A la veille des assises de la fiscalité, les revendications se multiplient, cependant, le ton est donné par le «porte-voix d'un « empire économique » de 90 000 membres » présent sur tout le territoire national. Zaya Mimoun, Professeur en Droit public livre son analyse. Le rush des Assises Fiscales semble intéresser des intervenants de tout bord, des experts en tout genre, des acteurs professionnels, des enseignants-chercheurs, des journalistes... Cet intérêt pour la fiscalité, principale source de financement du développement et instrument de la cohésion sociale, augure du niveau des débats. Les revendications se multiplient, cependant, le ton est donné par le «porte-voix d'un « empire économique» de 90 000 membres» présent sur tout le territoire national et disposant de représentants dans plus de 50 organismes publics ou privés. Il s'agit bien entendu de la CGEM. Quel est son rôle et l'étendue de son pouvoir ? Pour avoir la réponse à cette question, il suffit de lire son bilan des mandatures 2012-2015 et 2015-2018 publié sur son site (www.cgem.ma). La CGEM, une organisation qui affiche ses ambitions sans complexe Bien entendu, il existe d'autres groupes de pression au Maroc, mais ils ne font pas preuve d'autant de transparence et de hardiesse en rendant public leurs actions. Ils n'ont pas, non plus, la même envergure nationale. Je tiens à préciser que cet article est le résumé, brièvement commenté, d'un document officiel et public. Il reprend la démarche, les moyens, les actions et les résultats obtenus par la CGEM, qui « est devenue également un acteur du champ législatif avec un Groupe Parlementaire dédié ». Il faut bien l'admettre, les groupes de pression qui faisaient le pied de grue dans les antichambres du pouvoir, sont aujourd'hui dans l'enceinte du pouvoir. La transparence dont fait preuve la CGEM nous permet de suivre, de l'intérieur, le déroulement du processus décisionnel en matière fiscale. Ce document-bilan peut constituer un support d'enseignement inédit des finances publiques. En effet, il dévoile que cette organisation «est passée d'une posture revendicative à celle d'une participation active, en élargissant le spectre de ses interlocuteurs, trop souvent limité auparavant à l'Administration, au Chef du Gouvernement, aux partis politiques, au Parlement, aux corporations métiers (banques) ainsi qu'en étant membre actif d'instance chargée d'études prospectives, la CGEM a multiplié les occasions de rendre les arguments de l'entreprise audibles, avec une probabilité plus élevée d'obtenir des résultats palpables.» Nous savons, aujourd'hui, que la confédération intervient en amont des élections législatives et c'est, sans doute, ce qui explique la similitude des propositions formulées par nos différents élus. En effet, ce document nous l'apprend en ces termes : «on retrouve dans les programmes présentés par les partis politiques lors des législatives d'octobre 2016, un bon nombre de mesures suggérées par la CGEM». Ce rapport précise encore qu' « en dépit de la conjoncture économique et de la crise des Finances publiques qui a caractérisé la période 2012-2018, la CGEM a réussi à obtenir, en faveur des entreprises et particulièrement des PME et TPE, un certain nombre d'avantages fiscaux». Est-il convenable dans une situation difficile qui pèse plus lourdement sur la classe moyenne inférieure d'afficher une telle prétention ? Cela d'autant plus, que la contribution fiscale des entreprises n'est pas à la hauteur des avantages fiscaux obtenus. En effet, il suffit de lire le dernier rapport du Conseil Economique Social et Environnemental intitulé « un système fiscal, pilier pour le nouveau modèle de développement pour le constater. Les chiffres suivants sont clairs : « 95% de l'IS est supporté par 7 936 entreprises, hors OCP» et «95% de l'IR/salaires est versé par 6 337 entreprises ». Pour compléter ces données, il aurait été intéressant de connaître la contribution fiscale des 90 000 membres de la CGEM, sachant que le nombre de personnes morales s'établit à 388 303 à fin 2017. Ce dernier chiffre est tiré du rapport d'activité de la DGI pour 2017, qui ne donne pas le nombre de sociétés soumises à l'IS, mais qui précise le nombre de personnes morales ayant un ICE. La démarche de lobbying expliquée par la CGEM Nous arrivons à la question cruciale du moment : les Assises Fiscales de mai 2019. La CGEM est-elle le «parrain» de cette grande et importante manifestation ? La réponse est positive si l'on tient compte de ce que nous révèle le rédacteur de son bilan, « depuis le début du mandat 2012-2015, la CGEM a modifié son approche pour s'inscrire dans une optique de dialogue avec l'Etat, et notamment à travers la coorganisation avec la DGI des Assises de la Fiscalité en Avril 2013 ». Il en sera, sûrement, de même pour celles de ce mois de mai, en espérant que les recommandations soient moins tournées vers l'entreprise, mais plus en faveur des ménages et pour une répartition plus équitable de la charge fiscale et un meilleur dosage dans les prélèvements fiscaux. De plus, le rapport nous détaille l'intervention de la CGEM dans la préparation du projet de loi de finances. Ainsi, «sur des actions récurrentes, chaque année, le travail sur les propositions de la Confédération concernant la Loi de Finances de l'année n+1, commence