de subsahariens a été pratiquement nulle (16 personnes). Le changement de routes migratoires confirme la tendance à la baisse qui est observée depuis 2008, année durant laquelle furent arraisonnées 114 pirogues avec à bord 8.000 sans-papiers. Cependant, en 2009 ont été repêchés 32 corps de subsahariens au large des cotes canariennes dans les naufrages de pirogue alors qu'en 2010 et 2011 aucun disparu ni décès de subsaharien n'a été recensé, a précisé à Albayane une source espagnole proche de la Direction générale de la Garde Civile. Jusqu'à septembre 2012, deux corps de subsahariens ont été repêchés, ajoute la même source expliquant que le décompte des disparus subsahariens dans la mer a toujours été une tâche délicate pour les autorités espagnoles. Ceci revient au fait que seules sont prises en compte dans les statistiques officielles les disparitions dénoncées et notifiées auprès de la police espagnole pour enclencher des enquêtes et opérations de recherche. Selon le bilan reproduit par l'Association des Droits Humains d'Andalousie (APDHA) à titre de 2011, la tendance des disparues et décès de sans-papiers en Espagne est à la baisse depuis 2008, année où 581 clandestins furent déclarés morts ou disparus. Ce chiffre devait diminuer de 65% en 2009 et de 77,5% en 2010. En 2011, ont été dénombrés 198 disparus et décès, soit une réduction de 66% par rapport à 2008.
Généralement, les Organisations Non Gouvernementales (ONG) publient périodiquement des bilans de disparitions et décès d'immigrés se basant sur des estimations, recoupements de données et déclarations d'équipes de sauvetage maritime ou de rescapés des naufrages d'embarcations. Un porte-parole du ministère espagnol de l'intérieur a confié à Albayane qu'il était impossible de disposer de statistiques fiables par les canaux officiels concernant ces disparitions pour la difficulté de connaître l'identité et le nombre des passagers clandestins au départ d'une pirogue ou d'une patéra. Généralement, les familles des victimes sont les premières à être informées du naufrage d'une embarcation soit par le biais de ses survivants soit par les passagers d'une pirogue qui avait effectué le même trajet en même temps. C'est la raison pour laquelle les femmes, interviewées par l'envoyé spécial d'Albayane au siège de l'association ACRAFT, au quartier Thiaroye-sur-mer à Dakar, assurent avoir été au courant de la disparition du mari, du fils ou du frère dans le naufrage de leur pirogue par le biais de compatriotes ayant réussi à atteindre la cote canarienne. « Mon fils, Abderrahmane, était parti sans m'aviser et sa disparition a été annoncée par les occupants d'une autre pirogue», affirme Fatouma Ndoye Niang de l'ACRAFT. Dans la même année, ce sont 1.167 personnes qui avaient péri dans la mer entre les cotes africaines et l'Espagne et 921 autres en 2007, signale l'APDH dans son rapport intitulé « Droits humains à la frontière Sud 2007 ». La sous-directrice générale des relations internationales du ministère espagnol de l'Intérieur a fait état, lors de journées organisées en décembre 2007, que son ministère estimait qu'entre 900 et 1.000 immigrés qui voyageaient à bord de pirogues se seraient noyés entre la côte africaine et les îles canariennes. Elle se basait, dans cette estimation, sur les informations concernant les immigrés qui avaient embarqué vers les Canaries à bord de pirogue et que, des mois plus tard, n'avaient pas donné signe de vie à leurs familles. Prenant comme donnée approximative le chiffre de 921 décès et disparitions en 2007, cité par l'APDH, ce sont 800 personnes qui avaient péri dans l'Atlantique, 120 dans le Détroit de Gibraltar et un durant le trajet de rapatriement. Il s'agit de 287 maghrébins, 629 subsahariens et cinq de différentes nationalités. Sur la route Afrique-Canaries, 148 subsahariens ont péri la même année au large des Canaries mais également 83 autres dans les eaux sénégalaises. En 2006, année qui est retenue comme référence pour élaborer notre travail d'investigation, l'APDH signale dans son étude « Droits Humains à la frontière Sud 2006 » un total de 1.049 subsahariens qui ont été déclarés disparus ou décédés sur la route Afrique-Canaries, dont 90 au large des Canaries, 515 dans les eaux mauritaniennes et 191 autres au large des cotes du Sénégal. Il s'agit d'un bilan qui est considéré comme une hécatombe dans les annales de l'immigration irrégulière au Sénégal. Précisément, dans la circonstance de disparition d'un parent, la justice sénégalaise intervient pour mettre un terme au calvaire des épouses en deuil. Au Sénégal, l'épouse du disparu au naufrage d'une pirogue assume sa nouvelle situation de veuve comme une fatalité. Devant le désespoir de revoir son époux, elle préfère prendre son destin dans ses propres mains. C'est à partir de cette option, qu'elle est en mesure d'adopter un nouveau statut. Elle est pourtant appuyée par un arsenal juridique qui lui garantit le droit de se remarier, la garde de ses enfants et l'héritage des biens inscrits au nom de son défunt époux. Toutefois, la loi est très méticuleuse quant à la situation du mari défunt pour déterminer s'il s'agit de cas de « disparu » ou d' « absent ».Le disparu est tout d'abord défini comme celui dont l'absence s'est produite dans des conditions qui mettent sa vie en danger sans que son corps ait été retrouvé, comme lors d'un incendie ou de naufrage d'embarcation, par exemple, a indiqué à Albayane Amsattou Sow Sidibé, ministre-conseiller du président de la république Sénégalaise, Macky Sall. « Même si nous savons que cette personne est disparue, nous ne pouvons dire qu'elle est décédée », a expliqué le ministre-conseiller qui est également professeur agrégée titulaire de la chaire de Droit privé à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. « Si