L'affaire d'espionnage Pegasus «consisterait-elle en une entreprise journalistique manipulée, dévoyée ?» Dans sa contre-enquête, le journaliste français Alain Jourdan, un des premiers ayant constaté des anomalies dans la liste des 50 000 numéros de téléphone prétendument espionnés, décortique «un écosystème de lobbyistes et d'ONG proches du gouvernement américain», et un logiciel qui «a fait l'objet de tentatives d'acquisition et de disputes extrêmement vives entre les services de renseignement de différents Etats.» Dans un entretien accordé au site Mondafrique, Alain Jourdan conteste vivement la liste des 50 000 cibles dévoilée par Amnesty et Citizen Lab, avec une pointe d'ironie : «Et encore, ce chiffre de 1 000 reste très exagéré. En définitive, il n'y aurait peut-être qu'une trentaine de téléphones infectés... Les rares spécialistes qui ont mené des contre-enquêtes se demandent comment cette liste a été compilée et par qui. Pour commencer, il n'a jamais été prouvé qu'Emmanuel Macron ait pu être espionné», a-t-il déclaré, citant Runia Sandwik, ancienne responsable de la sécurité informatique du New York Times, ayant constaté que «personne ne sait donc, jusqu'à présent, d'où vient la liste par laquelle le scandale Pegasus Project a été fabriqué de toutes pièces pour s'attaquer au Maroc, en particulier.» Une liste bidon, informations invérifiées M. Jourdan affirme que Le Washington Post et Le Guardian ont constaté «que des numéros de téléphone fixe sont cités par le consortium de journalistes, or Pegasus n'a vocation qu'à cibler des téléphones portables. Autre erreur aussi ridicule concernant les téléphones américains. C'était tout simplement impossible de les écouter : les Etats-Unis avaient imposé à la société israélienne NSO Group de programmer Pegasus de manière qu'il soit incapable de cibler les numéros américains.» Le journaliste émet l'hypothèse d'un travail élaboré en coulisses et relayé en seconde main sans vérification. «En raison de la situation économique, les journaux n'ont plus les moyens de financer des cellules d'enquêtes. C'est devenu bien pratique (et très peu onéreux) de reprendre clé en main des sujets qu'ils n'ont pas traité. Comme le grand public n'y prête pas attention, ils laissent croire que ce sont leurs propres informations. Les publications sont réduites à n'être plus que des agents traitants. Elles ne choisissent plus leurs sujets et acceptent de ne plus avoir la capacité de vérifier leurs informations. Les journalistes sont les premières victimes de cette situation, je ne leur jette surtout pas la pierre», a-t-il pointé. Derrière Pegasus, c'est surtout le Maroc qui est visé M. Jourdan rappelle que «le logiciel Pegasus de NSO n'est pas unique en son genre. Il existe Candiru, Reign, Predator. Il y a une bonne dizaine de logiciels qui sortent du lot, par leur grande efficacité et surtout par la confidentialité qu'ils permettent à leur utilisateur. Pourquoi l'opération ne s'est-elle focalisée que sur Pegasus ? Ces révélations n'avaient-elles pas aussi pour objectif d'empêcher le rachat de NSO, d'en faire chuter sa valeur ? Malheureusement, les journaux non seulement n'enquêtent plus, mais et ils croient dur comme fer à la grandeur d'âme des lanceurs d'alerte», a-t-il reconnu. «De nombreux pays sont eu recours aux services de l'entreprise israélienne, de l'Azerbaïdjan, au Mexique, en passant par la Hongrie et l'Inde. 14 des 27 pays membres de l'UE ont travaillé avec NSO, Pourquoi vise-t-on principalement le Maroc ? S'il l'on en croit l'affaire Pegasus, le royaume serait le plus boulimique, avec pas moins de 10 000 téléphones écoutés ! Même en s'appuyant sur l'intelligence artificielle, cela demanderait un travail phénoménal. Il faut pratiquement mettre quatre fonctionnaires par téléphone piraté ! Or, il n'existe aucune preuve que le Maroc ait fait appel à NSO», souligne le journaliste qui évoque «l'efficacité» des services secrets marocains. Et de conclure : «Je constate simplement que derrière toute cette opération, il se cache plusieurs entités qui cherchent à déstabiliser le Maroc, en enveniment ses relations avec la France, en remettant en cause sa présence dans l'ancien Sahara espagnol, en s'opposant aux accords d'Abraham et aux relations diplomatiques entre le Maroc et Israël. Je ne fais que mettre l'accent sur le rôle trouble de certaines ONG qui, loin d'être indépendantes, sont, en fait, des soldats d'une guerre économique mondiale.»