La lourde peine infligée à l'écrivain de 80 ans, malade, accentue les tensions entre Alger et Paris dans un contexte diplomatique déjà empoisonné. L'affaire marque aussi un tournant inquiétant dans l'attitude d'un Etat de plus en plus autoritaire, prêt à condamner sévèrement l'expression d'une pensée dissidente, même issue de figures culturelles reconnues. Alger n'a pas fléchi. La cour d'appel de la capitale algérienne a confirmé, mardi 1er juillet, la peine de cinq ans de prison ferme prononcée en première instance contre l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Âgé de 80 ans et atteint d'un cancer, l'auteur a été reconnu coupable notamment d'« atteinte à l'unité nationale », pour des propos tenus en octobre 2024 sur la chaîne française Frontières, classée à l'extrême droite, dans lesquels il suggérait que l'Algérie aurait hérité de territoires marocains durant la colonisation française. « Le verdict du tribunal de première instance a été confirmé. Vous avez huit jours pour introduire un pourvoi en Cassation », a déclaré la présidente de la cour, après avoir lu la décision en arabe, avant de s'adresser à l'écrivain en français. Me Pierre Cornut-Gentille, nouvel avocat de Boualem Sansal et récemment arrivé à Alger, s'est refusé à tout commentaire sur la suite procédurale : « Je n'ai pas de déclarations à faire, je dois rendre visite à mon client pour discuter avec lui d'un éventuel pourvoi ». Selon la défense, l'état de santé de Boualem Sansal reste « stable » malgré sa détention. Le jugement rendu par le tribunal de Dar El Beida, fin mars, avait déjà soulevé une vague d'indignation dans les milieux littéraires et diplomatiques. Mais sa confirmation en appel cristallise encore davantage les crispations. Au-delà du sort personnel de l'écrivain, ce verdict s'inscrit dans une séquence politique où la répression des voix dissidentes en Algérie s'est intensifiée, au prix d'une mise au pas du champ intellectuel. La figure de Boualem Sansal, romancier reconnu pour son franc-parler et sa critique frontale du régime algérien, dérange depuis longtemps les cercles de pouvoir. Ses déclarations sur les frontières héritées de la colonisation française, bien que provocatrices, relèvent d'une opinion exprimée dans un média étranger. Leur criminalisation soulève des interrogations sérieuses sur la liberté d'expression en Algérie, dans un contexte où les autorités tendent à assimiler toute remise en cause du récit national à une offense grave contre l'Etat. Une détérioration diplomatique sans précédent Cette affaire, devenue emblématique, intervient dans un climat bilatéral extrêmement tendu. Depuis la reconnaissance, en juillet 2024, par Emmanuel Macron du plan marocain d'autonomie pour le Sahara – territoire que l'Algérie considère comme devant accéder à l'indépendance – les relations entre Paris et Alger se sont enlisées dans une crise profonde. L'arrestation de Boualem Sansal en novembre dernier, en plein centre d'Alger, a été perçue comme un nouvel affront par Paris, déjà bousculé par les décisions unilatérales d'Alger. La brouille diplomatique s'est traduite, ces derniers mois, par des expulsions réciproques de diplomates, une suspension de la coopération consulaire, des restrictions accrues sur les visas diplomatiques, et un gel de fait des relations bilatérales dans plusieurs domaines stratégiques, notamment la défense, la sécurité et l'éducation. Le cas Sansal agit ainsi comme un révélateur de la dégradation des libertés publiques en Algérie et d'une stratégie de crispation du régime, qui n'hésite plus à instrumentaliser la justice pour étouffer toute forme de contestation, y compris littéraire. Si la France a exprimé, lundi, « son profond regret » face à cette condamnation, elle s'est gardée d'exiger explicitement la libération de l'écrivain. Un positionnement mesuré, qui s'explique sans doute par le souci de ne pas envenimer davantage les relations bilatérales. Mais cette réserve soulève des critiques : des voix s'élèvent, en France comme ailleurs, pour dénoncer un abandon implicite de l'un de ses écrivains les plus en vue, dont les livres sont traduits en plusieurs langues et salués sur les deux rives de la Méditerranée. L'affaire Sansal s'ajoute à une série d'atteintes aux droits fondamentaux recensées en Algérie depuis le reflux du mouvement Hirak. Elle marque aussi un tournant inquiétant dans l'attitude d'un Etat de plus en plus autoritaire, prêt à condamner sévèrement l'expression d'une pensée dissidente, même issue de figures culturelles reconnues.