Entretien avec Jean-Paul Brighelli professeur agrégé de lettres et essayiste. Les portables, puis les smartphones, ont rendu les communications à distance presque immédiates. A tel point que nous avons tendance à oublier les règles élémentaires de politesse, et pas seulement dans le cadre privé… - Selon une étude menée début septembre par Debrett's, site britannique spécialisé dans les bonnes manières, 77 % des personnes interrogées considèrent qu'en 20 ans les capacités à se comporter en société se sont détériorées, et 72 % estiment que les téléphones portables en sont la principale raison. En favorisant l'immédiateté, les modes de communication moderne tels que les textos, les mails ou les twitts font-ils effectivement perdre de vue les règles essentielles de la politesse ? Sommes-nous entrés dans une société de l'incivilité ? Jean-Paul Brighelli : Ceux qui utilisent peu les nouvelles technologies sont les premiers à les incriminer — sans doute en a-t-il été de même avec l'imprimerie il y a cinq siècles… Cela dit, il est certain que ces technologies correspondent à un repliement sur soi — dans une société de plus en plus agressive— et en même temps à une inflation du narcissisme (« tout pour ma gueule »). Or la communication tient essentiellement dans le respect de l'autre — quelles que soient les visées de ce respect, hommage ou manipulation. Les instruments de la communication à distance, en éliminant de facto l'interlocuteur (du moins sa présence physique) incitent à ne tenir compte que du locuteur, et non de l'interlocuteur. Q – Les nouvelles technologies favorisent-elles une plus grande porosité entre vie privée et vie professionnelle ? La familiarité qui prévaut dans la première risque-t-elle (et le fait-elle déjà) de s'imposer dans la deuxième, handicapant fortement les personnes qui n'y feraient pas assez attention ? Si oui, comment cette familiarité se manifeste-t-elle ? R – Les nouvelles technologies ont considérablement aménagé les horaires de travail : on est disponible désormais 24 heures sur 24. Effet pervers, en investissant le champ personnel, le milieu professionnel ne peut se plaindre de devoir en adopter le langage. En d'autres termes, quand les patrons respecteront le hiatus entre vie professionnelle et vie privée, peut-être recevront-ils des réponses rédigées en langage professionnel. Q – On dit souvent que l'écriture texto a considérablement amenuisé les qualités rédactionnelles d'une grande partie de la population (les jeunes étant les premiers concernés). Y a-t-il effectivement un phénomène de délitement de l'expression, écrite comme orale ? Celui-ci trouve-t-il son origine dans l'introduction de cette nouvelle manière de communiquer, ou est-il plus ancien encore ? A quoi tient-il ? R – Les jeunes n'ont pas eu besoin des textos pour maltraiter l'orthographe, par exemple. L'école telle qu'elle se pratique a largement suffi à relativiser la notion même de règle. Les technologies ont été inventées parce qu'elles correspondaient à un état de civilisation (le désapprentissage des contraintes, grammaticales comme sociétales), et non le contraire.