À l'ombre des contreforts de l'Anti-Atlas, en plein cœur d'un climat semi-aride à aride, s'étend un arbre emblématique du Maroc, porteur d'une richesse écologique, économique et culturelle unique : l'arganier. Symbole de résilience et de développement durable, l'arganeraie est bien plus qu'un simple écosystème : elle joue le rôle de rempart naturel contre les dérèglements climatiques et incarne un savoir-faire ancestral reconnu par l'UNESCO comme patrimoine culturel immatériel de l'humanité. Mais ce patrimoine naturel est aujourd'hui menacé. Réchauffement climatique, sécheresses récurrentes et pressions humaines fragilisent l'arganier, alerte Latifa Yaakoubi, directrice générale de l'Agence nationale pour le développement des zones oasiennes et de l'arganier (ANDZOA). Interrogée par la MAP à l'occasion de la Journée internationale de l'arganier (10 mai), Yaakoubi dénonce la surexploitation des terres, le stress hydrique, les précipitations irrégulières et la sécheresse prolongée, autant de facteurs qui pèsent lourdement sur la santé de cet arbre endémique. Face à ces conditions extrêmes, l'arganier déploie ses mécanismes de survie, parfois au détriment de sa capacité à produire des fruits, explique-t-elle. Résultat : des arbres affaiblis, plus vulnérables aux parasites, un couvert végétal appauvri, et une baisse de plus de 50 % des récoltes dans les zones où les pratiques agricoles sont peu durables. Le constat est partagé par Abdelaziz Mimouni, chef du Centre régional de la recherche agronomique d'Agadir, qui qualifie la situation de « préoccupante », évoquant un dépérissement sévère qui affecte la productivité et entraîne la perte d'arbres. Si les dernières pluies ont apporté un peu d'espoir, notamment dans la région d'Essaouira, elles restent insuffisantes pour restaurer l'arganeraie dans son intégralité. Un pilier pour les communautés locales S'étendant sur quelque 830.000 hectares dans la réserve de biosphère de l'arganeraie, l'arganier joue un rôle crucial dans la stabilisation des sols en réduisant l'érosion jusqu'à 75 % en zone montagneuse, tout en freinant l'ensablement des terres agricoles. Il contribue également à la régulation du cycle de l'eau, à la lutte contre les inondations et à la séquestration du carbone — près de 2,5 tonnes de CO2 par hectare et par an. C'est dans cette optique que la Journée internationale de l'arganier est placée cette année sous le thème : « L'Arganier, levier pour renforcer l'atténuation des effets du changement climatique », afin de rappeler son rôle vital pour l'environnement et les populations locales. Selon Khalid Alayoud, fondateur du réseau des associations de la réserve de biosphère de l'arganeraie (RARBA), l'existence même du microclimat non désertique du Souss est en partie due à la présence de cet arbre. Il héberge une biodiversité remarquable, avec plus de 200 espèces végétales et une centaine d'espèces animales endémiques. Un moteur de développement et d'émancipation Au-delà de ses vertus écologiques, l'arganier soutient l'économie rurale : la filière emploie près de 4 millions de personnes, dont 80 % de femmes dans des coopératives, faisant de cet arbre un levier d'émancipation féminine et de lutte contre l'exode rural. Près de 1.000 coopératives et 900 PME valorisent les savoir-faire traditionnels, notamment l'extraction de l'huile d'argane. Conscient de son importance stratégique, le Maroc a mis en œuvre plusieurs initiatives, notamment les stratégies « Génération Green 2020-2030 » et « Forêts du Maroc 2020-2030 », qui ont permis de réhabiliter 246.000 hectares d'arganeraie et de planter 10.000 hectares supplémentaires dans les régions de Souss-Massa, Marrakech-Safi et Guelmim-Oued Noun. Dans cette dynamique, l'ANDZOA œuvre également à moderniser les infrastructures d'eau potable, désenclaver les zones rurales, améliorer les services de santé et d'éducation, et développer des projets d'assainissement. À l'heure où le monde cherche des modèles de développement durables, l'arganeraie marocaine apparaît comme un exemple à suivre. Elle incarne une approche intégrée, alliant protection de l'environnement, inclusion sociale et rentabilité économique au service des territoires et de leurs habitants.