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Kafka, la vie et la littérature
Littérature
Publié dans Albayane le 22 - 07 - 2013


Littérature
Mallarmé à bien dit : «Le monde est fait pour aboutir à un beau livre». Cette assertion, Kafka semble en faire son credo littéraire. Très top, il a bien réalisé le rapport à la fois dialectique et conflictuel entre la vie et la littérature.
Chez Kafka, l'acte d'écrire et le parcours existentiel ne sont pas deux destins parallèles, mais
concourent plutôt ensemble, dans un rapport spéculaire, à offrir au lecteur l'image d'un écrivain pour qui les deux sphères s'enrichissent mutuellement. Cette relation entre les deux lignes, celle de la vie et celle de la création artistique, Kafka en est pleinement conscient depuis sa prime jeunesse, l'exprime à toute occasion et l'explique en outre dans son grand Journal qu'il tient presque quotidiennement jusqu'à sa mort.
A plusieurs reprises, dans ce Journal, Kafka n'a pas de cesse de parler de cette lutte qu'il mène farouchement contre tout ce qui dans la vie pourrait le détourner de sa seule préoccupation, de son activité préférée, de son singulier penchant : la littérature. Depuis sa prime jeunesse, se considérant sans réserve comme entièrement écrivain, Kafka n'hésite point à se sacrifier à la littérature. Solitude, isolement, ascétisme, retrait, tels sont en quelque sorte le prix à payer pour une passion exclusive. Cette passion, cet amour illimité le conduiront, de surcroît, à rompre définitivement ses fiançailles. Car il croit que la vie conjugale l'empêchera d'accorder à cette littérature le peu de temps qui lui reste. Un tel acte décisif est le cri de révolte d'un artiste qui veut rester authentique, d'un écrivain qui fait de la littérature une nécessité, l'essence même de son existence, sa raison d'être, sa possibilité de vivre. Dans son journal, Kafka parle avec admiration de ces écrivains qui ont l'audace de renoncer à tout - travail, plaisir, responsabilité, famille, mariage, enfants – pour s'adonner exclusivement à la littérature. Il parle de Flaubert, Kierkegaard et Grillparzer comme modèles à suivre. Cependant, Kafka, à son corps défendant, affirme douloureusement qu'il ne peut pas les imiter. D'où le sentiment d'amertume continue qu'il éprouve souvent. Tout le temps, Kafka vit un déchirement permanent entre deux mondes antinomiques : son rêve et la vie, son ego et la société, son aspiration et la réalité. On en trouve, en fait, l'écho dans ce long fragment : «Je note pour moi une remarque autobiographique de Shaw qui me console, bien qu'elle contienne en fait tout le contraire d'une consolation : jeune garçon, il était apprenti dans un bureau d'Agence immobilière à Dublin. Il abandonna bientôt ce poste, partit pour Londres et devint écrivain. Pendant les neuf premières années, de 1876 à 1885, il gagna en tout cent quarante couronnes. ‘‘Mais bien que je fusse un jeune homme vigoureux et que la situation de ma famille fût mauvaise, je ne me jetai pas dans la lutte pour la vie, j'y lançai ma mère et me laissai entretenir par elle. Je n'offris aucun soutien à mon vieux père, au contraire, je me pendis aux basques de son habit.'' Pour finir, cela me console un peu. Les années de liberté qu'il a vécues à Londres sont déjà passées pour moi, le bonheur possible se mue de plus en plus en bonheur impossible, je mène une vie affreuse, un succédané de vie, et je suis assez lâche et assez misérable pour n'imiter Shaw que sur un point, en lisant le passage à mes parents.» (Le journal, pp 102-103).
