Le gouvernement affiche un bilan en demi-teinte dans sa bataille contre l'économie informelle. En annonçant la régularisation de plus de 86 000 commerçants ambulants, le ministre de l'Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, a tenté de démontrer que le Royaume avance dans la mise en ordre d'un secteur tentaculaire qui échappe depuis des décennies à tout contrôle fiscal, économique et social. Mais derrière ces chiffres, la réalité reste plus complexe, et le chantier, loin d'être maîtrisé. Avec ses étals de fortune, ses charrettes débordant de marchandises et ses milliers de vendeurs informels déployés dans les artères du pays, le commerce de rue s'est érigé en véritable écosystème parallèle. Un univers toléré, parfois encouragé à des fins de paix sociale, mais dont les répercussions économiques inquiètent désormais les autorités. Car derrière cette dynamique populaire, ce sont des milliards de dirhams qui échappent chaque année à l'impôt et à la traçabilité. Le programme présenté par Mezzour s'inscrit dans une stratégie plus large de structuration de ce secteur, porté par l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH). En tout, près de 124 000 commerçants ambulants ont été recensés par les autorités locales, mais seuls les trois quarts auraient effectivement bénéficié d'une intégration formelle à ce jour. Un succès apparent, mais loin de couvrir l'ensemble d'un marché dont les acteurs continuent de se multiplier, notamment sous l'effet de la crise économique et du chômage urbain. Lire aussi : L'OCDE alerte sur le chômage élevé et l'omniprésence du secteur informel au Maroc Le ministre défend cependant une approche pragmatique. « Le commerce de rue n'est pas une nuisance », plaide-t-il, qualifiant ces activités de "magasins de proximité" au service des besoins quotidiens des populations défavorisées. Pour répondre à ce paradoxe, le gouvernement mise sur le statut d' »auto-entrepreneur« , censé offrir une couverture sociale minimale et un régime fiscal allégé. Une solution qui, si elle a permis de légaliser une partie des vendeurs, reste insuffisante face à l'ampleur du phénomène. Car dans les faits, le secteur informel continue de peser lourdement sur les équilibres économiques du pays. Avec 1,6 million d'actifs mobilisés, soit 15,6 % de la population active, le commerce et la distribution représentent une part essentielle de l'économie marocaine. Mais l'absence de réglementation pour une large frange des acteurs crée une concurrence déloyale pour les commerçants établis, fragilise les recettes fiscales et alimente une économie grise dont le Maroc peine à mesurer l'étendue réelle. Les évaluations du Conseil économique, social et environnemental confirment les limites de la stratégie actuelle : manque d'espaces dédiés, résistances des commerçants, pression foncière dans les centres urbains... Autant d'obstacles qui freinent la mise en place de solutions viables. Mezzour en appelle désormais aux collectivités locales pour affiner leurs dispositifs, en intégrant notamment une meilleure gestion des chaînes d'approvisionnement, souvent informelles elles aussi, et à multiplier les alternatives encadrées. À Rabat, Casablanca ou Marrakech, les plans municipaux de réorganisation des vendeurs ambulants peinent pourtant à convaincre. Souvent perçus comme des opérations de façade ou des sources de tension sociale, ces projets révèlent l'impasse dans laquelle se trouve l'Etat : régulariser sans briser les équilibres précaires d'un secteur qui reste, pour beaucoup, une échappatoire à la précarité. Le gouvernement peut-il encore inverser la tendance sans provoquer une onde de choc sociale ? Une certitude s'impose : tant que le secteur informel échappera à une réforme de fond, le Maroc continuera de perdre chaque année une part substantielle de ses recettes fiscales et de sa compétitivité économique.