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Ô déficit, que de fautes, on commet en ton nom !
Publié dans EcoActu le 11 - 04 - 2020

Un fantasme hante le débat public pendant les crises : le retour de maîtres défunts confinés dans l'oubli. Comme lors de la tourmente de la fin de la décennie 2010, la mobilisation de l'instrument budgétaire est déclarée conférer une actualité aux préceptes keynésiens de politique active de la demande.
Le plaidoyer d'Esther Duflo en faveur du relèvement des dépenses publiques et de l'imposition progressive, dont les médias ont donné de larges échos, est présenté comme une illustration insigne d'un retour à Keynes. Dans la hâte fébrile, la position de la colauréate du prix en mémoire de Nobel est créditée, l'argument d'autorité aidant, d'une filiation avec l'auteur de la Théorie générale.
Cette allégation est à l'examen sujette à caution. D'une part, la préconisation d'une expansion budgétaire au moyen d'un déficit financé par la dette publique ne dérive aucunement de l'approche de cette auteure qui, au demeurant, ne contient pas de concepts ou de propositions d'analyse d'inspiration keynésienne.
D'autre part, en prônant des changements graduels par le biais d'actions locales ciblées, cette approche affiche une méfiance systématique à l'endroit des politiques macroéconomiques. Si la référence à Keynes apparaît éminemment douteuse, elle amène à réexaminer la pertinence de la pratique du déficit public à la lumière du retournement de positions que suscite la crise du Codiv-19.
Selon le référentiel dominant de la politique économique, le déficit public doit être soumis à une limitation stricte en vue de garantir la soutenabilité de la dette publique et d'éviter l'évincement du financement privé de l'économie et les tensions sur les prix.
La discipline subséquente requiert l'encadrement du déficit par une règle de plafond et des dispositions de restrictions du financement monétaire du budget public. Une telle orientation est dictée par l'objectif prioritaire de la stabilité des prix de la Banque centrale. Cet argumentaire se double d'une rhétorique qui repose sur des stratagèmes tels que : « L'Etat, comme tout ménage, ne doit pas vivre au-dessus de ses moyens ».
Cette analogie implique que le décideur public doit veiller, à l'instar d'un bon père de famille, à la mise en place d'une gestion saine des finances publiques qui assure la croissance et n'hypothèque pas l'avenir des générations futures.Pour être largement partagé, ce discours est passible d'objections : outre que ses procédés de persuasion sont sans fondement, les effets négatifs imputés au déficit ne résistent pas au soupçon.
Des métaphores défectueuses
L'assimilation de l'Etat à un ménage tient lieu d'un procédé rhétorique qui confère au déficit une forte charge négative. Il est ainsi associé au « gaspillage », à » la mauvaise gestion publique », au « sacrifice des générations futures », à « l'éviction de l'initiative privée », tandis que les politiques budgétaires restrictives sont parées des qualités de « rigueur », d' »assainissement « ou de »mise en ordre des finances publiques ».
Placer l'Etat au rang d'un simple agent micro-économique est pour le moins abusif. L'Etat ne saurait être réductible à un ménage. D'abord, il n'est pas essentiellement une unité de consommation ; les dépenses publiques comprennent non seulement les dépenses courantes, mais aussi les investissements en capital qui représentent des dépenses productives. Ensuite, l'Etat possède le pouvoir légal de ponction fiscale qu'il peut utiliser pour accroître ses ressources et donc agir sur sa contrainte budgétaire.
Enfin, en tant que décideur de la politique macro-économique, l'Etat affecte, de par ses mesures et ses modalités d'intervention, les grandeurs globales telles que l'investissement, la production, l'emploi, la masse monétaire…
L'endettement public est, quant à lui, systématiquement vu comme un fauteur d'instabilités et un ennemi de la croissance et du bien-être social à long terme. Cette supposée nocivité doit largement à l'utilisation de figures de style qui tiennent l'emprunt public pour un fardeau qui handicape les conditions des générations futures par la charge de la dette.
