Connely, Steinbeck, Laroui... Les livres sont des compagnons formidables, dans la vie de tous les jours et surtout lors des voyages. Ils sont peu encombrants, disponibles à tout moment et surtout discrets. Le rapport livre-voyage est d'une grande richesse sémantique ; il renvoie à tout un faisceau de significations. Pour beaucoup, le livre est souvent le substitutif intelligent au voyage. Au déplacement physique dans l'espace, le livre offre une autre alternative dans l'imaginaire : voyager dans l'univers mental et intellectuel d'un écrivain ou tout simplement découvrir des contrées lointaines rien qu'à travers la magie des mots... Mais les voyages constituent aussi des occasions tout simplement pour découvrir des livres, soit en les achetant dans des pays qui comptent de véritables industries du livre et tout un commerce qui favorise la lecture, le Quartier latin à Paris en est l'emblème universel si j'ose dire ; soit par le hasard heureux qui te fait rencontrer un auteur, un titre ou un genre... c'est ainsi qu'il ya quelques années, les circonstances d'un voyage en avion m'ont placé aux côtés d'une véritable dévoreuse de livres ! Une charmante blonde qui dès qu'elle s'est installée s'est mise à lire le roman qu'elle avait déjà entamé en attendant l'embarquement. Ce n'est que lors l'une des rares pauses que j'ai pu échanger avec elle quelques propos et autour des livres justement, me permettant de découvrir un grand auteur de polar américain, Michael Connely. Elle m'a mis tout de suite l'eau à la bouche, ayant appris mon intérêt pour le cinéma, en me le présentant aussi comme l'un des écrivains les plus adaptés du cinéma américain. Depuis, il est l'un des auteurs préférés, je vous conseille de le découvrir via son chef d'œuvre Le poète. Pour ma part, je viens de déguster La glace noire, un autre des ses titres célèbres, qui nous transpose dans l'univers du trafic de drogue où sont impliqués des flics dans une construction d'une grande complexité. L'écriture fascine par l'ampleur des informations, le suspense et l'ancrage des personnages dans des caractères socio-psychologiques crédibles. Le découpage est effectivement très cinématographique et les descriptions entrainantes. Toujours dans le registre du polar, j'ai lu dernièrement un roman policier venant du froid, La cinquième femme du suédois Henning Mankell. Romancier et dramaturge, il a acquis finalement une grande notoriété grâce à la littérature policière et à son inspecteur fétiche, Wallader. Le roman commence en Algérie, lors de la décennie noire avec l'assassinat de cinq moines d'origine suédoise... puis, le récit nous transpose en Suède sur les traces d'un serial killer. Pendant longtemps, on va se demander quel rapport entre les deux événements et c'est toute la finesse et la richesse de l'intrigue qui se dévoile au fur et à mesure devant nous. La psychologie est omniprésente, la variété des personnages et la vanité de l'action humaine. Je signale au passage que l'inspecteur imaginé par Henning Mankell est le héros d'une série qui porte son nom sur la chaîne franco-allemande, Arte. Condition humaine portée aux cimes de la création littéraire avec Les raisons de la colère de John Steinbeck. Les images terribles des ravages générées par le capitalisme sont offertes ici avec force et intelligence. Une structure dramatique qui part du détail le plus simple, une tortue qui tente de traverser une chaussée, un regard, une soif, pour aboutir à la violence de la lutte des classes dans les Etats-Unis de la terrible crise des années 30. Le roman a été adapté au cinéma par John Ford, cela a donné l'un de ses meilleurs films. Pour mettre de l'ordre dans ce foisonnement d'images et de récits, pour situer la fiction dans une perspective historique, il faut inscrire au programme ce que j'appelle de la lecture stratégique, une fois ce fut La voie d'Edgar Morin, une autre c'était De la domination de Bourdieu, cette fois c'est autour de Abdellah Laroui et son essai Le Maroc de Hassan 2, un témoignage. C'est la chronique intellectuelle de notre temps, une radioscopie de nos mœurs politiques, le prétexte étant la présence de Laroui pendant une période dans le sillage du roi défunt. Il raconte comment il a été amené à vire cette expérience, position privilégiée pour adopter un point de vue originale. Le livre est d'une lecture tonique, avec cette démarche et ce style Laroui fait œuvre de salubrité publique. Le livre devrait être inscrit dans le cursus de formation de nos futures élites ; c'est de l'éducation politique comme d'autre ont parlé de l'éducation sentimentale. Il y a de l'information mais toujours distanciée, remise en perspective (comme pour l'épisode de la disparition de Mehdi Benbarka). L'auteur part des faits, en les reconstituant selon des angles différents puis il entraîne le lecteur dans une série d'interrogations qui finissent par former, en filigrane, un nouveau point de vue.