Hommages torches à Nabil Ayouch. Débats qui secouent sur les réalisatrices méditerranéennes. Projections kids en rafale. Le 30e FCMT de Tétouan ? Un fauve engagé, libre, humaniste – qui suture les rives de la Méditerranée et taille les visionnaires de demain. Suivez La Vie éco sur Telegram La Méditerranée s'invite en force ! Pas pour un sommet diplomatique, non : pour une déflagration de pellicules, de rires étouffés et de silences qui pèsent. La 30e édition du Festival du cinéma méditerranéen de Tétouan (FCMT) s'ouvre en fanfare. Quarante ans après sa naissance dans un modeste ciné-club – oui, 1985, l'année où l'Association des Amis du Cinéma osait défier les écrans muets du Maroc post-colonial –, ce haut lieu de la bobine souffle ses bougies avec l'entêtement d'un feu follet. «C'est la consécration de quarante années de passion pour le septième art, un symbole d'aventure faite de persévérance, de plaisir et d'un entêtement créatif», souligne Ahmed El Housni, président de la Fondation du Festival. Trente éditions plus tard, le festival tient toujours, tel un phare dans la tempête : guerres, crises, pandémies – rien n'a eu sa peau. Parce que le cinéma, ici, n'est pas un luxe. C'est une arme. Engagement Pas moins de 40 films de 15 pays, fictions et docs qui cognent comme des vagues sur les quais de Gaza. Ouverture en panache avec Il ladro di bambini de Gianni Amelio (1992), un clin d'œil aux racines du festival – ce voleur d'enfants sicilien qui, déjà, questionnait l'exil et l'innocence perdue. «Né d'un simple ciné-club, il est devenu un langage d'amitié et de partage, tissant des liens entre ceux qui chérissent le respect, la solidarité, la créativité», rappelle Noureddine Affaya, professeur et «ami du festival», dans un témoignage qui déboule comme un générique. Dans une région où la mer charrie plus de cadavres que de poissons, ce festival est un pacte : offrir du renouveau, des débats, des perspectives sur les deux rives, en paix comme en guerre. Et cette année, sous le thème «Trois décennies de créativité et de dialogue», il hurle plus fort que jamais. Les hommages ? Des plans-chocs. Premier à être célébré : Nabil Ayouch, le taulier du cinéma marocain, ovationné pour une filmographie qui griffe l'âme – de Mektoub à Everybody Loves Touda, ce dernier qualifié aux Oscars et César, premier du genre pour le Maroc. «Je suis très content et ému d'être honoré ici à Tétouan. C'est mon premier souvenir en tant que réalisateur : la première édition en 1995, j'avais projeté mes courts métrages, dont Vendeur de silence. Trente ans plus tard, cet hommage me remplit de joie», lâche Ayouch, ému aux larmes sous les projecteurs. Dans sa chambre d'hôtel, il y a trois décennies, l'étincelle de Mektoub jaillit. «La création est un acte individuel, mais le cinéma reste une œuvre collective. Aimer son pays, c'est le critiquer tout en cherchant le beau», martèle-t-il. «Je suis tombée amoureuse de Nabil à travers le cinéma, et plus particulièrement grâce à ''Ali Zaoua''», confesse Maryam Touzani, son épouse et complice de plateau, avec un sourire complice. Un duo qui incarne le cinéma marocain en mouvement, audacieux, humain. Pas de répit : Eyad Nassar, acteur jordanien, récompensé pour ses rôles qui percent les armures – de Selat Rahem (prix du meilleur acteur aux Arab Drama Critics Awards 2025) à ses doublages dans Assassin's Creed. «Je ne connais qu'un seul langage, celui du jeu. Je souhaite rester toujours acteur», murmure-t-il, réservé, presque timide sous les flashs. L'hommage s'étend à Aida Folch, l'actrice catalane qui illumine les écrans ibériques depuis Le Sortilège de Shanghai. Folch incarne cette Méditerranée qui refuse l'oubli – des visages familiers, des gestes qui relient Tarragone à Tétouan. Rencontres Mais le festival ne s'arrête pas aux stars. Lundi matin, au Centre culturel, une table ronde qui secoue le cocotier : «Réalisatrices méditerranéennes : une nouvelle vague ?» Modérée par Mohamed Oulad Alla, elle réunit Laura Piani (France), Zakia Tahiri (Maroc), Hind Meddeb (Tunisie) et Caterina Carone (Italie). Pas de bla-bla théorique : des éclats d'humour et de fureur. «On m'appelle réalisatrice méditerranéenne alors que je vis à Paris et que j'ai tourné un film sur l'Angleterre !», ironise Piani. Pour sa part, Meddeb, nomade des rives, revendique être «une femme entre deux rives, deux langues et trois pays. Le cinéma, c'est une écoute, un refus des idées toutes faites et des injustices. (Ses) films naissent de la rencontre, ils cherchent les promesses de changement dans les révolutions». Carone, touchée par le Maroc comme un retour aux sources : «Omettre les femmes pionnières du cinéma, c'est effacer une histoire de résistance». Le débat fuse : Tahiri sur Number One, sa brûlure contre les tabous marocains («Un film douloureux, pour parler aux femmes – et non pour les monter contre les hommes») ; Meddeb sur la jeunesse qui rêve de dignité («Loin des clichés, la poésie est une forme de résistance»); Piani défendant la comédie romantique comme acte de liberté («Un film qui fait sourire en quittant la salle»). «Les femmes créatrices parlent toutes de liberté. Je veux un cinéma libre, joyeux et conscient», conclut Carone. Une vague, oui, mais pas rose bonbon. Tsunami. Et les mômes dans tout ça ? Le festival n'oublie pas : hier, lancement du programme jeune avec «Bonjour le monde» d'Anne-Lise Koehler et Eric Serre. Une tradition têtue : ouvrir les portes de l'Español et former une génération à l'image plutôt qu'à l'obéissance. «Pour instaurer une culture visuelle trop longtemps marginalisée dans notre monde arabe, on commence par les enfants», glisse un organisateur. Loin des écrans plats de TikTok, ces projections forgent des regards critiques, des «Bonjour le monde» sans haine ni rejet. Fatima Ifriqi, plume acérée, le dit cash dans une interview éclair : le cinéma marocain occupe une place royale dans le paysage culturel – soutenu, dynamique, festonné de festivals de l'est à l'ouest. Mais gare au piège : «Malgré ses progrès, il est menacé de perdre sa symbolique si les institutions poussent un cinéma médiocre et commercial au détriment d'une création sérieuse». Et les festivals ? «Une fenêtre sur les histoires humaines, un espace de plaisir esthétique qui rapproche l'art des citoyens, encourage l'expérimentation. Pas juste des tapis rouges : un impact culturel qui se grave dans l'âme». Ici, les films projetés (compétitions, coups de cœur, ateliers avec 10 projets en herbe) portent les voix des exilés, des rêveurs, des résistants. Un cinéma en perpétuelle mutation, innovant, audacieux. Tétouan le sait : face aux fractures, la bobine répare. Et demain matin, on répétera en chœur : «Bonjour le monde». Sans peur.