Après plus de quinze ans sans données consolidées, le Maroc amorce une réforme de fond de sa justice pour mineurs. Une étude pluridisciplinaire d'envergure sera menée avec l'appui de l'UNICEF, dans l'objectif de refonder le système autour de la justice restaurative, de la prévention et de la réinsertion. Une transformation profonde, portée par les données, pour replacer l'enfant au centre des politiques publiques. À l'orée de 2026, le Maroc amorce un virage majeur dans sa manière d'aborder la délinquance juvénile. Les politiques publiques pour l'enfance ayant longtemps été fragmentées, la convergence entre expertise scientifique, engagement institutionnel et vision internationale s'incarne désormais dans une vaste étude pluridisciplinaire. Portée par l'Observatoire national de la criminalité (ONC) avec le soutien technique de l'UNICEF, cette initiative se veut bien plus qu'un simple diagnostic. Elle constitue le socle d'une refonte en profondeur du système de justice pour mineurs, avec pour boussole une approche restaurative, préventive et fondée sur les droits de l'enfant. Contexte Le contexte national donne la mesure de l'ambition. Dans la continuité des Hautes orientations royales et du Nouveau modèle de développement, le Royaume a entamé une série de réformes visant à repenser la place de l'enfant dans la société marocaine. Parmi elles, l'émergence imminente de l'Agence nationale de protection de l'enfance (ANPE), en voie de législation, marque une rupture décisive. Elle s'inscrit dans un modèle institutionnel novateur, plaçant la coordination intersectorielle au cœur de l'action publique. À cela s'ajoute une réforme en profondeur du Code de procédure pénale, un renforcement de la spécialisation des juridictions pour mineurs, et le développement d'alternatives crédibles à l'incarcération, transformant progressivement la culture judiciaire. Cette dynamique nationale, toutefois, se heurte à des limites structurelles majeures. Depuis plus de quinze ans, le Maroc ne dispose plus d'étude nationale exhaustive sur la délinquance juvénile. Cette absence de données actualisées constitue une lacune criante dans l'élaboration des politiques publiques. Les informations existantes sont éparpillées entre différentes institutions, souvent non harmonisées et peu accessibles. Cette fragmentation empêche toute vision globale et empêche une action coordonnée. En parallèle, il n'existe pas de système unifié de collecte et d'analyse des données relatives aux enfants en conflit avec la loi, ni de nomenclature nationale pour les infractions commises par des mineurs. Ce déficit d'information compromet directement la capacité des autorités à répondre efficacement aux problématiques rencontrées par les jeunes en situation de vulnérabilité. Il rend aussi difficile toute évaluation rigoureuse de l'efficacité des politiques existantes, notamment en matière de prévention, de prise en charge judiciaire, de placement, ou de réinsertion. De plus, il n'existe actuellement aucune base de données consolidée permettant d'identifier les trajectoires de vie des mineurs en conflit avec la loi, leurs conditions de vie, les antécédents de victimisation ou les contextes familiaux et sociaux. Une approche multidimensionnelle C'est précisément pour combler ces lacunes que l'ONC et l'UNICEF entendent commanditer une étude documentée. Prévue sur une durée de six mois à partir de décembre 2025, elle repose sur une méthodologie combinant enquête de terrain, analyse institutionnelle et concertation interdisciplinaire. Elle mobilise un échantillon de 1.000 enfants, répartis selon différents profils : primo-délinquants, auteurs de délits modérés, jeunes impliqués dans des crimes graves. Mais l'analyse ne s'arrête pas aux actes commis. Elle s'intéresse aussi aux enfants en situation de rue, en décrochage scolaire, ou placés dans des structures sociales, ainsi qu'aux mineurs ayant eux-mêmes été victimes de violences avant de devenir auteurs d'infractions. Cette double lecture – délinquance et victimisation – permet d'appréhender le cycle complexe qui conduit certains jeunes à basculer dans l'illégalité. La dimension territoriale n'est pas en reste. Sept régions sont ciblées : Rabat-Salé-Kénitra, Casablanca-Settat, Oriental, Tanger-Tétouan-Al Hoceima, Souss-Massa, Marrakech-Safi et Béni Mellal-Khénifra. Ce choix permet une lecture fine des disparités régionales et des réponses locales, intégrant les spécificités sociales, économiques et institutionnelles de chaque territoire. En parallèle, une batterie d'indicateurs standardisés, en cours d'élaboration, vise à faciliter le suivi et la comparabilité des données à l'échelle nationale. Les objectifs sont multiples. Il s'agit d'abord de produire un diagnostic approfondi du phénomène, ventilé par âge, genre et typologie d'infractions. Ensuite, d'identifier les facteurs de risque à la fois structurels (précarité, déscolarisation, violence familiale) et institutionnels (pénalisation excessive, manque d'alternatives éducatives). L'étude cherche aussi à évaluer les dispositifs actuels – notamment les centres de protection de l'enfance – en analysant les taux de récidive et de victimisation, mais aussi la qualité des prises en charge. Et, plus que de dresser un simple constat, l'ambition est de formuler des recommandations opérationnelles pour transformer la chaîne pénale et favoriser une justice centrée sur le bien-être de l'enfant. Dans cette optique, l'étude valorise les pratiques existantes jugées prometteuses, tout en proposant des innovations inspirées d'expériences internationales. Le tout en cohérence avec les standards des Nations Unies et les engagements du Maroc dans le cadre du Plan gouvernemental d'égalité «ICRAM 2». L'étude accordera par ailleurs une attention scrupuleuse à l'éthique de la recherche, en particulier concernant la participation des enfants. Le consentement éclairé des parents ou tuteurs légaux est obligatoire, tout comme l'assentiment des enfants, exprimé en fonction de leur âge et de leur capacité de compréhension. Les données personnelles sont strictement anonymisées, et l'ensemble du processus encadré par des psychologues formés à la prise en charge des traumatismes. Vers un débat public Dans ce chantier, l'UNICEF joue un rôle stratégique, apportant son expertise scientifique, logistique et institutionnelle. Aux côtés du ministère de la Justice, l'organisation facilite la mobilisation des acteurs terrain – juges pour mineurs, forces de l'ordre, travailleurs sociaux – tout en garantissant une diffusion large et accessible des résultats. Une restitution en arabe et en français est prévue, afin de nourrir le débat public et d'accompagner le plaidoyer en faveur d'une réforme structurelle. Ce que révèle cette étude en gestation, c'est une nouvelle manière de penser la délinquance des mineurs, c'est-à-dire non plus comme une menace à contenir, mais comme un indicateur de vulnérabilités collectives. En reconnaissant les enfants comme sujets de droit et non comme objets de contrôle, le Royaume s'engage vers une justice plus humaine, plus préventive, et surtout plus efficace. La détention, désormais perçue comme un ultime recours, cède la place à des mesures éducatives, réparatrices, ancrées dans la réalité sociale des jeunes concernés.