Marrakech est certainement l'une des rares villes marocaines les plus prisées par les films étrangers (à la fois comme lieu de tournage et comme espace imaginaire, diégétique). Sa lumière, ses figurants typiques et la sonorité de son nom ont fini par séduire des cinéastes aussi prestigieux que L. Mathot (La danseuse de Marrakech), A. Hitchcock (l'Homme qui en savait trop), J. Deray (L'homme de Marrakech), G.Mackinonn (Marrakech Express)... Depuis plus d'un siècle, Marrakech est devenue l'emblème d'un imaginaire occidental en quête d'un Orient fantasmé. Mais, les asiatiques eux non plus n'ont pas hésité, timidement certes, à s'intéresser de près à la ville ocre dont la photogénie (la cinégénie !) n'est plus à démontrer : Opération Condor de Jackie Chan, Midnight Fly de Jacob Li Leung Cheung(Hon kong), Crazy Boys de Vikas Mahesh Kumar Sharma, Agent Vinod de SRIRAM RAGHAVAN (Inde)... Dans la filmographie consacrée à Marrakech, la particularité du film nippon Cowboy Bebop réside en trois points : il est l'unique film d'animation, avec la série des Simpsons, à citer explicitement Marrakech, l'action s'y situe dans le futur, et il n'est pas surchargé de clichés colonialistes dégradants (contrairement à un certain cinéma de la « hogra »français et américain). Le film 2071. une brigade de chasseurs de primes, Bebop cowboy, menée par le célèbre Spike Spiegel et attirée par une forte récompense, se lance à la poursuite d'un bio-terroriste (Vincent Volaju) qui n'a pas hésité à faire exploser un camion-citerne rempli de nanorobots sur la planète Mars causant la mort et la maladie de plusieurs victimes, et qui se prépare à rééditer le même forfait, lors de la fête d'Hallowen sur la planète Terre, à Paris. La traque passe par plusieurs cités du futur : Marrakech, Tokyo, New York,Paris... Le film d'animation japonais Cowboy Bebop de Shinichiro Watanabe, adapté de la série animée éponyme en 2001, installe le spectateur dans une vision futuriste et mêle, dans un humour noir, trois genres filmiques : le policier, la science-fiction( le space opera) et le western spaghetti. On y plonge dans une atmosphère de Highlander, de Batman, de Blade Runner, d'Indiana Jones, du Bon la brute et le truand, de Scarface, de Wings, de Bruce Lee...Et on y rencontre quelques stéréotypes drainés par une filmographie et une iconographie occidentales sur Marrakech, sur le Maroc et sur le monde arabo-africain. Des stéréotypes japonais assez softs ! Ce film culte du pays du Soleil Levant (prolongement d'une série TV tout aussi culte)est, malgré la violence qui le traverse de bout en bout, imprégné d'une mystique samouraï, d'une méditation sur le Bien et le Mal, d'une réflexion existentielle sur l'identité et sur la bioéthique, d'un pessimisme sur le genre humain et sur la globalisation, de la quête d'un œcuménisme contre les méchants de ce monde, et d'une ode à la gloire du métissage culturel. Son esthétique élégante et sa B.O éblouissante sont en symbiose avec le contenu tragique, mélancolique, aventurier et mystique des situations. Forces des cadrages, fluidité des mouvements, rareté des longueurs, variations des plans, variations des rythmes, crescendo de l'émotion... Cette animation a toutes les qualités d'un bon film de cinéma ! D'un cinéma humaniste et prométhéen ! Marrakech, les indices référentiels Les Japonais connaissent le Maroc à travers quatre faits culturels : la ville de Tanger grâce à la littérature de voyage et à Ibn Battouta, Casablanca à travers le film Casablanca de Curtiz, le désert marocain et Marrakech à travers le film Babel de Inarritu, et Marrakech dans le film d'animation Cowboy Bebop de Watanabe...Et il semblerait que beaucoup de magazines japonais de nature touristique tentent, sur les chaines de télévisions NHK et TBS de parler du Maroc, de sa gastronomie, de ses monuments... Dans Cowboy Bebop, deux