Annoncé avec ambition par l'Union européenne, le Nouveau Pacte pour la Méditerranée entend redéfinir la coopération entre les deux rives. Mais derrière cette rhétorique équilibrée, des tensions persistent, entre la hiérarchisation des priorités, les conditionnalités imposées et les économies asymétriques. Pour Abdessalam Jaldi, chercheur au Policy Center for the New South, le Maroc peut néanmoins transformer ce pacte en levier d'émergence, à condition qu'il devienne un réel partenaire d'influence, et non un simple bénéficiaire. Annoncé par l'Union européenne (UE) , le Nouveau Pacte pour la Méditerranée se veut un cadre rénové de coopération entre les deux rives. Il ambitionne d'unir prospérité partagée, connectivité et sécurité. Mais derrière cette promesse, des interrogations demeurent : l'Europe saura-t-elle dépasser ses réflexes d'asymétrie ? Et le Maroc, partenaire stratégique, parviendra-t-il à en tirer un réel levier d'émergence ? Le Pacte s'inscrit dans un contexte d'instabilité régionale et de rivalités d'influence. L'UE y voit un instrument pour consolider sa présence au Sud. Pourtant, les priorités qu'elle définit trahissent souvent un déséquilibre persistant : les programmes financés privilégient la gouvernance, la sécurité ou les infrastructures au détriment des besoins sociaux des populations, souligne Abdessalam Jaldi, senior international relations specialist au Policy Center for the New South, dans son document intitulé «Les relations entre le Maroc et l'Union européenne à l'aune du nouveau pacte pour la méditerranée – Les jalons d'un partenariat euro-marocain renouvelé». Les partenaires du Maghreb dénoncent régulièrement cette hiérarchisation imposée, où la «bonne gouvernance» prime sur l'éducation ou la santé. L'aide devient alors conditionnelle : les réformes sociales n'avancent que si elles s'alignent sur les critères européens. Ce paradoxe nourrit le sentiment d'une appropriation tronquée et d'une dépendance durable. La logique commerciale renforce cette perception. Sous couvert de libre-échange, l'UE cherche à sécuriser ses marchés et à contrer la concurrence asiatique. Les pays du Sud ouvrent leurs frontières sans toujours bénéficier de transferts équivalents. Pour des économies encore fragiles, cette ouverture accélérée fragilise les recettes publiques et les filières locales. En pratique, le discours humaniste se heurte à une réalité économique où l'aide sert souvent d'outil diplomatique. Repenser l'aide et l'autonomie du Sud Abdessalam Jaldi rappelle que le développement ne se résume pas à l'aide financière. Celle-ci n'est efficace que si elle renforce l'autonomie et la capacité de décision locales. Or, les conditionnalités imposées par Bruxelles limitent cette marge de manœuvre. À cela s'ajoute la baisse programmée de 35% des budgets européens destinés aux pays du Sud pour la période 2025-2027. Plusieurs Etats membres, dont la France et l'Allemagne, ont réduit leur contribution. L'aide publique au développement se contracte, alors que les besoins sociaux et climatiques s'amplifient. Pour l'auteur, la véritable cohérence devrait passer par un rééquilibrage des rapports Nord-Sud : annulation de dettes, régulation des flux financiers et valorisation des ressources locales. Faute de quoi, le Pacte risque de reproduire un modèle de dépendance sous une nouvelle appellation. Une fenêtre stratégique pour le Maroc Malgré ces limites, le Nouveau Pacte pour la Méditerranée offre au Maroc une chance de consolider son rôle régional. Cinq leviers peuvent en faire un moteur de transformation. D'abord, la réforme de la protection sociale, soutenue par l'expertise européenne, vise la couverture universelle et la modernisation du système de santé. Ensuite, le soutien industriel (dans l'automobile, l'aéronautique ou l'agro-industrie) peut stimuler l'emploi et l'intégration régionale, à l'image du modèle d'industrialisation de l'ASEAN. Le numérique constitue un troisième pilier : les réglementations européennes (RGPD, DSA, AI Act) pourraient inspirer le Maroc pour bâtir une souveraineté digitale respectueuse des libertés et propice à l'innovation. Vient ensuite la circulation des talents : organiser la mobilité, retenir les compétences et transformer le brain drain en brain gain. Enfin, la transition géopolitique européenne, fondée sur l'autonomie stratégique, ouvre des perspectives inédites : intégration du Maroc dans les programmes européens de défense, coopération technologique et montée en gamme industrielle. Ces orientations convergent vers une même ambition : faire du Royaume non plus un simple bénéficiaire d'aide, mais un co-acteur du développement méditerranéen. Vers un partenariat d'égal à égal ? Pour Abdessalam Jaldi, le Maroc dispose aujourd'hui des atouts pour transformer le Pacte en levier d'influence. Ses avancées en matière d'énergies renouvelables, d'infrastructures et de stabilité institutionnelle lui confèrent une crédibilité rare au Sud. Encore faut-il que Bruxelles conçoive le partenariat comme une cocréation et non comme une tutelle. Le Nouveau Pacte pour la Méditerranée sera ce que les deux rives en feront : un cadre d'opportunités partagées ou une reformulation des déséquilibres d'hier. Tout dépendra de la capacité à passer du discours à la confiance, du financement à la codécision. Un nouveau pacte aux contours encore flous L'Union européenne a annoncé un nouveau Pacte pour la Méditerranée, visant à renouveler son approche vis-à-vis des pays du Sud de la Méditerranée. L'initiative cible trois axes : la coopération migratoire, les investissements verts et le renforcement des capacités locales. Elle désigne notamment le Maroc en tant que «partenaire privilégié». Cependant, le texte reste très flou sur ses modalités d'application. Aucun calendrier précis, ni montant budgétaire détaillé, n'a encore été publié. L'UE promet des financements pour 2026, mais sans engagements fermes à ce jour. Du côté marocain, l'enjeu est double : se positionner comme un acteur actif du projet et faire en sorte que ce pacte s'articule avec ses priorités nationales (emploi, infrastructures, énergie, formation). Pourtant, si la dimension migratoire domine largement, la perception risque de pencher vers un rapport inégalitaire, au profit du Nord. Si ce nouveau dispositif s'inscrit dans la continuité des cadres antérieurs (Processus de Barcelone, Union pour la Méditerranée), il cherche à revivifier ces coopérations via un changement de ton. Le Maroc reste donc dans l'attente de concret. Hafid Marzak / Les Inspirations ECO