Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.
Lourdes condamnations politiques en Algérie : mais où sont les communiqués, les discours réprobateurs et les lettres ouvertes de RSF et d'Amnesty, qu'on ne voit qu'avec le Maroc ?
Celui qui a lu attentivement le maigre communiqué de Reporters sans frontières (RSF) concernant la condamnation du journaliste français Christophe Gleizes en Algérie, diffusé le 29 juin, a pu relever une phrase singulièrement équivoque : «Nous appelons les plus hautes autorités algériennes à la libération immédiate et inconditionnelle de Christophe Gleizes et les autorités françaises à rechercher dans les meilleurs délais une solution diplomatique et consulaire [à la crise qui perdure entre Alger et Paris depuis juillet 2024]». Signé par Thibaut Bruttin, directeur général de l'organisation, ce passage place sur un pied d'égalité le régime algérien, auteur du verdict, et la diplomatie française, sommée de rechercher une issue. Faut-il comprendre que la charge diplomatique se déplace du Quai d'Orsay vers RSF ? Ou que cette dernière, en réclamant une solution consulaire, suggère à la République française d'agir dans le cadre et dans le respect du dispositif algérien ? La phrase, outre son ambiguïté, interroge quant à la nature exacte des intérêts désormais défendus par l'organisation et la complicité qu'elle entretient avec certains régimes autoritaires. Condamnations en Algérie : une géométrie variable du soutien Le dossier Gleizes a reçu une attention distance de RSF, qui y voit un procès d'intention fondé sur la seule qualité de journaliste en lien indirect avec des contacts anciens et publics avec le responsable d'un club de football également membre du Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie (MAK). Cette force politique ne exil, classée organisation terroriste par l'Algérie en 2021, était à l'époque des échanges — en 2015 et 2017 — un acteur légal et non poursuivi. Le contrôle judiciaire auquel M. Gleizes était soumis depuis mai 2024 avait déjà fait l'objet de signalements répétés de la part de RSF, qui avait dénoncé une forme de rétention arbitraire. À l'inverse, Boualem Sansal, de nationalité française, écrivain reconnu et âgé de quatre-vingts ans, a été arrêté dès son arrivée à l'aéroport d'Alger, le 16 novembre 2024. Il a été condamné en première instance en mars 2025 à cinq années de réclusion pour atteinte à l'unité nationale, une décision confirmée en appel le 1er juillet, sans amendement. Les propos à l'origine des poursuites relevaient d'une analyse géopolitique exprimée à l'étranger, dans un cadre intellectuel non militant. Atteint d'un cancer de la prostate selon ses proches, l'écrivain n'a bénéficié d'aucune réaction publique de la part de RSF ni d'Amnesty International (AI), malgré sa nationalité française, son état de santé et les circonstances du procès. Tolérance zéro pour Rabat, silence méthodique pour Alger Cette dissymétrie d'exposition devient plus manifeste encore lorsqu'on la compare aux positions tenues par les mêmes organisations dans les affaires judiciaires marocaines. Depuis plusieurs années, RSF et AI publient régulièrement des alertes sur les poursuites engagées au Maroc à l'encontre de journalistes ou de blogueurs, y compris dans des affaires de droit commun ou de diffamation. Les procès de personnes accusées d'agressions sexuelles, de fraude ou d'atteinte à la sécurité intérieure, lorsqu'ils concernent des figures au lourd passif, font l'objet de réactions systématiques, sans attendre les décisions définitives. Des communiqués sont parfois publiés dans les heures qui suivent une mise en examen ou une garde à vue. Ce principe d'intervention rapide et sans réserve ne semble toutefois pas s'appliquer aux procédures ouvertes en Algérie, même lorsque les accusés sont de nationalité française, que les faits reprochés relèvent de l'expression intellectuelle ou que l'état de santé du condamné est connu. Vers un standard différencié de la vigilance militante La non-inclusion de Boualem Sansal dans la vague de grâces présidentielles annoncée par Alger le 4 juillet — pourtant évoquée publiquement par François Bayrou — n'a provoqué aucune prise de position militante. Dans son communiqué, la présidence algérienne a précisé que les personnes condamnées de manière définitive pour atteinte à l'unité nationale étaient expressément exclues. Cette précision visait implicitement le romancier, dont le verdict en appel venait d'être confirmé. Son avocat, Pierre Cornut-Gentille, a indiqué qu'un pourvoi en cassation était en cours d'examen. Plusieurs spécialistes du droit international soulignent désormais une forme de hiérarchisation militante, dans laquelle le degré d'indignation publique ne dépend plus uniquement de la gravité des faits reprochés, mais du pays où ils se produisent. Si la condamnation d'un journaliste pour ses enquêtes au Maroc déclenche une mobilisation immédiate et suivie, celle d'un écrivain français malade, poursuivi pour ses idées en Algérie, peut passer entièrement sous silence. Rabat sait déjà à quoi s'en tenir.