Entretien avec Suma Chakrabarti, président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement ALM : Après la Tunisie, le Maroc est la deuxième escale de votre visite officielle en Afrique du Nord. Quels sont les principaux points que vous avez débattus lors de cette visite avec les membres du gouvernement ? Suma Chakrabarti : Effectivement, nous avons eu une série de rencontres avec le chef de gouvernement Saad Eddine El Othmani, Mohamed Boussaid, ministre de l'économie et des finances et Nasser Bourita, ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale. Ces entretiens ont été fructueux dans la mesure où nous avons parlé de nos perspectives de coopération et de l'importance que revêt le Maroc pour la BERD. Comme vous le savez, le Maroc est, depuis 1991, pays fondateur de notre institution. Et pourtant, cela ne fait que 5 ans et demi que le Royaume est devenu un des pays d'intervention de la BERD. Nous avons investi, durant cette période, 1,5 milliard d'euros couvrant un certain nombre de secteurs, dont 300 millions d'euros en 2017 pour la mise en œuvre de projets innovants. Ces rencontres ont également été une occasion pour déterminer avec les membres du gouvernement nos priorités conjointes. Quels sont donc les domaines clés que vous avez identifiés conjointement ? Je citerais tout d'abord l'employabilité qui est une priorité très forte aussi bien pour la BERD que pour le gouvernement marocain. Nous allons dans ce sens mettre l'accent sur la création de l'emploi non seulement pour les jeunes diplômés mais également pour les non-diplômés leur facilitant ainsi l'accès au marché du travail. Nous comptons également renforcer le rôle des PME en leur accordant davantage de facilités de crédits et en leur apportant conseil, notamment pour les petites entreprises. Le but étant de les aider à mettre en place un bon plan d'investissement qui dopera leur croissance. D'ailleurs, le bureau que nous avons récemment ouvert à Tanger se penche sur ces deux priorités, à savoir la création d'emploi et les PME. Nous n'allons pas nous limiter à cela. Nous voulons et pouvons faire plus dans ce sens. Le deuxième domaine identifié n'est tout autre que l'économie verte, un secteur qui représente à ce jour 41% des investissements de la BERD. Nous avons convenu avec les membres du gouvernement d'œuvrer davantage pour que le Maroc assoie son positionnement dans ce secteur. Par ailleurs, nous nous inscrivons pleinement dans le processus de la régionalisation avancée engagé par le Maroc. Nous appuyons les efforts du Royaume, notamment pour la promotion de l'économie locale, et ce en dédiant des programmes spécifiques aux femmes chefs d'entreprises et encourageant l'emploi des jeunes. Certes, ce sont des projets à petite échelle, mais nous avons également dans le pipe des projets de plus grande envergure comme ceux que nous déclinons pour le secteur privé qui couvre deux tiers de nos financements. Après avoir investi 300 millions d'euros en 2017 au Maroc, quelles sont vos prévisions d'investissement pour 2018? Et qu'en est-il des nouvelles lignes de crédits que vous comptez ouvrir au Maroc ? La BERD dispose d'assez de marge en termes de capitaux disponibles à l'investissement. Les montants à allouer dépendront de la demande des entreprises marocaines privées soient-elles ou publiques. Nos aspirations d'investissement au Maroc sont grandes. Nous souhaitons pour les prochaines années que le Maroc soit classé parmi les 5 premiers pays d'investissement de la BERD sachant qu'il est actuellement à la 12ème place en termes d'investissement, et ce en cinq ans uniquement. Il est utile de préciser que la BERD offre une large palette d'instruments financiers. Nous pouvons financer l'économie réelle non seulement à travers des lignes de crédits mais également directement auprès des entreprises. Le Maroc est en passe de devenir une plaque tournante de l'investissement en Afrique. Comment la BERD accompagnera-t-elle le Royaume dans cette expansion régionale ? C'est l'un des points abordés avec les membres du gouvernement. Dans l'histoire de la BERD, il y a eu 4 extensions géographiques d'abord vers la Mongolie, la Turquie, le Mena et dernièrement en Grèce et Chypre. Nos équipes sont bien rodées et disposent d'un business model qui s'adapte à ces extensions géographiques. L'Afrique serait potentiellement une cinquième extension de la BERD avec un leadership du Maroc. Le Royaume a réellement une position de leadership tout à fait éclairée dans ce sens. Le renforcement de notre présence en Afrique sera débattu lors de nos prochaines réunions avec les 68 pays actionnaires de la BERD. D'ailleurs plusieurs pays membres dont la Tunisie, l'Egypte et la Jordanie souhaitent que la BERD ait plus d'activité en Afrique, notamment dans la région subsaharienne où ils ne sont pas présents à l'heure actuelle. Revenons à votre appui au chantier de la régionalisation avancée. Vous avez conclu récemment avec la région de Casablanca-Settat un partenariat pour le développement de l'intégration intrarégionale. Ce modèle de collaboration sera-t-il répliqué dans d'autres régions du Maroc? Puisque nous sommes basés dans la capitale économique, nous avons identifié Casablanca- Settat, première région économique du pays, comme partenaire principal. Mais nous explorons avec d'autres présidents de régions des horizons de partenariats afin de répliquer la même approche. L'idée étant d'apporter notre expertise au secteur privé, notamment les PME, et également d'accompagner ces régions dans l'implémentation de leur plan de développement. Le bureau de Tanger est ouvert depuis quelques mois. Quelle évaluation faites-vous des actions menées dans la région ? De même, verra-t-on prochainement de nouveaux bureaux de la BERD au Maroc ? Les choses se passent très bien à Tanger et nous en sommes ravis. En ce qui concerne notre expansion au Maroc, l'ambition est là. Nous souhaitons en effet ouvrir d'autres bureaux au Maroc pour appuyer davantage le secteur de la PME. Nous comptons procéder progressivement. Cela pourra se faire au cours des 12 ou 15 prochains mois. Mais avant, nous essayons à ce stade de comprendre les exigences des PME et d'identifier les régions où le besoin est plus criant.