Quand vous êtes au cœur du quartier Gourou de Meknès, et que vous êtes pris par ce désir de déguster les saveurs de la cuisine meknassie, suivez la rue de Landres, et prenez le temps d'observer sur votre gauche le petit coin culinaire de notre ami, Aziz Chikh. Là, se dévoile cette richesse culinaire marocaine, dont l'originalité tient à la multitude d'influences qu'il a subies, notamment l'influence arabe, l'influence berbère pour le couscous en particulier, l'influence morisque pour les ragoûts et les tagines. Et aussi l'influence des cuisines turque, africaine, juive et autres... Aziz, ambassadeur érudit de la gastronomie meknassie, a intégré plusieurs de ces influences en y ajoutant sa touche qui en fait une cuisine conviviale et sensuelle. «La préservation de ce patrimoine marocain est un point fort. Il permet de découvrir à travers les spécialités spécifiques à chaque région, les traditions et coutumes marocaines qui représentent une véritable mosaïque culturelle», m'a-t-il confié dans ce coin, à l'abri des regards, non loin de la boulangerie d'Agadir. Natif de Fès d'une famille très modeste, Aziz est né combattant tenace, confronté dès son plus jeune âge à des obligations et des responsabilités dévolues aux seuls adultes. «Les fils des pauvres naissent adultes», m'avait-il insinué d'un large sourire. De l'apprentissage scolaire où il s'est montré assidu et attentif en cours, il s'est livré de lui-même et sans y être contraint ou incité, à l'apprentissage culinaire, à travers les plats traditionnels somptueux livrés par sa mère. Des plats riches du bagage ancestral de ces femmes traditionnelles, dont le savoir-faire se transmettait de génération en génération simplement par le geste. Parti en France pour des études scientifiques, il y passe cinq semaines. Le temps d'observer, de comprendre la culture européenne et de décider que sa vie est ailleurs. Cet ailleurs, c'est son pays d'origine, le Maroc. La rage d'accéder à une existence meilleure, lui fait dépasser les obstacles, il intègre l'Office national des chemins de fer (ONCF). Son histoire ne fait que commencer, durant ces années à l'Office marocain, un projet qui lui tient à cœur depuis longtemps a mûri : traiteur de fête assurant la préparation des repas ou buffets pour des événements festifs. Et c'est à l'âge de 28 ans que Aziz Chikh entama son activité de traiteur de fête, en parallèle à sa fonction au sein de l'ONCF. Le succès, immédiat est très largement mérité, lui permet d'acquérir une belle renommée à l'échelon local, pour ces choix alléchants de couscous, pastillas, tajines et plats incluant mechoui, briwat, cornes de gazelle et autres. A cela près que sa cuisine dépasse les recettes de base, Aziz livre des plats succulents et hautement appétissants, qui font passer sa cuisine au rang de gastronomie. Pour notre ami Aziz, «la cuisine en dehors de sa valeur hautement symbolique, représente une culture et un pont vers celle des autres, un lien qui traverse l'histoire et qu'on peut suivre pour peu qu'on s'en donne la peine. Un plat raconte l'histoire de son pays mais aussi celle des influences extérieures accumulées au cours des siècles», a-t-il dit, l'air confiant, avant de préciser que la cuisine, comme la musique, la peinture, le théâtre, la poésie et autres formes d'expression, est un langage universel vieux comme le monde. Quand on l'interroge sur le risque de normaliser par la force des choses certains plats traditionnels, Aziz trouve le mot juste. Il estime qu'un savoir ancestral ne doit pas subir de normalisation. La cuisine marocaine du terroir doit garder son cachet comme telle, et ne peut être normalisée. «Notre cuisine, dit-il, est variée et diffère de région en région par la façon dont elle est apprêtée. Un couscous fassi est quelque peu différent du merrakchi ou du soussi, chacun de ces couscous répond aux traditions de sa région. Les normaliser, c'est à mon sens leur enlever leur cachet et leur authenticité, voire même leur identité». Et Aziz de se glorifier de l'emplacement du Maroc au carrefour des deux continents et aussi d'abriter par le passé plusieurs civilisations (grecque, phénicienne, andalouse, arabe, musulmane, berbère, juive...), «c'est ce qui lui donne ce cachet d'une gastronomie de haute valeur», explique-t-il. Le préserver nécessite, selon lui, l'organisation de plusieurs festivals de cuisine, au Maroc et à l'étranger, à travers les expositions de produits du terroir et aussi par la mise en place d'un musée des arts culinaires et des ustensiles traditionnels. La préservation de cet héritage passe également, poursuit-il, par l'organisation des concours de cuisine locale dans différentes régions et par la mise en place de musées et de conservatoires de gastronomie. «La formation est dans tout cela, le meilleur moyen pour assurer la continuité de notre héritage culinaire», conclut notre ami Aziz d'un air empreint de fierté.