Alors que le Maroc s'affirme en tête du classement africain des exportateurs de véhicules en volume, l'Afrique du Sud conserve sa domination en termes de valeur unitaire. Ces deux locomotives de l'industrie automobile du continent montrent que l'Afrique n'est plus qu'un marché de consommation, mais devient une terre d'assemblage et, de plus en plus, d'innovation. Toutefois, cette croissance remarquable masque une réalité plus nuancée : les deux pays sont à un carrefour stratégique. Le Maroc, champion des volumes : entre ascension industrielle et dépendance européenne Avec 539.362 véhicules exportés en 2024 — soit 96% de sa production automobile — le Maroc creuse l'écart avec l'Afrique du Sud. Les marques Dacia et Peugeot, produites respectivement par Renault Group Maroc et Stellantis, dominent la chaîne de montage marocaine. Tanger Med s'impose ainsi comme un hub logistique mondial. Mais cette performance repose sur des bases qui, bien que solides, posent question. Le modèle marocain est extrêmement dépendant de l'Europe — 80 % des exportations y sont destinées — et des filiales de groupes européens. L'économie d'échelle est donc très liée à la conjoncture économique du Vieux Continent, au risque d'un effet domino en cas de ralentissement. La baisse de 7,8 % des exportations durant le premier trimestre 2025 est un avertissement. La dépendance logistique et technologique, notamment en matière de semi-conducteurs, a freiné la performance de Stellantis. À cela s'ajoutent des défis liés à la montée en gamme et à la nécessité de diversifier les débouchés géographiques. L'Afrique du Sud, une valeur ajoutée par le haut : mais pour combien de temps ? Exportant 390.844 véhicules en 2024, l'Afrique du Sud accuse un recul de 2,24 % par rapport à 2023. Pourtant, elle génère 11,2 milliards de dollars de chiffre d'affaires contre 7,1 milliards pour le Maroc. Cette différence s'explique par la valeur unitaire des modèles exportés — Mercedes-Benz, BMW, Volkswagen et Ford, entre autres. Mais derrière cette image de qualité se cache une industrie en proie à l'usure. L'Afrique du Sud paie le prix de sa complexité logistique intérieure (routes, ports, électricité) et d'un climat social instable, souvent marqué par des grèves et des tensions. La baisse de la production nationale (599.755 véhicules) témoigne d'un plafonnement structurel du secteur. Si le pays exporte vers 155 destinations, la part européenne reste là aussi prédominante. L'Allemagne, le Royaume-Uni et la France figurent parmi les premiers clients, tandis que le Japon et les Etats-Unis complètent le top 5. Une diversification géographique est donc amorcée, mais encore timide. Deux stratégies, une même dépendance : l'urgence de créer une industrie afro-centrée Le Maroc et l'Afrique du Sud partagent une réalité : leur production automobile reste extravertie. Elle répond d'abord à la demande étrangère, avec peu de retombées technologiques structurantes pour les économies locales. L'enjeu des prochaines années sera donc de transformer ces plateformes d'assemblage en écosystèmes de production complète, intégrant la R&D, la conception, et les composants stratégiques comme les batteries et l'électronique embarquée. L'initiative marocaine autour d'un prototype à hydrogène, récemment présenté sous l'impulsion royale, marque une rupture symbolique. Elle pourrait annoncer une ère de souveraineté technologique africaine, encore balbutiante mais indispensable. Vers une collaboration continentale ? Alors que l'Afrique discute de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), une coopération stratégique entre les deux géants automobiles est envisageable. Une répartition intelligente des chaînes de valeur — composants en Afrique du Sud, assemblage au Maroc ou vice versa — pourrait renforcer la compétitivité africaine face aux blocs européens et asiatiques. De même, l'émergence de constructeurs locaux, comme la marque Laraki au Maroc ou les projets sud-africains de voitures électriques, devra être soutenue par des politiques publiques coordonnées, des incitations fiscales, des financements structurés et des infrastructures adaptées.