Après avoir travaillé pour Bombardier au Canada et au Maroc pendant plus de 15 ans, Souad Elmallem a créé son propre cabinet de conseil. Celle, qui a pesé dans de Bombardier au Maroc, offre désormais ses services de stratégie internationale à un groupe élargi de sociétés «afin de les soutenir dans l'expansion de leur empreinte mondiale», y compris Bombardier qui continue de faire appel à ses services pour ses activités au Maroc et en Afrique. Et le Maroc compte bien le lui rendre, puisque Souad Elmallem désormais Executive partner du cabinet 6temik, est également porte drapeau de l'aéronautique marocain. C'est elle qui a brillé parmi la forte délégation marocaine dans le cadre de l'Aeromart Montréal qui s'est tenu du 4 au 6 avril. Son objectif est clair : il faut démontrer aux futurs investisseurs la force de frappe de la «Team Maroc» dont l'objectif ultime est de mettre en place tous les ingrédients nécessaires pour réussir des projets porteurs dans un secteur clé. Un investisseur industriel a besoin d'être écouté, rassuré et surtout que les spécificités de son corps de métier soient bien comprises. Souad Elmallem, née à Oran, fille d'exilé condamné à mort trois fois par contumace, finira par rentrer au pays à l'âge de neuf ans. Car son père, grand résistant et personnalité très influente, s'est lui-même réconcilié avec son pays après plusieurs années d'exil en Algérie pour échapper au gouvernement marocain qui craignait son pouvoir et son influence. «Mon père était autodidacte, mais d'une exceptionnelle intelligence. C'est un homme qui a réussi sa vie par la force d'apprendre et je suis la fille de mon père», raconte cette manager. En 1989, son bac en poche, elle opte pour le droit. «Pour moi, c'était une suite logique. Mon environnement y était propice. Nous parlions politique à la maison. Du coup, je me passionnais surtout de droit international et constitutionnel», clame-t-elle. Pourtant Souad Elmallem ne sera pas juriste, elle aime le management, et pour s'éloigner le plus du pays, elle va au Canada contre l'avis de son père qui souhaitait la voir à HEC Paris. Qu'à cela ne tienne, elle fera HEC mais à Montréal. Et comme pour rattraper les deux années perdues en droit, elle obtient un double diplôme en gestion des opérations et production et l'autre en systèmes d'informations. «C'était un choix stratégique, je ne voulais pas m'éterniser à trouver mon chemin, ce choix était très efficace pour travailler le plus tôt possible», justifie-t-elle. Souad Elmallem a d'ailleurs été recrutée bien avant l'obtention de son diplôme par Nortel Networks. On lui offre le poste de superviseur des analystes d'affaires dans l'implantation du logiciel MFG-Pro. En 2000, elle prend du galon et devient chef de projet dans l'implantation du système de gestion de la non-conformité (NCM) pour l'Amérique du Nord. «De façon factuelle, nous étions deux à avoir obtenu cette double formation, donc le bassin était très restreint», voilà ce que répond Elmallem quand on lui demande ce qui a dicté le choix de Norton Networks de la recruter. D'ailleurs, c'est à ce moment-là qu'elle rencontre Patrice Bernez, black belt Six Sigma chez Hewitt Equipment. «Ce qui caractérise Souad par-dessus tout, c'est sans contredit, sa grande ouverture d'esprit et le respect d'autrui, considérant les différences de chacun comme une force motrice», fait part son ami. Comment elle a convaincu Bombardier de s'implanter au Maroc Souad Elmallem est arrivée chez Bombardier en 2001. «L'entreprise était en train d'implanter le système manufacturier SAP. C'était la plus grosse implantation de ce genre de système au monde», expliquait-elle. Quand Bombardier l'a approchée, FCI/ Norten Networks pour lequel elle travaillait était en difficulté financière et elle avoue que le timing était bon pour elle. Dans cet intervalle, l'Etat marocain reconnaît l'œuvre de son père qui sera décoré. Plus tard, on donnera son nom au musée des anciens résistants d'El Jadida. «Qu'il y ait eu une reconnaissance pour mon père de son vivant m'a réconciliée avec mon pays d'origine, d'ailleurs la véritable réconciliation a eu lieu avec l 'arrivée de Mohammed VI au trône», s'empresse de dire Souad Elmallem. A Bombardier, avec la mentalité nord-américaine, Souad déploie tout son potentiel. «Son intégrité, sa façon de traiter avec les gens; ses mots congruents avec ses actions» font, selon le vice-président, la différence. Après quatre années à se dévouer à implanter les SI de Bombardier, Elmallem accouche de jumelles de son deuxième mariage. Dès son retour du congé de maternité, Bombardier lui propose de s'occuper de la planification stratégique pour le vice-président ERP puis par la suite du CIO, afin de monter «le master plan des technologies de l'information de Bombardier Aéronautique. Je passais dès lors au système général d'information de Bombardier avec une