Visiblement, ce texte se clôt sur une note triste. Cela s'explique du fait que Kafka, à la fois écrivain et fonctionnaire dans une compagnie d'Assurances sociales, ne réussit pas à concilier son génie d'artiste avec sa profession de bureaucrate. En lui, deux personnes se livrent bataille sans que l'une vainque l'autre. Saisi pour ainsi dire entre deux modes de vie antinomiques, Kafka n'a jamais été satisfait de lui-même. Le bonheur, éprouvé pour un moment, lors de l'écriture chez lui, cède le lendemain, rapidement, la place au malheur, dans le bureau. Le travail bureaucratique, ennuyeux, subi et imposé par la force des circonstances, demeure aux yeux de Kafka en porte-à-faux avec la littérature. Travail bureaucratique et littérature semblent bel et bien deux tâches indissociables, deux fonctions impossibles à mener à bien ensemble. «Ces deux professions, écrit-il, ne pourront jamais se tolérer l'une l'autre. Ai-je écrit quelque chose de bon le soir, le lendemain, au bureau, je brûle d'impatience et je n'arrive à rien. Ce tiraillement ne cesse de s'aggraver. Au bureau, je satisfais à mes devoirs extérieurement, mais non à mes devoirs intérieurs, et tout devoir intérieur non rempli se transforme en malheur qui ne quitte plus la place.» (p48)
Du coup, l'écrivain praguois se trouve dans une impasse. Que faudrait-il faire ? Quelle décision prendre ? Renoncer à sa fonction de bureaucrate ? Cesser d'écrire ? Toute décision prise s'avère donc éprouvante, difficile à assumer. Ainsi, quitter son travail d'assureur le prive-t-il en effet de l'argent dont il aura besoin, le condamne-t-il à la pauvreté, l'oppose-t-il à un père tyrannique. Il n'est donc pas en son pouvoir d'y échapper. Ne pas écrire, c'est réduire au néant toutes ses possibilités d'être utile par la création, c'est rendre impossible son «entrée réelle dans la vie» (Journal, P65), la vraie vie comme disait Rimbaud, c'est aussi suspendre «une connaissance de soi-même qui s'accomplirait avec la plus grande intégrité jusque dans toutes ses conséquences secondaires et avec une véracité absolue.» (p30) Par contre, se donner corps et âme à la littérature l'expose à la risée et au dénigrement d'une famille qui voit dans la littérature une pure futilité, une perte de temps, un ramassis insignifiant. Dans son Journal, l'écrivain raconte comment l'un de ses oncles, lisant une feuille où il avait tracé quelques lignes dont il était fier, finira par y décliner placidement un jugement sardonique : « Le fatras habituel » (P33). L'oncle est à considérer ici comme la voix de la Doxa qui a peur de l'Art dans toutes ses manifestations.
Rien à faire, pendant toute sa vie, Kafka sera pris entre deux expériences-limites. La singularité d'un artiste (le moi profond) qui se sent différent et éloigné du commun des mortels et l'adaptation d'un fonctionnaire (le moi social) aux exigences de la vie quotidienne. Otage de cette impasse aporétique, Kafka doit trouver coûte que coûte une issue. A aucun prix, pense-t-il, il ne renoncera à la haute idée qu'il se fait de la littérature. Très tôt, il réalise sans ambages que son destin y est intimement lié. La littérature est son seul salut. Le vrai salut qui le sauve, qui le rend de plus en plus libre, maître de lui-même. Elle lui ouvre grandes les portes de l'énigme, le met à l'écoute de l'infini, lui rend accessible la profondeur des choses. Par la littérature, il tend à s'affranchir du poids poisseux de la famille, de la loi, des traditions, de la religion. Bref, il pourrait, tant bien que mal, sortir de la clôture doxologique. Parce qu'elle nécessite dévouement, abnégation, ascèse, la littérature le plonge en contrepartie dans la solitude, la « solitude essentielle », la solitude heureuse où il rencontre l'Etre et reconnait la grandeur de l'âme humaine. Le travail sacerdotal que nécessite cette solitude littéraire s'annonce, Blanchot le rappelle judicieusement, comme « le pouvoir qui affranchit, la force qui écarte l'oppression du monde, de ce monde ‘‘où toute chose se sent serrée à la gorge'' ». Si bien que la littérature devient « le passage libérateur du ‘‘je'' au ‘‘il'', de l'observation de soi-même qui a été le tourment de Kafka à une observation plus haute, s'élevant au-dessus d'une réalité mortelle, vers l'autre monde, celui de la liberté » (Maurice Blanchot, L'espace littéraire, Gallimard, 1955, p86).
Sachant bien que le monde où il vit le dissuade de se réaliser en tant qu'écrivain, en tant qu'artiste, Kafka s'entête sans cesse, désespérément, à se défaire du monde des hommes banals, à s'en exclure délibérément, à s'exiler loin de cette terre idiote où son imagination est prise en otage, où sa volonté d'écrire achoppe contre les embûches, où sa vocation artistique est condamnée au mutisme sempiternel. Rien à faire. La décision est fermement prise, avec pleine conviction. Tout retour en arrière est inimaginable. Il faut se consacrer corps et âme à la littérature, se sacrifier à son autel, se brûler les méninges, verser son sang dans le graal de l'art, mourir ici pour ressusciter ailleurs, plus vivant que les vivant et plus homme que les hommes. Mais au départ, il faut se départir de poids pesant de la Doxa. Kafka voyage, quitte sa ville asphyxiante, va à la rencontre des autres, s'ouvre sur leur monde inconnu, le découvre, s'en inspire largement, y tisse des liens féconds, riches d'expérience. Ainsi, au fur et mesure, dans le chemin de l'exil doublement extérieur et intérieur, Kafka transforme-t-il « la condamnation en délivrance » (Blanchot, ibid., P91), la servitude en liberté, la déchéance en élévation.


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