L'idée d'un référendum, centre du mandat onusien, apparaît désormais impraticable à maints égards, voire irréalisable. Outre l'extrême difficulté à établir des listes électorales consensuelles, l'histoire des tribus sahraouies — principalement issues de la migration arabe des Beni Hassan, invités au XIIIe siècle par les Almohades pour contrebalancer les confédérations amazighes — brouille la notion même de peuple sahraoui homogène et éligible à l'autodétermination. La pérennité de la mission des Nations unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara (Minurso) a créé des remises en cause croissantes, à la lumière d'une trajectoire géopolitique désormais favorable au plan d'autonomie marocain, soutenu par un nombre croissant de puissances occidentales. Un soutien diplomatique réaffirmé à Rabat À Washington, la récente visite du ministre marocain des affaires étrangères, Nasser Bourita, auprès du secrétaire d'Etat américain Marco Rubio et du conseiller à la sécurité nationale Mike Waltz, a confirmé l'ancrage de cette évolution diplomatique. Le Département d'Etat a réaffirmé que les Etats-Unis «reconnaissent la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental» et considèrent «le plan d'autonomie proposé par Rabat comme la seule base sérieuse, crédible et réaliste pour une solution juste et durable.» Une déclaration accompagnée d'un appel pressant à «entamer sans délai» des négociations, hors du cadre onusien traditionnel, qualifié par certains de stérile. Le sénateur Rubio a même offert la médiation américaine, laissant entendre que l'issue de ce différend colonial quinquagénaire pourrait résider en dehors des mécanismes multilatéraux hérités de la Guerre froide. Une mission désincarnée et dépourvue de levier Créée en 1991 par la résolution 690 du Conseil de sécurité, la Minurso avait pour mandat initial d'organiser un référendum permettant aux populations sahraouies de choisir entre indépendance et rattachement au Maroc. Or, ce scrutin n'a jamais vu le jour et la mission s'est progressivement muée en simple garant d'un cessez-le-feu formel, observé depuis plus de trois décennies, mais vidé de toute perspective politique. « La Minurso est restée spectatrice, même lors des escarmouches récentes le long du mur de sable », écrit Sarah Zaaimi, chercheuse principale à Atlantic Council. L'émissaire du scrétaire général des Nations unies pour le Sahara, Staffan de Mistura, nommé en 2022, semble lui-même avoir pris acte de l'inanité de ses fonctions. Mme Zaaimi relève que «l'Italien s'est déclaré prêt à démissionner à l'automne 2024, invoquant son impuissance face à un Maroc conforté par un appui international massif et une Algérie inflexible dans son soutien au Polisario.» Son ultime proposition — «le partage du Sahara occidental entre les belligérants» — a été perçue comme une sortie de route, révélant encore la vacuité d'une mission onusienne jugée «obsolète», grevant un budget annuel de 61 millions de dollars, majoritairement financé par les Etats-Unis. Zones grises et trafics illicites En dépit de la persistance des tensions, la Minurso n'a pu contenir l'expansion de réseaux criminels opérant dans la région. Le renseignement, l'observation ou les rapports de situation restent ses seules fonctions visibles, tandis que les forces marocaines et algériennes assurent seules le contrôle des axes sensibles. Le mirage du référendum Quant au projet initial de référendum, Mme Zaaimi le qualifie d'«irréalisable, fondé sur des mythes persistants.» Elle rappelle que «les tribus hassanies, souvent revendiquées comme Sahraouies, sont en réalité issues de migrations arabes du XIIIe siècle, installées par les Almohades pour contrebalancer les confédérations amazighes.» L'hétérogénéité démographique, les déplacements internes et l'incertitude sur l'origine de nombreux habitants des camps de Tindouf rendent impossible l'établissement de listes électorales acceptables par toutes les parties. Dès lors, «la Minurso n'a jamais été en mesure d'organiser un référendum légitime», conclut-elle. Un changement d'ère dans la stratégie marocaine Sur le terrain, l'évolution est manifeste. Mme Zaaimi évoque «un abandon de l'approche sécuritaire brutale des années 1990 au profit d'une politique de développement régional ambitieux», nourrie par des projets tels que le port de Dakhla Atlantique, estimé à 1,2 milliard de dollars, pilier de la stratégie atlantique du Maroc. Interrogés lors d'un reportage dans les villes de Dakhla, Laâyoune et Boujdour, «de nombreux habitants sahraouis, issus de la tribu Oulad Dlim, se disent épuisés par un conflit quinquagénaire et enclins à rechercher une forme de stabilité sous souveraineté marocaine.» La formule d'autonomie proposée en 2006 leur semble aujourd'hui préférable à l'attente sans fin d'un référendum impossible. Vers la fin d'un statu quo coûteux En définitive, Mme Zaaimi plaide pour une décision claire : «Après trente-quatre années d'atermoiements, la Minurso a trahi les espoirs qu'elle avait nourris. Elle doit être démantelée pour permettre enfin à un processus politique viable de prendre forme.» Et de citer Robert D. Kaplan : «Les frontières ne sont pas que des lignes sur une carte ; elles traduisent des rapports de force.» La géographie du pouvoir, aujourd'hui, semble se dessiner sans les Nations unies.