au bout des procédures et enquêtes enclenchées, le corps n'a pas été retrouvé, le juge peut prononcer son décès », précise-t-elle avant d'expliquer que toute personne intéressée peut présenter une requête au procureur de la république qui, à son tour l'adresse au tribunal de Dakar s'il s'agit de disparition à l'extérieur ou au tribunal départemental dont relève le lieu où s'est produite la disparition. « C'est le jugement déclaratif du décès qui doit fixer la date de la mort en déterminant les circonstances dans lesquelles avait disparu la victime », a précisé le ministre-conseiller notant que « dans ce cas, la succession de la personne est ouverte ». Par contre, lorsqu'il s'agit d' « absence », la déclaration du décès ne peut être faite que dans un délai de 10 ans, a expliqué Amsattou Sow Sidibé qui s'était présentée au premier tour des élections présidentielles de février dernier au Sénégal. Les femmes sénégalaises dont les époux ont péri aux naufrages de pirogue recourent à la procédure relative à la disparition qui est la plus courte et la plus souple que celle statuant sur l'absence du conjoint. L'article 100 du Code de la Famille stipule que le mariage ne peut prendre fin que par le décès de l'un des époux ou par le divorce. La disparition exprime une incertitude quant à l'absence de cadavre. Par contre, l'absence traduit une situation dans laquelle le conjoint présent n'a pas de nouvelles fournies par l'autre. Dans ce cas, l'alinéa 2 de l'article 22 du Code de la Famille signale que seul « le jugement déclaratif d'absence permet au conjoint de demander le divorce pour cause d'absence ». Au plan religieux, la charî'a s'est penchée, dès l'avènement de l'islam sur la condition de la femme dont l'époux a disparu. De ce fait, Albayane a consulté le célèbre prédicateur sénégalais à la station radio RFM, Oustaz Morthiam, qui a assuré que selon la sunna, la femme peut se remarier six mois après la disparition sans nouvelle de son époux. Toutefois, il a assuré que la charî'a dispose que tous les moyens soient déployés pour retrouver la trace du mari disparu dans la mesure où il existe au préalable un consentement mutuel pour qu'il y ait un contact permanent à travers la communication. Sans se démarquer du Code de la Famille, Oustaz explique qu'en cas de disparition, il faut épuiser tous les moyens possibles de recherche en coordination avec les ONG, les autorités consulaires et la société dans son ensemble. Passés quatre ans et faute de résultat concluant, la femme peut ainsi se remarier. En tout cas, précise le prédicateur, le dernier mot revient au juge du tribunal qui prend la décision d'interrompre la relation matrimoniale suite à la demande du père de la femme. En cas de réapparition du mari après la proclamation par le tribunal du jugement déclaratif du décès, la femme aura alors le libre choix de refaire sa vie ou continuer avec la vie matrimoniale antérieure, observe le prédicateur Oustaz, qui est également animateur d'émissions religieuses. La loi cherche d'autre part la meilleure solution qui serait favorable aux enfants. En cas de disparition du mari, l'annulation du mariage doit toujours être résolue entre familles avant de demander l'avis du juge. A ce niveau, la société fait le possible pour éviter l'interruption du mariage et écarter l'option du divorce, explique Moctar Ba, un expert en sociologie juridique. Elle est prise en considération une durée de viduité en conformité avec la charî'a. Si la femme est en grossesse, le délai est plus long et sera clos après l'accouchement. Si elle n'est pas enceinte, la loi (et la chari`â) fixent un délai de prudence de quatre mois et dix jours. Sur la base de l'ordonnance délivrée du juge, la femme décide de la manière de refaire sa vie. Le problème peut se poser au niveau de la restitution de l'héritage, note Moctar Ba. Ceci revient au fait que le comportement à l'égard du disparu varie d'une femme à l'autre, soutient le sociologue qui fait allusion à « des personnes qui résistent et ont la capacité d'étouffer la douleur ». En tout cas, observe-t-il, « tout dépend de la manière dont le disparu traitait son épouse ». Généralement, la réaction de la société est imprévisible à l'égard de ce type de veuve du fait qu'elle « peut être acceptée comme elle risque d'être rejetée par son entourage ». Son avenir est tributaire de son statut social et professionnel au même titre que le futur et l'éducation de ses enfants. Le sociologue explique l'option favorable au remariage à trois niveaux : culturel (remariage entre parents), religieux (acceptation du destin en tant que musulmane) et promotionnel (souci de la recherche du bien être et du bonheur des enfants). Après les drames sociaux causés par la disparition de maris en quête du bien-être à l'autre rive de la Méditerranée, la fièvre d'Eldorado espagnol a diminué car, affirme Aissatou Ndiague de l'ACRAFT, « il n'y a plus de pirogues qui partent de Dakar ni plus de jeunes qui veulent partir et prendre le risque d'émigrer dans des conditions irrégulières ». Désormais, la société sénégalaise accepte avec résignation le nouveau statut des veuves de la mer. La plupart d'entre elles se remarient, d'autres préfèrent retourner chez les parents et panser en solitude la douleur de la séparation alors que leurs enfants sont le plus souvent pris en charge par les grands-parents ou admis à l'orphelinat. Dans un Etat musulman, l'esprit de solidarité intervient pour apaiser l'affliction, préserver la dignité de la personne et assister le plus vulnérable. Dans cette circonstance, la condition de la femme victime
de l'immigration clandestine est assumée par l'ensemble de la société, y compris le législateur, en vue de lui redonner espoir en la vie.


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