Aujourd'hui, la croissance d'une nation ne vaut que par la prospérité de la population, au-delà de sa puissance économique sur la sphère planétaire. On a beau ériger ses tours et exhiber ses prouesses, force est de noter que son peuple gémit sous les effets cruels de la misère et du malaise. Le 9 juillet 1849, devant l'assemblée nationale législative, Victor Hugo avait vociféré ces propos à l'assistance de ses compères : « La misère est une maladie du corps social comme la lèpre l'avait été au corps humain !…Vous n'avez rien fait tant que le peuple souffre, tant qu'une partie du peuple, en dessous de vous, désespère...Vous n'avez rien fait tant que l'ordre matériel raffermi n'a point de base sur l'ordre moral consolidé...C'est l'abandon qui ouvre les abîmes, mais c'est la misère qui les creuse...». A moins d'une trentaine d'années, il semble que la clameur de l'auteur des « misérables », est toujours d'actualité dans le pays des Lumières. En 1929, lors de la première crise économique mondiale et plus tard encore, la récession monétaire de 2008, le monstre capitaliste s'écroule comme un château de cartes. En dépit des « turbulences » du socialisme dues aux dysfonctionnements au niveau de la pratique de ses valeurs, le discours marxiste ne cesse de résister aux intempéries néolibérales. De ce fait, l'humanité n'a jamais été à l'abri des effets velléitaires de l'exploitation forcenée de l'Homme et de la Nature. Depuis, beaucoup d'eaux ont coulé sous les ponts sans que la misère ne soit complètement anéantie ! L'émeute des gilets jaunes en Hexagone, comme partout ailleurs, vient confirmer cette évidence irréfutable, en l'histoire contemporaine. La course effrénée vers le profit et le renchérissement, au détriment de la justice sociale et de la condition humaine ne mènerait qu'à la décadence d'un système en perpétuel étiolement, brandissait haut et fort André Malraux, au début du siècle écoulé. En fait, on conviendrait que la démocratie qui ne détruirait pas totalement la misère des êtres humains sans défense, demeurerait lettre morte. C'est un paradoxe aberrant qui fragilise, de plus en plus, les entités dont les aléas du système des rapports humains hypothèquent la pérennité de l'existence. La misère des individus reste, de tout temps, la résultante du progrès sauvage. Quel sens pourrait-on donner à un progrès si la misère des gens prolifère ? Tout en paraphrasant la narration triste de l'auteur des « contemplations », on citera aussi des créatures qui s'enfouissent dans le fumier pour échapper au froid glacial d'Azilal, des âmes qui ramassent des monceaux infects de chiffons en fermentation dans la fange des bornes de Midelt, des malheureux qui dénichent au fond des poubelles, des miettes dans des débris pestilentiels de Jerada... Sommes-nous donc en mesure de lutter contre la misère des pauvres, à travers la préservation du pouvoir d'achat et la lutte permanente contre la flambée des prix de la nourriture, en cette période atroce de glace et de dénuement? Pas aussi certain, car la démolition de la misère matérielle ne peut se faire qu'en détruisant d'abord la misère politique ! Ce qui n'est pas toujours le cas...