À l'occasion du Festival Cinéma méditerranéen de Tétouan (FCMT), la réalisatrice marocaine Zakia Tahiri nous livre des propos sans filtre. Entre cinéma indépendant, financement et virage télévisuel, elle nous raconte ses combats, ses victoires et sa vision d'un cinéma audacieux et libéré. Suivez La Vie éco sur Telegram À 30 ans de ring, Zakia Tahiri frappe fort. Rencontrée en marge d'une table ronde sur les «réalisatrices méditerranéennes» au Festival de cinéma méditerranéen de Tétouan, la réalisatrice marocaine ne mâche pas ses mots. Entre coups de poing sur les financements qui tuent et un virage forcé vers la télé qui libère, elle rit de ses plaies comme une boxeuse qui sait que la survie, c'est du roc et du cristal à la fois. Entretien cash, sans gants, avec une Tahiri qui nous renvoie à nos propres chaînes : passion ou folie, même combat. Elle arrive, sourire en coin, les yeux qui pétillent comme un plan séquence bien calé. «La première chose, comme je l'ai dit ce matin : merci à ces folles qui sont comme moi. Folles de passion, habitées». Zakia Tahiri, 30 ans de carrière dans le viseur, n'est pas du genre à minauder. Gamine, pour survivre – pas vivre, hein, survivre –, elle a enchaîné les petits boulots : stagiaire, assistante, directrice de casting, assistante réal. «Et si t'es pas roc et cristal à la fois, t'es cuite. Les femmes, on a cet équilibre : costaudes dehors, fragiles dedans». Mandale en règle sur le milieu, ce ring impitoyable où les lionnes maghrébines doivent boxer en talons hauts. Mais le vrai K.O., c'est le piratage. «Il nous a tués», lâche-t-elle d'emblée, la voix à peine tremblante. Ce fléau numérique, qui vide les caisses des films indépendants et enterre des rêves avant même qu'ils ne prennent forme, a frappé Number One en plein cœur. Premier long métrage de Zakia Tahiri, un bijou où 70 ouvrières se croisent en usine, où les rues se bloquent pour des figurants à l'infini, le piratage a porté le coup de grâce. «On renaît de nos cendres, folles que nous sommes», dit-elle en riant. Seize ans ont filé avant qu'elle ne refasse du cinéma. Seize années à ramasser les éclats, à transformer la colère en carburant créatif. Les financements ? Une vraie torture, point barre. «Presque... (pause, sourire carnassier) tu te retrouves à supplier ?! Je me retiens de hurler ; tu gardes le contrôle, mais ça te bouffe de l'intérieur». Pourtant, des miracles existent. Ce fonds d'aide marocain du CCM est une véritable bouffée d'air pour les scénaristes assoiffés. «Pas partout dans le monde on a ça ! Mais ce n'est jamais assez. Soit tu bricoles avec ce qu'ils te filent – et parfois, du génie en sort –, soit tu pars en chasse ailleurs». Number One, ambitieux et cher, a été un vrai parcours du combattant. Budget royal pour l'époque : 7 à 8 MDH, contre à peine un 1 M pour un téléfilm de 90 minutes. Le cinéma, ce coteau suisse des idées, ou la misère qui pousse au petit écran. Justement, ce virage télé : téléfilms, séries, docs. Comment négocier le deal sans se faire bouffer ? «D'abord, je suis allée où on m'appelait». Sceptique au départ pour un téléfilm sur 2M, elle cogite avec son mari Ahmed Bouchaala : «Faisons du cinéma à la télé». Exigence intacte, ou rien. Pour l'amour de Dieu, pour Arte, avait cartonné : festivals, premier grand rôle pour Leïla Bekhti, fierté en bandoulière. Mais là, le budget serré pousse à l'inventivité. «On a trouvé : un décor unique, une histoire hilarante. "Marh'ba" : une bourgeoise à Paris appelle ses parents – "J'arrive avec mon fiancé Saïd, acteur". La mère fantasme Saïd Taghmaoui ; arrive un petit boucher de Toulon ! On s'est éclatés». À l'époque, liberté totale : pitch cash, oui/non sans chichis. Adaptation d'un truc BBC, Madame M'Safra, contact humain, créativité qui s'épanouit. Puis le verrou. Les appels d'offres qui étouffent tout. «Cahier des charges étouffant : comédie 30×30, mais laquelle ? Sociale, romantique ? Plus de dialogue avec la chaîne. C'est pour filtrer, OK – 300 boîtes de prod' au Maroc, c'est la jungle. Mais ça tue le bachotage honnête. Certains continueront anyway ; les autres, on étouffe». Un constat amer, mais lucide. La télé, ce refuge forcé, devient un terrain de jeu pour les folles qui refusent de plier. Et le cinéma féminin méditerranéen dans tout ça ? Ses regards «voilés» enfin dévoilés, qui cassent les codes comme on brise des chaînes. «Détacher nos chaînes, oui. Regardez "'Badis" de Noureddine Saïl – un film d'homme, écrit par un homme, mais qui aurait pu être nôtre. Tragédie méditerranéenne, grecque presque : j'y jouais avec une actrice espagnole géniale, des Marocains formidables. Locarno l'a adoré». Un cinéma en affirmation, qui dépasse les genres. «Comme les femmes font de beaux films et que le public rapplique, on crée des thèmes : "Allons voir celle-là, elle parle de la Méditerranée". Maturité en vue, regards neufs. On dépasse tout». Zakia Tahiri s'éloigne, laissant planer ce parfum de renaissance. Folle ? Peut-être. Mais c'est cette folie qui émerveille, qui illumine le ring. Et nous, on en redemande. Parce que dans ce chaos créatif, il y a des éclats de vérité qui percent les écrans – et les âmes. Prochain round : on y sera.