séquences sont consacrées à Marrakech. La première est placée à la 20ème minute. Elle vient toute de suite après celle de l'explosion terroriste du camion-citerne. Spike commence son enquête à Marrakech. Il est perdu face aux panneaux indicateurs déroutants (Baladyat/3amalat Sidi Youssef Ben Ali, Moroccan Street, Ruccian Town...). Par cet de situer Marrakech au début du film, Watnaba ressemble à un certain A. Hitchckock qui débute son Homme qui en savait trop par un hommage à Marrakech, dont nous fêterons les 60 ans en 2015. Cette séquence n'est pas véritablement nécessaire du point de vue dramaturgique. On peut en faire l'économie sans que le film s'en ressente. Toutefois, elle est indispensable sur le plan philosophique et contemplatif. C'est une séquence où le récit est suspendu pour mieux méditer sur les enjeux existentiels de la traque. L'étrangeté géographique, historique et culturelle de cette séquence invite le spectateur japonais et américain, habitué à l'action et aux combats de tous genres, à un contenu où le zen est de rigueur. La rencontre de Spike avec Rashid, un célèbre guide marrakchi (typique par sa djellaba, ses lunettes noires, son turban, sa forme longiligne, son sebsi, sa balgha assortie...) renforce l'idée d'un espace mystérieux, secret. Le gros vase qu'il lui donne va l'intriguer le long du film. Auparavant, Rashid a allumé la cigarette de Spike au moyen d'un briquet sous forme....de grenade !!! Ce Rashid dont l'apparence est celle d'un guide ou d'un terroriste( grenade) va se révéler un véritable sage en inspirant certaines pistes pour l'enquête. Pour ancrer le film dans un espace marocain, arabe et africain et pour susciter « un effet Marrakech », le film convoque plusieurs indices sémiotiques visuels et sonores. Parmi les indices visuels :l'écriture arabe indiquant le quartier Sidi Youssef ben Ali, le mot « Koutoubia », les mots en lettres latines « Semmarine », les souks, l'image de la place Jama el fna, les portes de Marrakech, les ruelles étroites, les djellabas et fouqias, la prédominance de la couleur ocre, la lumière tamisée de soleil de Semmarine, les herboristes et les marchandes de paniers traditionnels, les boutiques d'artisanat. Au niveau sonore, le dialecte marocain incompréhensible baragouiné par les passants, le chant gnaoui, le chant arabe (ma 3andi mema, ma 3andi khou...), le nom « Rashid » accentuent cet effet de marrakcheité. Marrakech est donc une cité du soleil couchant, un ailleurs qui succède à la séquence de la planète Mars(un autre ailleurs). Mais, c'est un ailleurs tout proche par sa musique qui ressemble par certains aspects au Shômyô japonais ! On est bel et bien à Marrakech de l'an 2071. Ville du futur étrangement semblable au Marrakech de 2001. Et son atmosphère suggère étrangement et implicitement la philosophie du Japon actuel : morosité, pessimisme, nostalgie d'un passé glorieux ! La deuxième séquence nous ramène à Marrakech, après une journée de violence contre Vincent, Un moment de méditation, de paix, de quête de la vérité soufie avec le chant gnaoui ponctué de notes de piano très jazzy.(ddanya gharaba, moulana r7amna, 3ari 3lik a baba la7bib...). La deuxième rencontre avec Rashid, le guide marrakchi va permettre de révéler la vérité sur les nanorobots ! Spike cherche refuge à Marrakech à la fois pour le repos et la paix et pour trouver des solutions à l'énigme du bioterrorisme et des nanomachines. Quelques bouffées de kif et e cigarettes délient les méninges et libèrent l'imagination et la connaissance ! Marrakech est dans le film une parenthèse paisible et contemplative. Elle suspend l'action et la violence pour mieux méditer sur le devenir de l'humanité et de l'existence ! N'est-ce pas un bel hommage à cette ville légendaire ?! Mais, qu'on ne se méprenne pas ! L'image de Marrakech comporte à la fois le Yin et le Yang!