Emel Mathlouthi secoue Jazzablanca 2025 avec «MRA», un album 100 % féminin réunissant 30 artistes de 22 pays. Dans notre face-à-face brûlant, elle prône sororité et liberté, dynamitant les codes d'un milieu «trop formaté». Suivez La Vie éco sur Telegram Emel Mathlouthi, regard incandescent et voix qui fissure les murs, balance son énergie brute après les balances de son show. Hier soir, la Tunisienne a électrisé la scène, mais c'est dans l'intimité d'une interview post-concert qu'elle se livre, sans filtre, avec cette fougue qui fait d'elle bien plus qu'une chanteuse : une agitatrice culturelle, une passeuse d'histoires, une révolutionnaire en douceur, mais sans compromis. À 42 ans, Emel n'est pas juste l'autrice de Kelmti Horra, cet hymne qui a galvanisé le Printemps arabe et résonné jusqu'à la cérémonie du Nobel de la Paix 2016. Elle est une artiste qui refuse les cases, les étiquettes, les frontières. Son dernier album, MRA («femme» en arabe), sorti en 2024, est un coup de poing artistique, un manifeste vibrant qui réunit 30 femmes de 22 pays, de la production au micro, dans une industrie musicale encore gangrenée par le patriarcat. «C'est le premier album 100% féminin, et ça, ça n'a jamais été fait», lâche-t-elle, le ton assuré, presque défiant quiconque de la contredire. Dans le tumulte des coulisses, Emel parle cash. Ces dix dernières années ? Un désert de solidarité féminine dans la musique. «On ne se soutient pas assez, on ne s'ouvre pas les portes», déplore-t-elle, avant d'ajouter, avec un sourire qui dit tout : «Mais moi, je veux changer ça». MRA est sa réponse, un projet où elle a banni les stéréotypes : des femmes ingénieures du son, productrices, rappeuses, chanteuses, toutes unies dans une mosaïque sonore qui célèbre la diversité. Camélia Jordana, avec sa voix qui chavire, côtoie une rappeuse malienne, une autre irakienne, une Iranienne. «Chaque langue, chaque flow, chaque message ajoute une force folle à l'album», s'enflamme Emel. «En tant qu'artiste maghrébine, nord-africaine, arabe, je n'ai pas les mêmes accès que les Européens ou les Américains», confie-t-elle. Son combat ? Pulvériser ces barrières, refuser d'être réduite à une seule facette. «J'ai tellement de dimensions, je ne veux pas qu'on me définisse d'une seule manière». Fan de rap, Emel surprend. «Ça ne se voit pas forcément», glisse-t-elle avec malice, mais son amour pour le genre irrigue MRA. Elle y invite des rappeuses du Mali, du Nigéria, d'Irak, d'Iran, des voix qui, dans des scènes souvent masculines, crachent leur vérité avec une puissance rare. «Le monde de la musique est dur pour les femmes, encore plus pour les rappeuses, et carrément hostile pour celles qui viennent de ces pays», analyse-t-elle. Avec elles, elle sculpte un espace où la pluralité des identités explose, où la liberté artistique devient un acte de résistance. Emel incarne. Sa quête de liberté, elle l'a d'abord menée pour son pays, la Tunisie, avant de la porter pour elle-même, artiste en perpétuelle réinvention. De Ensen (2017) à Everywhere We Looked Was Burning (2019), elle a toujours repoussé les limites, mêlant électro, folk, et racines arabes dans un cocktail envoûtant. Avec MRA, elle va plus loin, plus fort, plus collectif. «La liberté, ça ne s'acquiert jamais définitivement», murmure-t-elle, comme un mantra. Sur la scène de Jazzablanca, hier, elle a tout donné : sa voix, son âme, sa rage. Mais c'est dans ses mots qu'on mesure l'ampleur de son projet. Emel Mathlouthi ne veut pas juste faire de la musique, elle veut ouvrir des brèches, créer des possibles, rallumer l'espoir pour celles qu'on n'entend pas assez. MRA n'est pas qu'un album, c'est une déclaration d'indépendance, un cri d'amour, un pont entre des mondes. Et Emel, avec sa grâce féroce, est en train de changer la donne, une note à la fois.