Dans son discours du Trône du 29 juillet, le roi Mohammed VI a tendu une main ouverte à l'Algérie, en appelant à une solution «sans vainqueur ni vaincu» et réitéré son attachement à l'idéal maghrébin. Mais entre les blocages persistants d'Alger et les tentatives avortées d'exclure le Maroc de l'équation maghrébine, la relance de l'Union du Maghreb arabe (UMA) semble plus incertaine que jamais. Le roi Mohammed VI a fait, une nouvelle fois, le pari du dialogue et de la coopération régionale. Le roi s'est inscrit dans une double logique : un appel renouvelé à la réconciliation et une affirmation ferme de la position marocaine sur la question de son intégrité territoriale. Il a réitéré sa «politique de la main tendue», en insistant sur la fraternité historique et culturelle entre les peuples marocain et algérien. Le souverain a lancé un appel à un dialogue franc, responsable et sincère, partant de la conviction que les deux peuples peuvent dépasser la situation actuelle, qualifiée de «regrettable». Ce n'est pas la première fois que le souverain appelle à une normalisation des relations bilatérales avec Alger. À plusieurs reprises, il a tendu la main aux autorités algériennes. Il vient de le répéter, en usant d'une formule solennelle qui vient renforcer la crédibilité du message et ancrer cette position dans l'autorité monarchique elle‐même : «En Ma qualité de Roi du Maroc, Ma position est claire et constante : le peuple algérien est un peuple frère que des attaches humaines et historiques séculaires lient au peuple marocain, particulièrement par la langue, la religion, la géographie et le destin commun». En insistant sur sa qualité de Roi du Maroc, Mohammed VI rappelle que la politique étrangère du Royaume relève de sa prérogative directe. Il se présente ainsi comme l'unique source légitime de la position officielle marocaine sur les relations avec l'Algérie, par contraste avec des déclarations plus virulentes émanant de certains médias privés voire de segments de l'opinion publique qui expriment sur les réseaux sociaux du ressentiment à l'égard de l'Algérie dans son ensemble. Le discours permet de marquer une précision importante : ce n'est pas un avis personnel ou partisan, mais la parole d'un roi, porteuse d'une vision d'avenir. Ce n'est pas un discours de circonstance, c'est une conviction profonde de l'Etat marocain incarné par son chef. C'est une posture pacifique et raisonnable, à contre‐courant des discours haineux et des invectives qui dominent actuellement en Algérie. ⸻ Le roi prend de la hauteur par rapport aux discours passionnels ou polarisants et envoie un signal d'apaisement. En rappelant solennellement son attachement à la fraternité entre peuples, le souverain s'adresse aux Algériens en tant que peuple, que le Maroc ne confond pas avec leur gouvernement. Cette attitude, récurrente dans les discours royaux, participe à construire une image apaisée et bienveillante du Royaume sur la scène internationale, en contraste avec la posture rigide d'Alger. Le message est clair : le blocage ne vient pas du Maroc. La vision royale repose sur un principe fondamental : celui d'un règlement des différends par le dialogue, sans logique d'humiliation ni de triomphalisme. Le roi Mohammed VI a mis en avant le soutien international grandissant à la proposition d'autonomie marocaine, «dans le cadre de la souveraineté du Maroc sur son Sahara», en mentionnant les soutiens explicites du Royaume‐Uni et du Portugal comme nouveaux appuis diplomatiques. Le souverain a d'autre part exprimé avec clarté son engagement en faveur de la relance de l'UMA, qui «ne pourra se faire sans l'implication conjointe du Maroc et de l'Algérie, aux côtés des autres Etats frères». Sur la scène internationale, cette impasse maghrébine n'est pas sans répercussions. Le Conseil de sécurité des Nations unies, dans plusieurs de ses résolutions sur le Sahara, a souligné à maintes reprises l'intérêt stratégique qu'il y aurait à relancer l'intégration régionale. Un Maghreb uni, politiquement stabilisé, serait naturellement plus à même d'absorber les chocs géopolitiques et de créer les conditions d'un règlement durable de la question du Sahara. Cette approche a également été défendue par les Etats‐Unis, historiquement favorables à une solution régionale. On se souvient de l'initiative Eizenstat, du nom du secrétaire aux affaires économiques, commerciales et agricoles sous la présidence Clinton, Stuart E. Eizenstat, qui plaidait pour un Maghreb uni comme levier de paix et de prospérité partagée. Proche de la secrétaire d'Etat Madeleine Albright et partisan d'un usage stratégique de la diplomatie économique, Eizenstat a joué un rôle central dans la promotion du libre‐échange et de l'intégration régionale comme leviers de stabilisation politique. À partir de 1994, Eizenstat a proposé une série de rencontres et d'initiatives visant à encourager les cinq pays membres de l'UMA à reprendre le