Du 1er au 4 avril 2025, la ville de Rio de Janeiro a accueilli l'édition quadriennale du LAAD (Latin America Aerospace and Defence), principal salon militaire d'Amérique latine. Dans ce théâtre d'armements, de protocoles et de tractations feutrées, l'Inde a dévoilé pour la première fois sur le continent sud-américain son véhicule blindé WhAP 8×8 (Wheeled Armoured Platform), issu d'une conception conjointe entre la DRDO (Defence Research and Development Organisation) et le groupe TASL (Tata Advanced Systems Limited). Ce blindé amphibie à huit roues motrices, conçu pour opérer sur des terrains escarpés, a été présenté dans plusieurs de ses configurations : transport de troupes, commandement, reconnaissance et version dotée d'une tourelle téléopérée de 30 mm. Son architecture modulaire, sa capacité à franchir cours d'eau et obstacles, et sa compatibilité avec divers systèmes de combat en font un engin apte à répondre aux besoins d'armées recherchant souplesse, robustesse et efficacité logistique. Mais c'est au-delà de cette démonstration technologique que se joue l'essentiel : en septembre 2024, le Maroc a conclu un accord décisif portant sur l'acquisition de 150 unités de ce blindé, assorti d'une option pour 400 supplémentaires. L'entente prévoit, en outre, la création d'un site d'assemblage à Casablanca, destiné à produire localement une centaine de véhicules par an, à compter de fin 2025. Des équipes d'ingénieurs marocains sont actuellement en cours de formation en Inde, afin d'assurer un transfert technique effectif. Ce contrat, l'un des plus significatifs jamais passés entre Rabat et New Delhi dans le domaine de la défense, place Rabat dans une position singulière : non plus simple acquéreur, mais partenaire dans une architecture industrielle appelée à s'inscrire dans la durée. À terme, le site casablancais pourrait desservir d'autres armées africaines, offrant au Maroc un levier inédit de rayonnement technologique et stratégique. Côté indien, cette avancée s'insère dans la doctrine du programme «Aatmanirbhar Bharat» («Inde autosuffisante»), pilier de la reconquête industrielle entreprise par New Delhi. Loin de se limiter à la substitution des importations, ce projet œuvre— sans jamais se déclarer comme tel — à faire de l'Inde un pourvoyeur de technologies militaires auprès de nations soucieuses d'échapper à la dépendance exclusive envers les puissances euro-atlantiques. À travers cette double opération — déploiement diplomatique à Rio, concrétisation industrielle à Casablanca — c'est une cartographie nouvelle des échanges stratégiques qui se dessine, fondée non sur la puissance imposée, mais sur l'équilibre des besoins, la réciprocité des savoir-faire et l'émancipation des dépendances anciennes. Le WhAP 8×8 incarne cette inflexion discrète mais résolue. Il ne s'agit plus d'exporter une machine, mais de proposer une capacité. Et dans cette mue silencieuse, le Maroc, désormais, n'est plus à la périphérie : il en est l'un des pivots.