vision plus large et internationale», fait-elle part. En 2006, voyant les différentes usines implantées à travers le monde, germe l'idée de l'implantation de futures usines dans son pays d'origine. Elle en parle d'abord à l'ambassadeur du Maroc au Canada de l'époque, Mohamed Tanji, «mais c'était de l'ordre du sentimental ». De plus, la proposition ne relevait pas de ses fonctions mais pouvait s'inscrire dans ses compétences , d'autant plus que le management de Bombardier relève d'une organisation qui laisse la place à la créativité et la force de propositions. «Toute personne qui travaille est ambassadeur de la compagnie à tout niveau et à tout moment», détaille Michael McAdoo. Après une première étude primaire, Souad Elmallem convainc son supérieur de l'idée. «Il m'a dès lors alloué un budget annuel pour approfondir l'investigation et les études de faisabilité au Maroc», fait part la responsable organisation de stratégie des systèmes d'information à l'époque. Et c'est au détour d'un voyage familial qu'elle visite la zone franche de Nouaceur. Le potentiel est énorme et la proximité par rapport à l'aéroport vient ponctuer la décision. «Il y a aussi la stabilité du Maroc par rapport au printemps arabe. Notre pays avait dès lors une longueur d'avance par rapport à d'autres pays: la décision était mûre et j'étais convaincue par un dossier et non plus par les sentiments», confiait-elle au moment du lancement. Du caractère à revendre Ce n'est pas une surprise si sa hiérarchie à travers Michael McAdoo, vice-président stratégie et développement international chez Bombardier, parle «d'intégrité», si son ancienne équipe par la voix de Laura Lebovic, analyste stratégie et développement Afrique du Nord, parle «d'une manager impliquée et impliquante» et que l'un de ses grands amis en la personne de Patrice, «d'une diplomate». Souad Elmallem s'est vouée à son travail comme à son pays et, à travers cette synergie, est né le projet des usines de Bombardier dans la zone de Nouaceur. «Le Maroc est bien sûr d'abord une histoire sentimentale mais la conjoncture était aussi en sa faveur», avoue Elmallem; propos d'ailleurs confirmés par Michael McAdoo: «Elle a mené un processus au sein de Bombardier, qui consistait à déterminer le meilleur pays parmi d'autres. Le Maroc est ressorti du processus avec tous ses avantages et ses commodités». Après les discussions avec le ministère de l'Industrie et l'AMDI, l'accord pour l'implantation des usines de Bombardier dans la zone franche de Nouaceur est signé le 16 novembre 2011. Après la soumission du dossier pour le Maroc, elle est nommée chef d'Afrique. «Souad est une manager avec qui il est très agréable de travailler. Très ouverte aux questions, elle prend toujours le temps d'expliquer et de discuter des dossiers sur lesquels nous travaillons», disait Laura Lebovic, analyste stratégie et développement Afrique du Nord. «Mais mon management n'est pas que participatif, je suis aussi directive et ce sont des constats de mon équipe», révèle cette femme qui ne se soucie guère de ce qu'elle est, mais accorde toute l'importance à l'autre. D'ailleurs, même au sein de son équipe, la force de cet avantage revient aussi. «Je me soucie de l'état d'esprit de mon équipe. On fait d'ailleurs un stand up tous les matins afin de gérer ensemble les problèmes qui se posent à chacun de nous». McAdoo parle d'ailleurs parfois d'une femme exigeante voire perfectionniste. Si Souad Elmallem a tout fait pour éviter la politique, elle finira néanmoins par tomber dans le bain de son enfance. Elle politisera l'installation des usines de Bombardier qui va investir 200 millions de dollars sur huit ans et créera pas loin d'un millier de postes. En septembre 2012, Souad Elmallem, accompagnée du président de Bombardier Guy Hachey, a été reçue par sa majesté Mohammed VI. L'atterrissage est tout en douceur pour cette femme qui a piloté une bonne partie de sa vie dans le sens contraire du vent. Aujourd'hui, maintenant qu'elle est de l'autre côté de la barrière, le constat est sans appel : le Maroc est certes devenu une vraie plateforme aéronautique fière de la présence de 121 entreprises, toutes des opérateurs référencés, mais des filières gagneraient à être développées, en premier celles qui constituent les trous existants dans l'écosystème actuel. Les métiers tels que les traitements de surface des matériaux, la réparation du composite, l'augmentation de la capacité globale en termes d'usinage et de fabrication de pièces en métal en feuilles vont permettre de compléter tous les besoins en la matière. Il faut également investir dans l'usinage des matériaux durs et d'alliages spéciaux puisque ce sont des capacités distinctives sur le marché qui permettraient au Maroc d'attirer de nouveaux grands systémiers ; l'ingénierie en aéronautique doit passer à l'étape supérieure en termes de valeur ajoutée.