Pareille métaphore, qui est partagée dans le forum scientifique comme dans ceux des décideurs politiques et de l'expertise,apparaît, à l'examen, viciée : loin d'éclairer les enjeux de cette modalité de financement du budget public, elle en fausse la compréhension. « Nous ne devons pas léguer le poids de la dette aux générations futures ».
Cette antienne, proférée à intervalles réguliers suite à la publication de rapports sur les évolutions de l'économie nationale, procède d'une pratique métaphorique censée assumer une fonction didactique. Il s'avère cependant que cette pratique va au-delà en prétendant apporter des preuves en faveur de l'idée selon laquelle l'endettement est mauvais par nature. Il y a là une double méprise.
D'une part, pour appréhender l'impact de la dette publique, il est nécessaire non seulement de prendre en compte son niveau, mais aussi sa structure. A cet égard, la distinction entre dette interne et dette externe est primordiale en ce que l'une et l'autre ne sont pas de même nature. Dans le cas où la dette est détenue par des nationaux, les créances sont identiquement égales à l'emprunt public. Il s'agit là de transferts entre contemporains : une fraction de l'épargne est prêtée à l'Etat, lequel puise dans ses recettes fiscales pour honorer ses remboursements et verser des intérêts auprès de ses créditeurs.
Il n'y a là aucune raison de considérer que l'emprunt public est une charge. Dans le cas où la dette interne est prédominante, la métaphore du fardeau est une idée reçue d'autant plus irrecevable que la contrainte sur l'endettement ne dépend que de la confiance des agents qui se portent acquéreurs des titres publics.
La dette externe, quant à elle, influe sur la charge pour les générations futures, mais aussi sur la richesse en termes de stock de capital et d'avoirs nets sur l'étranger. D'autre part, qu'elles soient financées par l'endettement domestique ou extérieur, les dépenses publiques lèguent aux générations futures des infrastructures, des hôpitaux, des écoles.
Cet impact ravale au rang de charge ce qui constitue un atout. Ainsi, les dépenses de santé aujourd'hui peuvent avoir une double incidence positive demain. Les générations futures héritent des avantages en termes de qualité des soins mais aussi en termes d'éducation si la génération actuelle investit dans la formation de ses descendants.A en juger par le poids que possède les métaphores dans la rhétorique de la dette publique, on doit se prémunir, comme le préconise Paul Valéry, contre « le mal de prendre (...) une métaphore pour une démonstration ».
Arguments infondés
La préconisation de la discipline budgétaire invoque l'effet d'éviction et les contraintes de soutenabilité de la dette publique. Cet effet stipule qu'une hausse des dépenses publiques induit une contraction de la demande privée d'investissement. En faisant appel au marché des titres, l'Etat contribue à un relèvement du taux d'intérêt qui vient soustraire des ressources aux entreprises laissant invariant le niveau d'activité.
Cette proposition d'inefficacité de la politique budgétaire, avancée en faveur de l'adoption de règles de contrôle du déficit public, repose des inférences incertaines à un triple titre. D'abord, pour peu que la sensibilité de l'investissement privé au taux d'intérêt soit faible, le financement par emprunt ne nuit pas aux entreprises. Dans le cas où celles-ci s'autofinancent, le déficit exerce un effet réel qui vient s'ajouter à celui du secteur privé.
Ensuite, si l'on considère que le taux directeur de la banque centrale agit sur le taux d'intérêt, une politique monétaire restrictive accroît le déficit public à travers le service de la dette. Dès lors, la hausse du déficit est la conséquence et non la cause de l'élévation du taux d'intérêt. Enfin, la stimulation budgétaire est susceptible d'exercer des effets d'attraction se traduisant par des accroissements de revenu et d'épargne. Ainsi, si la hausse de l'activité s'accompagne d'une réduction des coûts unitaires de production, l'amélioration des profits qui s'ensuit élargit la capacité globale de financement.
