La Chambre des conseillers a adopté, mardi 6 mai, à la majorité, le projet de loi n°33.22 relatif à la protection du patrimoine. Un texte ambitieux qui redéfinit en profondeur les catégories patrimoniales et inscrit la préservation culturelle dans une perspective élargie aux enjeux naturels, immatériels et géopolitiques. À l'heure où le patrimoine marocain suscite un intérêt grandissant sur la scène internationale, le Royaume franchit une nouvelle étape législative majeure pour mieux encadrer sa préservation. En séance législative, la Chambre des conseillers a voté mardi, à une large majorité (32 voix pour, 3 abstentions), le projet de loi n°33.22 relatif à la protection du patrimoine. Ce texte vient répondre à un vide juridique souvent dénoncé par les professionnels de la culture, tout en alignant les définitions et les outils de protection sur les standards de l'UNESCO. Une redéfinition globale du patrimoine présentée par le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, Mustapha Baitas, au nom du ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaid. Le texte élargit sensiblement le spectre de ce qui peut désormais être protégé. Il introduit ainsi une série de nouvelles définitions portant sur le patrimoine culturel, naturel, géologique, subaquatique, ainsi que sur le patrimoine culturel immatériel. L'objectif affiché est de doter le Maroc d'un cadre juridique cohérent, en phase avec les normes internationales. Parmi les innovations les plus notables figure la reconnaissance du patrimoine culturel subaquatique, une première dans le droit marocain. Sont concernés les vestiges humains, objets ou structures immergés depuis au moins cent ans, comme les épaves ou les ports anciens engloutis. Ce volet reflète une volonté claire d'élargir le périmètre de conservation à des espaces peu explorés jusqu'ici, et souvent vulnérables face aux pillages ou aux trafics illicites. Le projet de loi introduit aussi le concept de groupes historiques, à savoir des entités constituées de biens immobiliers bâtis ou non bâtis, présentant un intérêt par leur valeur architecturale, historique ou identitaire. Médinas, villages anciens, ksours et kasbahs pourront ainsi bénéficier d'un statut juridique renforcé. Un rempart contre les appropriations culturelles Le texte ne se contente pas d'étendre les catégories : il rebat également les cartes de la gouvernance patrimoniale. Un registre national d'inventaire du patrimoine sera institué, regroupant des bases de données spécifiques pour les différentes formes de patrimoine : immobilier, mobilier, immatériel, subaquatique, naturel et géologique. Cette centralisation vise à améliorer la traçabilité, la gestion et la transparence dans les décisions de classement et de restauration. Autre nouveauté : l'inclusion du concept de «trésors humains vivants», inspiré de pratiques déjà appliquées au Japon ou en Corée du Sud. Ce mécanisme permettra de reconnaître officiellement des individus détenteurs de savoir-faire ancestraux, assurant ainsi la transmission intergénérationnelle de pratiques culturelles menacées de disparition. La création d'un corpus juridique pour le patrimoine géologique (fossiles, météorites, formations géologiques, etc.) signale également l'ambition de cette réforme de couvrir l'ensemble des formes patrimoniales, au-delà de l'architecture et des arts. Il s'agit de protéger non seulement ce qui a été façonné par les sociétés humaines, mais aussi les témoins de l'histoire naturelle du territoire. Au-delà des considérations techniques, ce projet de loi répond à des enjeux stratégiques et identitaires. Ces dernières années, le Maroc a multiplié les démarches auprès de l'UNESCO pour faire inscrire plusieurs éléments de son patrimoine culturel sur la liste représentative du patrimoine immatériel de l'humanité. En parallèle, des tensions ont émergé avec certains pays voisins, notamment l'Algérie, autour de la paternité de certaines traditions artisanales comme le caftan, le zellige ou la musique raï. Dans ce contexte, le projet de loi 33.22 vise aussi à immuniser juridiquement les éléments du patrimoine national contre toute tentative d'usurpation culturelle ou d'appropriation illégitime. En mettant en place des définitions précises, des critères de classement et un inventaire officiel, le Royaume se dote d'outils pour faire valoir ses droits sur la scène internationale et dans les forums culturels multilatéraux. Par ailleurs, à l'approche de la Coupe du monde 2030, coorganisée avec l'Espagne et le Portugal, le pays cherche à valoriser son patrimoine comme un levier d'attractivité touristique et diplomatique. La sécurisation du cadre légal pourrait dès lors constituer un facteur décisif pour des projets de mise en valeur à grande échelle. Une adoption encore partielle dans le processus législatif Si le vote de la Chambre des conseillers constitue une avancée importante, le texte n'a pas encore terminé son parcours. Le projet de loi 33.22 doit désormais repasser à la Chambre des représentants, qui pourrait être amenée à examiner d'éventuels amendements. Ce va-et-vient institutionnel est une étape normale dans l'élaboration des lois au Maroc. Il pourrait permettre de clarifier certaines zones d'ombre relevées par des acteurs de la société civile et du monde académique, notamment sur les modalités concrètes de classement ou d'intervention sur des sites protégés. D'ici là, le ministère de la Culture a indiqué vouloir accélérer la mise en œuvre des mesures réglementaires prévues, notamment la création du registre national et la définition des protocoles de labellisation des «trésors humains vivants». Une dynamique législative que les acteurs du patrimoine espèrent voir se traduire, rapidement, sur le terrain. Sami Nemli / Les Inspirations ECO