en avril par des contacts avec les Départements ministériels concernés et la Direction Générale des Impôts». Le document précise, en outre, qu'il « s'ensuit en mai, des consultations aves les fédérations sectorielles, puis un nouveau round aves les acteurs publics en juin et juillet afin d'affiner les scénarios. En septembre, le traditionnel Conseil d'Administration de la Confédération avant leur transmission au Ministre des Finances. A partir de là, un processus de négociations avec les Finances est entamé, alors qu'en parallèle un travail de lobbying est mené par la Commission Fiscalité au niveau des groupes parlementaires des deux Chambres, puis à travers le groupe CGEM à la Chambre des Conseillers qui propose les amendements nécessaires et tente de constituer une alliance avec les autres groupes en vue des propositions fiscales de la CGEM». Ces interventions semblent donner de bons résultats si l'on se réfère à la liste des mesures fiscales adoptées grâce à la CGEM, selon son bilan, au profit des entreprises (institution d'un barème progressif, suppression des droits d'enregistrement sur les augmentations de capital, sur la cession d'actions...). Le rapport du CESE aborde la question des intérêts catégoriels, mais sans détail. Il reconnaît que le manque de cohérence du système fiscal constitue « un phénomène accentué par l'introduction de dispositions, résultat de pressions et de négociations défendant des intérêts catégoriels et/ou sectoriels (pouvant être légitimes, mais pas forcément réfléchis dans une convergence et cohérence avec le reste des intérêts, y compris ceux plus globaux de la collectivité». Le lobbying existe dans tous les pays développés, et en voie de développement, dans une moindre mesure. Aux Etats-Unis, il est considéré comme une force qui contribue à la démocratie ; mais dans ce pays les groupes de pression sont nombreux et couvrent tous les champs de l'activité économique et sociale disposant ainsi d'une représentativité même si elle est inégale. En France, une loi de 2013, crée La Haute Autorité pour la Transparence de la vie Publique qui recense les lobbies sur répertoire accessible sur son site (www.hatvp.fr). Elle est chargée, entre autres, de prévenir les situations d'interférence entre un intérêt public et des intérêts privés. La majorité des pays européens disposent d'une législation sur le lobbying visant à introduire plus de transparence dans le processus décisionnel. Le parlement européen, en janvier 2019, à l'instar de la France a prévu l'obligation de rendre public les rencontres entres les élus et les représentants des groupes de pression, une manière de suivre les activités des lobbyistes. Peut-on encore affirmer que les principes de légalité et d'égalité prônés par notre Constitution construisent notre Etat de droit en assurant l'équilibre des pouvoirs, alors que la loi de finances pour 2019 a porté atteinte à un troisième principe, celui de la non-rétroactivité de la loi ? En effet, l'article 6 de la Constitution, qui consacre l'égalité de tous devant la loi, précise également que «la loi ne peut avoir d'effet rétroactif ». Pourtant, le barème progressif de l'IS adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2019 a été appliqué aux bénéfices réalisés par les sociétés au titre de l'exercice 2018, comme l'explique la deuxième partie de la note circulaire de la DGI publiée sur son site (www.tax.gov.ma). La doctrine fiscale mérite également un grand débat. Ainsi soudain, les promoteurs de cette mesure ont réalisé qu'il y'avait dans le CGI un article, 163-II-A, qui prévoit la date d'effet pour l'application des nouveaux taux et qui n'a jamais été pris en considération. Cet article précise que l'IS est calculé au taux en vigueur à la date d'expiration des délais de déclarations, et pour l'IS c'est le 31 mars de l'année qui suit la clôture de l'exercice. En réalité, depuis l'institution de l'IS et en toute logique, les bénéfices de 2018 sont soumis au barème de 2018 et le barème de 2019 ne doit servir que pour calculer le montant de l'IS à verser, pour cette année, sous forme d'acomptes provisionnels. Il faut préciser que ce même article, 163-II-A, va s'appliquer également aux déclarations annuelles du revenu global (article 82 du CGI), en cas de baisse du barème de l'IR. En fait, par ce procédé, on a introduit discrètement le principe de la rétroactivité en matière fiscale. En résumé, la lecture de ce rapport-bilan de la CGEM ouvre la voie à une profonde réflexion sur le véritable détenteur du pouvoir fiscal et sur la légitimité de tous ces intervenants dans le processus décisionnel. Il est important de savoir que le poids d'un groupe de pression ne résulte pas du nombre de ses membres, mais de l'importance de son assise financière. Nous constatons aujourd'hui que trois principes constitutionnels sont mis à mal : la légalité de l'impôt, la légalité devant l'impôt et la-non rétroactivité de la loi. Au-delà de l'aspect fiscal, la question se pose actuellement de savoir si l'interaction entre les détenteurs du pouvoir légal et le monde des affaires et, cette proximité permanente, ne porte pas atteinte à la mise en œuvre de politiques publiques transparentes. Voir également : [EMISSION HIWAR] NAJIB AKESBI DECORTIQUE LES FREINS REELS À UNE REFORME GLOBALE DU REGIME FISCAL