L'institution du Médiateur du Royaume a rendu public son rapport annuel pour l'année 2024, dressant un tableau sévère mais rigoureux des carences persistantes dans les rapports entre les usagers et les services publics marocains, tout en réaffirmant son rôle d'intercesseur impartial au service de l'équité et de la rectitude administrative. Ce rapport, adressé au roi Mohammed VI avant la fin du mois de juin conformément à la loi organique n° 14.16 relative à l'institution du Médiateur, articule son propos autour de trois grands volets : l'évaluation quantitative de la demande sociale de médiation, l'analyse qualitative des dérèglements recensés et, enfin, une étude thématique consacrée en 2024 aux droits des personnes détenues et aux obstacles opposés à leur réintégration. L'essor du recours citoyen, miroir d'une défiance tenace L'année 2024 s'est caractérisée par une nette intensification du recours à la médiation institutionnelle. Le rapport fait état de 7 943 dossiers traités, dont une écrasante majorité – plus de 83 % – émanait de personnes physiques ayant saisi l'institution à titre individuel. Parmi ces requêtes, les doléances à caractère administratif, fiscal ou foncier représentent à elles seules plus de 87 % des plaintes. Cette configuration, selon les rédacteurs du rapport, illustre l'ampleur des tensions latentes entre les citoyens et l'appareil administratif, dont les modes opératoires demeurent souvent opaques, rigides ou entachés d'irrégularités. La lecture institutionnelle de ces chiffres va bien au-delà d'un simple relevé arithmétique. «Le recours accru à la médiation révèle moins une confiance spontanée qu'un constat d'impuissance face à la complexité du dispositif administratif», note le rapport dans ses observations liminaires. L'institution y voit le symptôme d'une administration encore trop fréquemment sourde aux demandes légitimes des usagers et encline à invoquer, à tort ou à raison, des motifs de compétence ou de procédure pour ajourner les décisions. Une administration peu encline à suivre les recommandations L'analyse qualitative met en lumière la persistance de décisions entachées d'arbitraire, ou fondées sur une interprétation excessivement restrictive des textes. En dépit des mécanismes d'encadrement prévus par la loi, de nombreux services publics rechignent encore à appliquer les recommandations émises par l'institution. «Le refus de répondre ou l'inertie prolongée face à une requête motivée constituent, en eux-mêmes, une forme d'abus de pouvoir», souligne le document. Le rapport s'attarde longuement sur le traitement réservé aux personnes détenues, en consacrant un dossier spécifique à leurs droits fondamentaux. L'institution y fustige une série d'obstacles administratifs qui compromettent, voire annulent, les chances de réinsertion des anciens condamnés : impossibilité d'accéder à certains emplois publics, entraves à la réhabilitation civile, absence de coordination entre les administrations judiciaire, sociale et territoriale. À cet égard, elle appelle à «une refonte courageuse et lucide des textes en vigueur, dans le respect de la dignité humaine et du principe de proportionnalité». Des territoires inégalement exposés, des citoyens inégalement entendus Sur le plan territorial, l'étude fait apparaître des disparités notables. Si certaines régions comme Rabat-Salé-Kénitra ou Casablanca-Settat concentrent un volume élevé de requêtes, d'autres zones – en particulier les provinces du Sud – demeurent sous-représentées, non pas en raison d'un fonctionnement administratif exemplaire, mais faute d'un accès équitable à l'information et aux services du Médiateur. Cette fracture, déjà signalée dans les précédents rapports, est jugée préoccupante. Les auteurs soulignent également des progrès relatifs, tels que l'augmentation continue de l'usage du portail électronique national de réclamation (Chikaya.ma), reflet d'une familiarisation accrue des citoyens avec les outils numériques, et d'un meilleur repérage de l'institution dans le paysage administratif. Un plaidoyer pour la dignité administrative et l'équité de traitement En conclusion, l'institution formule plusieurs recommandations précises, fondées sur les constats empiriques recueillis au fil des dossiers. Elle préconise notamment l'amélioration de l'accueil dans les administrations, la simplification des procédures, l'instauration de délais de réponse contraignants, ainsi que l'élargissement du périmètre de la médiation amiable. Elle insiste, en outre, sur la nécessité de doter l'institution de moyens supplémentaires, tant en effectifs qu'en instruments juridiques, pour assurer l'effectivité de ses interventions. Sur le plan international, l'institution rappelle sa participation active à l'adoption de la résolution A/RES/79/177 de l'Assemblée générale des Nations unies relative au rôle des médiateurs dans l'Etat de droit. «Ce texte constitue une consécration du modèle marocain et un appel à renforcer les mécanismes de justice non contentieuse», peut-on lire dans la conclusion. Ce rapport, publié au Bulletin officiel le 22 juillet 2025, s'impose comme un exercice de lucidité républicaine. À travers la précision des diagnostics, la sobriété du ton et la hauteur de vue des recommandations, il reflète l'exigence d'un Etat respectueux de ses engagements envers le citoyen. «L'administration n'est pas une puissance à part, mais une servante du droit», rappelle, en substance, le Médiateur, qui entend affirmer son rôle de vigie morale autant que de recours opérationnel au service des Marocains.