Une analyse comparative des prix de certains médicaments de référence commercialisés au Maroc et en Turquie révèle des écarts allant jusqu'à 808 % sans que ces différences puissent être justifiées ni par la nature du produit, ni par le régime de remboursement, ni par les coûts d'importation. Cette situation, dévoilée grâce à une complainte largement diffusée sur les réseaux sociaux, soulève des questions cruciales quant à la structure des prix pharmaceutiques au Maroc, leur transparence, et l'effectivité des mécanismes de régulation. Une surfacturation systémique : exemples à l'appui Le cas du Baraclude (entécavir 0,5 mg, 30 comprimés) est particulièrement révélateur. Commercialisé à 5 266 dirhams au Maroc, ce médicament antiviral est vendu 580 dirhams en Turquie, soit 8,1 fois moins cher. Cette différence représente une hausse de 808,6 % du prix pour le patient marocain, à traitement équivalent et pour un produit issu du même laboratoire. Autre exemple édifiant : le Relpax (élétriptan 40 mg, 6 comprimés), indiqué dans le traitement aigu de la migraine. Vendu à 251 dirhams au Maroc, il coûte 24 dirhams en Turquie, soit un différentiel de 946 %. Même en tenant compte d'éventuelles taxes d'importation, de frais logistiques ou de marges de distribution locales, de telles disproportions ne peuvent être imputées qu'à un déséquilibre structurel dans les procédures de fixation des prix. Ces écarts ne s'expliquent ni par des différences de formulation, ni par des écarts de qualité, ni par l'existence de versions génériques absentes sur l'un des deux marchés. Une régulation opaque et des prix sans plafonnement effectif Au Maroc, les prix des médicaments sont en principe encadrés par l'arrêté ministériel relatif à la procédure d'homologation des prix publics. En théorie, le prix de vente est censé tenir compte de références internationales, des coûts de production, et de la marge du pharmacien plafonnée par décret. Or, en pratique, la méthode d'établissement des prix demeure largement opaque, et aucun mécanisme de contrôle effectif n'est visible pour les patients. Par ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, les faibles prix constatés en Turquie ne résultent pas d'un système universel de remboursement ou de subventions généralisées. Les prix affichés concernent des patients non assurés, qui paient comptant leurs traitements en officine. Ces tarifs sont donc pleinement comparables à ceux du marché marocain en officine privée, hors Assurance maladie obligatoire. Appel à une refonte complète du dispositif de fixation des prix Face à ces écarts manifestes, les professionnels de santé comme les patients réclament une refonte du cadre réglementaire marocain, de manière à introduire une véritable transparence sur la méthode de fixation des prix par la Direction du médicament, à aligner les tarifs de référence sur des moyennes régionales crédibles (Turquie, Jordanie, Egypte, etc.), à promouvoir l'enregistrement accéléré de génériques véritablement compétitifs, actuellement absents du marché et à publier régulièrement des rapports d'audit sur la politique du médicament, comme le font plusieurs agences régulatrices étrangères. Une logique de cartel en toile de fond Cette flambée des prix, que rien ne semble justifier objectivement, alimente les soupçons d'une entente illicite entre plusieurs maillons de la chaîne pharmaceutique. De nombreux professionnels alertent sur l'existence de marges uniformément surélevées, trahissant de possibles accords informels entre laboratoires d'importation, distributeurs exclusifs et officines. Dans certaines classes thérapeutiques, les écarts dépassent 300 % par rapport à des marchés comparables, sans corrélation claire avec les coûts de production ou de logistique.