Neuf années après le prononcé de sa liquidation judiciaire, la raffinerie de pétrole Samir, unique complexe de raffinage du Maroc, demeure invendue, en dépit d'un prix de départ établi à 2,1 milliards de dollars (environ 21 milliards de dirhams) et d'une quarantaine d'offres exprimées au fil des ans. Ce blocage prolongé, sans précédent dans les annales économiques nationales, résulte d'un enchevêtrement d'obstacles techniques, juridiques et politiques qui entravent toute issue favorable à ce dossier devenu emblématique de l'atonie du secteur de l'énergie de transformation. Fondée en 1959 sous l'égide conjointe de l'Etat marocain et du groupe italien ENI, Samir — Société anonyme marocaine de l'industrie du raffinage — avait, avant son arrêt en 2015, vocation à couvrir jusqu'à 64 % des besoins du pays en produits raffinés, à partir de pétrole brut importé. Son implantation dans la ville portuaire de Mohammedia en faisait un pilier de l'économie locale, mobilisant directement et indirectement plusieurs milliers de postes de travail. Aujourd'hui, ses cuves, d'une capacité d'environ deux millions de mètres cubes, demeurent inutilisées, tandis que ses installations industrielles, bien que jugées encore opérationnelles, nécessiteraient quelque 300 millions de dollars (environ trois milliards de dirhams) pour retrouver leur pleine capacité productive. Un actif stratégique dans l'attente d'une vision d'Etat Selon Elhoussine Elyamani, secrétaire général du Syndicat national du pétrole et du gaz, affilié à la Confédération démocratique du travail (CDT), interrogé par Asharq Business, «le raffinage exige une vision de long terme. Aucun investisseur ne saurait engager de tels capitaux sans garanties sur la stratégie étatique dans ce domaine.» Depuis sa mise en liquidation en 2016, Samir, grevée de dettes supérieures à 4 milliards de dollars (plus de 40 milliards de dirhams) — notamment envers l'administration des douanes et plusieurs établissements bancaires marocains —, fait l'objet d'un processus judiciaire complexe. L'actionnaire principal, l'homme d'affaires saoudien Mohammed Al Amoudi, dont la société Corral Petroleum Holdings (Suède) détenait 67 % du capital, a engagé en 2018 une procédure d'arbitrage international contre le Royaume devant le Cirdi (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements), relevant du groupe Banque mondiale. En novembre 2023, cette instance a tranché en faveur d'un dédommagement limité à 150 millions de dollars (soit 1,5 milliard de dirhams), bien inférieur aux 2,7 milliards exigés par le plaignant (environ 27 milliards de dirhams). Rabat, refusant de s'y soumettre sans recours, a déposé une demande de sursis à exécution, assortie d'une requête en annulation. D'après une source gouvernementale citée sous anonymat par Asharq Business, «le jugement définitif reste en suspens ce qui obère les chances de conclure une vente à court terme.» En parallèle, le tribunal de commerce de Casablanca reconduit tous les trois mois les contrats de travail des employés encore liés à l'entreprise. Une mesure interprétée comme le signe d'un attachement tacite à l'éventualité d'un redémarrage, jugé préférable à un démantèlement partiel des actifs. «Un rachat intégral de la raffinerie offrirait de meilleures garanties de relance rapide et de mobilisation de capitaux significatifs», assure la même source. Les coûts d'importation des produits pétroliers raffinés, estimés à environ 12 milliards de dollars (soit 120 milliards de dirhams) en 2024, continuent de peser lourdement sur la balance commerciale du pays, malgré un repli modeste de 6,5 % par rapport à l'année précédente, selon les chiffres de l'Office des changes. Avec une consommation nationale avoisinant les 10 milliards de litres par an, la différence entre le brut et les produits finis équivaudrait, selon le SNP, à une économie potentielle de deux milliards de dollars (environ 20 milliards de dirhams) par an en cas de reprise des activités de Samir. Dans un communiqué publié à l'issue de la sentence arbitrale, le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable a mentionné «un projet en étude pour redonner vie au site de Mohammédia», sans en divulguer le contenu. Nadia Fettah Alaoui, ministre de l'économie et des finances, s'est, quant à elle, limitée à affirmer que «le Royaume mobilise ses efforts pour faire émerger une filière énergétique et pétrochimique nationale compétitive, tout en affirmant sa vocation dans le domaine des énergies nouvelles, notamment l'hydrogène.» Dans cette attente, la question du devenir de Samir reste suspendue à une double clarification : l'issue du contentieux international d'une part, et la formulation d'un horizon industriel lisible de l'autre. Le projet de relance, s'il devait voir le jour, pourrait permettre de réintégrer jusqu'à 4 500 emplois directs et indirects selon les projections du SNP. En l'absence de repreneur, plusieurs voix militantes ont plaidé en faveur d'une nationalisation partielle ou d'un financement par souscription populaire, deux hypothèses jusqu'ici écartées par l'exécutif.