L'argumentaire de la discipline budgétaire fait également usage de la catégorie de soutenabilité de l'endettement public. Il s'appuie à cet effet sur le ratio dette publique / produit intérieur brut. La dette comprend le principal de l'emprunt, les intérêts et le déficit primaire supposé être financé exclusivement par l'emprunt.
Si le taux de croissance réel de l'économie est inférieur au taux d'intérêt réel, la constance du rapport dette publique/PIB requiert un excédent budgétaire. Dans les conditions d'un gonflement du déficit, la progression de l'endettement, conjuguée à la hausse de la charge des intérêts, augmente la part de la dette dans le PIB. Cette contrainte est censée créer un cercle vicieux (déficit – endettement – déficit – endettement) qui constitue un handicap permanent à la demande privée d'investissement.
Cet argument prête le flanc à la critique. En supposant une progression accélérée de l'endettement, il omet l'impact du déficit public sur le produit intérieur brut. Si les dépenses publiques sont consacrées à l'investissement, l'accroissement du revenu qui en résulte peut diminuer la part de la dette dans le produit intérieur brut. Ainsi, si l'on postule l'existence d'une relation de dépendance entre le revenu national et le déficit, la politique budgétaire reprend ses droits. Elle peut en effet accroître les recettes fiscales et alléger le poids de la dette.
Le report de la charge de remboursement peut être tout au moins atténué. Les dépenses publiques financées sur fonds d'emprunt améliorent les capacités de remboursement, en même temps qu'elles lèguent un stock de capital créateur de revenus. Un creusement du déficit en période de faible croissance se trouve, de par son incidence sur la demande, financé en phase d'expansion. Enfin, l'impératif de discipline budgétaire écarte le recours à la création monétaire au motif que celle-ci est génératrice d'inflation. Cette causalité n'a rien de systématique.
L'expansion de l'investissement public peut, dans le contexte de changements techniques, induire une hausse de la productivité à même d'entraîner une baisse des coûts unitaires du travail. A taux de salaire constants, une telle hausse peut même s'accompagner d'une baisse des prix. Le maintien du pouvoir d'achat des salariés n'est pas de nature à susciter des revendications salariales et, partant, une tension sur les prix.
Même si le financement monétaire exerce des effets inflationnistes, une politique budgétaire expansive apparaît viable eu égard aux faibles retombées à moyen terme de l'objectif d'une inflation quasi-nulle. Une inflation modérée est à même de stimuler la production et l'emploi et de desserrer la contrainte financière.
Encadrée par des règles crédibles et des compromis, une politique des dépenses publiques aurait un coût en termes de chômage faible comparativement aux restrictions budgétaires qui, en exerçant un effet dépressif sur la demande, compromettent la possibilité d'une croissance durable de la production et aggravent le sous-emploi. Dans de telles conditions, l'objectif d'une stabilité des prix, quelle que soit la conjoncture, semble pour le moins paradoxal au point que certains jugent nécessaire d'accroître l'efficience de l'économie au moyen d'… un peu d'inflation.
P. A. Muet note à ce sujet, non sans ironie, qu'il est curieux que les tenants du credo de la réforme du marché du travail réclament la flexibilité des salaires, mais défendent inlassablement la stabilité des prix, c'est-à-dire la rigidité à la hausse.
Au total, en dépit des fragilités de ses fondements, la discipline des finances publiques gouverne la politique budgétaire depuis au moins une trentaine d'années. Elle est relâchée en période de crise comme l'illustrent bien les mesures prises en 2008-2009, le rachat d'actifs toxiques, l'apport de garanties et de capitaux propres aux banques et les aides aux entreprises.
Les réactions budgétaires à la crise sanitaire qui, ont aujourd'hui la faveur des avocats de la rigueur en temps normal, sont un autre exemple de dérogation aux principes de discipline. Il ne s'agit pas là d'une politique active de régulation de la demande de facture keynésienne, mais de modalités de gestion de crises. En ce sens, les affirmations de Duflo sont aussi étrangères à Keynes que le loup est innocent envers le sang du Prophète Joseph.
Par Rédouane Taouil
Professeur à l'Université de Grenoble


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