Le représentant républicain Joe Wilson a annoncé en avril son intention de déposer un projet de loi pour faire reconnaître le Front Polisario — soutenu activement par l'Algérie — comme organisation terroriste au regard du décret présidentiel 13224. Ce texte, s'il est adopté, marquerait un tournant décisif dans la politique américaine en Afrique du Nord et dans la sécurisation du flanc sud de l'OTAN. Drones iraniens, filières russes et trafic transsaharien Sur le terrain, les ramifications du mouvement sahraoui excèdent désormais la simple rhétorique indépendantiste. Ses forces, estimées à environ 8 000 combattants actifs, bénéficient d'un sanctuaire territorial autour de Tindouf (sud-ouest algérien) où se trouvent également son bureau politique et plusieurs unités à l'échelle de brigades. Cette enclave hors de portée des forces marocaines permet au Polisario d'accumuler des armements, de tester de nouveaux dispositifs et d'entretenir des partenariats extérieurs à l'abri de toute entrave. «L'aide militaire et les subventions algériennes — qui couvrent jusqu'aux budgets de lobbying à Washington — assurent le fonctionnement administratif du groupe et sa masse salariale, sans lesquelles il ne pourrait maintenir une telle infrastructure armée», rappellent Robert Greenway, directeur du Centre Allison pour la sécurité nationale et Amine Ghoulidi, chercheur associé à l'Institut Davis pour la politique étrangère et la sécurité nationale (Fondation Héritage). L'Iran joue, lui aussi, un rôle croissant dans l'architecture de cette alliance. Le lien idéologique remonte aux années 1980, lorsque des combattants sahraouis s'affichaient publiquement avec le portrait de l'ayatollah Khomeiny. Depuis, la collaboration s'est traduite par l'envoi d'instructeurs du Hezbollah, puis par des transferts d'équipements. En 2022, le «ministre de l'intérieur» du Polisario, Omar Mansour, a reconnu publiquement que ses troupes s'entraînaient à l'assemblage et à l'usage de drones armés. Treize mois plus tard, des images diffusées par les canaux officiels du mouvement montraient des munitions identifiées comme de fabrication iranienne. Selon le quotidien allemand Welt, un échange crypté intercepté par les services occidentaux aurait révélé qu'un émissaire du Polisario, Mustafa Muhammad Lemine al-Kitab, «félicitait un interlocuteur du Hezbollah pour l'assaut du 7 octobre à Gaza, et promettait que la résistance s'embraserait au Sahara occidental dès l'arrivée de nouveaux fonds et équipements». Réseaux d'influence russes et économie clandestine Sur le front russe, les convergences idéologiques et opérationnelles se renforcent. Depuis 2015, des délégués du Polisario participent régulièrement aux conférences du Mouvement anti-mondialisation de Russie, piloté par Alexandre Ionov — inculpé aux Etats-Unis pour ses liens avec le FSB. Une photographie prise en 2016 montre le représentant sahraoui à Moscou, Ali Salem Mohamed Fadhel, aux côtés de vétérans séparatistes du Donbass, parmi lesquels Wagner aurait plus tard recruté pour ses opérations au Levant. Bien que les transferts directs d'armes entre le Kremlin et le Polisario n'aient pas été établis, les convois de Wagner aujourd'hui implantés au Mali et au Niger empruntent les mêmes routes désertiques que celles exploitées de longue date par les trafiquants sahraouis. Cette cohabitation logistique suggère un potentiel de coopération qu'aucune instance sécuritaire ne saurait négliger. De fait, ajoute la même source, les connexions du Polisario avec les circuits criminels transsahariens sont anciennes. Drogues, armes et êtres humains circulent entre le Sahel, la Méditerranée et l'Atlantique sous couvert d'une économie parallèle dont les taxes alimentent aussi bien le groupe sahraoui que des entités classées terroristes. «Les commandants sahraouis font passer le haschich vers l'est, la cocaïne vers le nord, les armes libyennes vers l'ouest, avec des redevances reversées à Al-Qaïda au Maghreb islamique», indique un rapport du Centre africain pour les études stratégiques, affilié au Département américain de la défense. Plusieurs études, dont celles de Small Arms Survey (2010) et de la Fondation Carnegie (2012), ont identifié les dépôts d'armes mauritaniens comme étant d'origine sahraouie, et retracé les convois de drogue orchestrés par les réseaux sahraouis, ayant servi à financer des cellules extrémistes dans la région. Une rhétorique radicalisée et une menace assumée À mesure que son arsenal s'est accru, le discours du Polisario s'est radicalisé. En novembre 2021, son agence de presse officielle a publié un communiqué adressé à une quinzaine d'entreprises espagnoles, parmi lesquelles Siemens Gamesa et Acciona — employant des ressortissants américains — les sommant de quitter le Sahara occidental, faute de quoi «le territoire entier serait transformé en feu et en guerre». En avril 2024, a-t-on rappelé, lors d'un forum d'investissement à Dakhla (sud marocain), un émissaire du Polisario a menacé de «pertes humaines et matérielles». Un an plus tard, le groupe a décrété que tout touriste ou investisseur pénétrant dans la région ne serait plus «considéré comme civil ou innocent». Ce positionnement entérine, d'après le rapport, une logique de chantage régional nourrie par ses soutiens. Le 23 décembre 2023, le général Mohammad Reza Naqdi des Gardiens de la Révolution iraniens a prévenu que l'Iran pourrait «fermer la mer Méditerranée et le détroit de Gibraltar» en cas de poursuite des opérations israéliennes à Gaza. Une déclaration qui souligne la valeur stratégique du Sahara occidental dans la doctrine de coercition de Téhéran. L'heure des choix stratégiques pour Washington Le projet de Joe Wilson s'inscrit dans la continuité d'un appui diplomatique américain au projet marocain d'autonomie, qualifié à plusieurs reprises par les deux administrations Trump de «seule solution réaliste». Toutefois, les auteurs du rapport avertissent que «ce cadre diplomatique doit désormais être complété par une réponse sécuritaire à la hauteur de la menace que représente le réseau armé du Polisario, intégré aux circuits des puissances hostiles». Le précédent yéménite est cité en exemple : les Houthis, autrefois perçus comme une simple milice locale, sont devenus en quelques années une force régionale redoutée, appuyée par l'Iran. «Si Washington entend défendre ses intérêts stratégiques en Méditerranée occidentale, il ne peut permettre à l'Afrique du Nord d'emprunter la même trajectoire», écrivent les experts. L'inscription du Front Polisario sur la liste des entités désignées en vertu du décret 13224 permettrait aux Etats-Unis de geler les avoirs concernés, de bloquer les transactions financières, et d'adresser un signal clair aux relais de déstabilisation : «Les menaces émergentes seront traitées avant de se métastaser». «En 1988, Washington a ignoré le signal d'alarme. Recommencer cette erreur aujourd'hui coûterait des vies et des milliards. Il est temps d'agir», concluent les auteurs.