Pour la première fois depuis son adhésion à la Ligue arabe, l'Algérie n'enverra à un sommet de l'organisation aucun représentant au niveau ministériel, signe manifeste d'un malaise diplomatique persistant du régime d'Alger à l'égard des orientations politiques de l'alliance panarabe et de son isolement régional. Selon des sources gouvernementales citées par des médias proches du Qatar, les autorités algériennes ont notifié au secrétariat général de la Ligue arabe (LA) ainsi qu'à l'Irak, pays hôte du sommet prévu samedi à Bagdad, que leur délégation serait dirigée par Mohamed Soufiane Berrache, ambassadeur d'Algérie au Caire et représentant permanent auprès de la Ligue arabe. Ce dernier représentera le chef de l'Etat, Abdelmadjid Tebboune. Cette décision remplace la délégation initialement conduite par le ministre des affaires étrangères Ahmed Attaf et le ministre du commerce extérieur Kamel Rezig, dont les déplacements ont été annulés in extremis, officiellement en raison d'«engagements internes.» Il s'agit d'un précédent inédit : l'Algérie, qui avait toujours été représentée, au minimum, par un ministre des affaires étrangères, affiche ici une inflexion sans équivoque de sa posture protocolaire. Lors des sommets récents, elle avait été représentée tantôt par le président Tebboune, tantôt par le premier ministre (comme à Riyad en 2023), ou par le chef de la diplomatie (à Manama en 2024). Cette inflexion intervient après plusieurs épisodes de frictions au sein de la LA, notamment lors du sommet extraordinaire du Caire en mars, au cours duquel Alger avait publiquement exprimé sa désapprobation face à ce qu'elle considérait comme des résolutions imposées par un cercle restreint d'Etats, au détriment d'une concertation inclusive. Officiellement, aucun lien n'a été établi entre ce déclassement protocolaire et une quelconque tension spécifique. Toutefois, certains éléments laissent entrevoir un arrière-plan plus large. En février, le ministre irakien des affaires étrangères Fuad Hussein, en déplacement à Rabat, avait apporté son appui à la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental, sujet d'une extrême sensibilité pour l'Algérie. Un impair protocolaire a, de surcroît, entaché la phase préparatoire du sommet. La première invitation adressée au président Tebboune avait été remise par un simple chargé d'affaires à un fonctionnaire algérien de rang intermédiaire, ce que d'aucuns à Alger ont interprété comme un camouflet diplomatique. Une visite rectificative a été organisée le 29 avril par le vice-premier ministre irakien, porteur d'une invitation officielle en bonne et due forme. Depuis l'accueil du sommet de 2022 à Alger, le président Tebboune a systématiquement décliné les invitations à toutes les sessions ordinaires ou extraordinaires de la Ligue arabe, qu'il s'agisse des réunions de Riyad, de Manama ou des deux rencontres tenues à Djeddah en novembre 2023. Cette abstention persistante trouve un écho dans une campagne virale relayée fin avril sur les réseaux sociaux, sous le mot-clé «Tebboune, ne va pas en Irak». La télévision publique algérienne a largement amplifié ce mot d'ordre, le présentant comme un témoignage de sollicitude envers le président, dans un contexte régional marqué par l'instabilité. Toutefois, cette agitation populaire renvoie également à une mémoire collective douloureuse : la mystérieuse maladie du président Houari Boumédiène, contractée peu après une visite à Bagdad en 1978, ou encore la mort de l'ancien ministre des affaires étrangères Mohamed Seddik Benyahia, abattu en vol par un missile irakien en 1982 alors qu'il menait une mission de médiation entre Téhéran et Bagdad.