dialogue économique. Il a obtenu que la Banque mondiale, l'USAID et d'autres institutions financières américaines explorent les bénéfices d'un marché maghrébin intégré. L'initiative Eizenstat était loin d'être neutre. Derrière le discours sur l'intégration régionale, les Etats‐Unis étaient mus par le souci de promouvoir des intérêts stratégiques : stabilité régionale au Maghreb au moment où l'Algérie était plongée dans une guerre civile meurtrière, formation d'un bloc maghrébin face à l'Union européenne, réduction de l'influence européenne en Méditerranée occidentale, ouverture d'un marché élargi devant les entreprises américaines (près de 80 millions de consommateurs à l'époque). En arrière‐plan, les diplomates américains espéraient que la dynamique économique créerait un climat favorable à un compromis politique entre le Maroc et l'Algérie sur la question du Sahara, perçue comme l'un des principaux obstacles à la relance de l'UMA. Cependant, malgré les bonnes intentions affichées, l'initiative a échoué, notamment en raison de l'obstination de l'Algérie, qui refusait toute forme de normalisation régionale pouvant être perçue comme une concession au Maroc tant que la question du Sahara n'était pas résolue selon ses termes. En 1994, la fermeture par Alger de la frontière terrestre entre les deux pays a enfoncé le clou. L'Algérie, en guerre civile, était paralysée dans sa politique extérieure. ⸻ De son côté, la Libye de Kadhafi se tenait en marge de tout projet d'intégration piloté par les puissances occidentales. La Tunisie et la Mauritanie, plus favorables au projet, n'avaient pas le poids politique ou économique suffisant pour impulser une dynamique collective. L'initiative Eizenstat reste un exemple révélateur d'une diplomatie économique américaine à visée géopolitique. Son échec souligne cependant l'inanité de tout projet économique maghrébin tant que l'Algérie campe sur ses positions. Aujourd'hui encore, la relance de l'UMA est souvent évoquée à Washington comme un facteur de stabilisation régionale et un cadre de règlement indirect de la question du Sahara. La récente visite à Alger de Massad Boulos, conseiller spécial du président Trump, nourrit les spéculations. Certains observateurs y voient le signe d'une pression croissante sur les autorités algériennes. La perspective d'un classement du polisario comme Foreign Terrorist Organization pourrait constituer un moyen de pression inédit, aux conséquences potentiellement déstabilisantes pour Alger, principal soutien de ce mouvement armé. Dans ce contexte, l'appel royal à une solution «sans vainqueur ni vaincu» mérite attention. Il suggère un dépassement du paradigme de l'affrontement au profit d'une approche plus pragmatique, fondée sur les intérêts bien compris des peuples maghrébins. Mais cette posture suppose une volonté réelle de la part des dirigeants algériens. Or, la profondeur de leur implication dans le dossier du Sahara, tant sur le plan militaire que diplomatique, rend difficile toute marche arrière. Alger nie jusqu'à son implication directe tout en consacrant une partie significative de ses ressources et de son appareil diplomatique à soutenir le polisario. Alger, répétons‐le, ne cédera que contraint et forcé. Vis‐à‐vis de l'UMA, l'Algérie a durci sa position. Elle a pris une série de mesures hostiles à l'esprit maghrébin : suspension unilatérale de ses cotisations à l'UMA, retrait de ses fonctionnaires du secrétariat général basé à Rabat, et hostilité affichée contre l'ancien secrétaire général, Taïeb Baccouche. Pire encore, l'Algérie a tenté de contourner l'architecture originelle de l'UMA en essayant de lancer un projet de mini‐union excluant le Maroc. Une initiative qui s'est heurtée au refus explicite de la Libye et aux réserves prudentes de la Mauritanie. Face à cet échec, Alger s'est vu contrainte de revenir à des positions plus consensuelles, réaffirmant officiellement son attachement à l'UMA, mais sans pour autant engager de gestes concrets en faveur de sa réactivation. Il y a quelques années, le roi Mohammed VI avait lui‐même constaté, avec amertume, que «la flamme de l'UMA s'est éteinte, parce que la foi dans un intérêt commun a disparu». Raviver aujourd'hui l'idéal maghrébin serait un pari audacieux, mais nécessaire. À condition que l'Algérie accepte le «dialogue franc et responsable, un dialogue fraternel et sincère portant sur les différentes questions en souffrance entre les deux pays» comme l'a proposé le souverain. Ce qui suppose, de la part de l'Algérie, une lucidité stratégique, un courage politique, et surtout une volonté d'aller au‐delà des slogans et des positions caduques qui paralysent toute vision commune depuis trop longtemps. Trouver une «solution consensuelle qui sauve la face à toutes les parties, où il n'y aura ni vainqueur ni vaincu», tel sera le défi, a priori insurmontable, que devront relever les diplomaties des deux pays, avec l'aide des pays amis.