Aux termes de l'article 1 de la Convention relative à l'aviation civile internationale (Convention de Chicago, 1944), «chaque Etat a la souveraineté complète et exclusive sur l'espace aérien au-dessus de son territoire.» Des accords régionaux de navigation aérienne, approuvés par l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI), définissent les limites des différents espaces aériens. Cependant, ainsi que le montrent les cartes qui sont disponibles sur le site d'ENAIRE, l'entreprise gestionnaire du trafic aérien espagnol, les services espagnols contrôlent la circulation aérienne au-dessus de plusieurs portions du territoire national : – Dans le nord du pays, le centre de contrôle de Madrid couvre Sebta et une bande côtière dans laquelle se trouve Ksar Sghir. – Aéroport de Melilla : selon le cas, les vols sont opérés soit sous la juridiction du centre de contrôle de Séville, soit sous le contrôle de Casablanca. – Les services de la circulation aérienne au-dessus du Sahara marocain sont principalement fournis par ENAIRE. Le Maroc a proposé des modifications des limites des différentes zones (FIR) pour pouvoir couvrir le nord de son territoire, mais l'Espagne s'y est opposée, afin de garder le contrôle du trafic aérien de ses enclaves. Concernant les provinces du Sud, le Maroc a fait des démarches pour que la prise en charge de la gestion du trafic aérien dans cette région lui soit dévolue. Plusieurs réunions ont eu lieu à ce sujet entre les services techniques des deux pays, mais sans résultat. Réticences espagnoles Dans ce contexte, la déclaration maroco-espagnole conjointe du 7 avril 2022 a suscité de grands espoirs en prévoyant que des «discussions seront entamées sur la gestion des espaces aériens». On peut comprendre que les espaces visés sont aussi bien le nord du Maroc (Sebta et Melilla) que le sud (Sahara). À ce jour, ces discussions, si elles ont eu lieu, ne semblent pas avoir avancé. Au début de l'année en cours, la presse espagnole (El Faro, 12-01-2025) a cru savoir que le Maroc exigeait que «l'Espagne lui cède le contrôle de l'espace aérien du Sahara occidental, en échange du déblocage des douanes de Melilla et de Ceuta.» Un autre média, OKDiario, a écrit que «Rabat considère que l'Espagne n'a pas tenu ce qui avait été promis lors de réunions secrètes concernant le transfert de l'espace aérien du Sahara, étape préalable au contrôle total du territoire» par le Maroc. Les rumeurs qui ont couru au sujet d'un transfert du contrôle de l'espace aérien du Sahara occidental au Maroc ont été démenties par le ministre des affaires étrangères José Manuel Albares, qui les a qualifiées de «théories étranges.» La question a connu une évolution notable avec l'adoption le 6 mai 2025 par la commission des affaires étrangères du Congrès des députés d'une «proposición no de ley» (PNL) concernant la gestion de l'espace aérien du Sahara marocain, présentée par le Parti populaire (PP). La proposición no de ley (littéralement «proposition non de loi») est une «proposition parlementaire à caractère non législatif» destinée à exprimer une position politique ou recommander une action au gouvernement. Sans valeur juridique contraignante, elle est essentiellement déclarative ou incitative. Cet acte parlementaire a son équivalent dans d'autres pays, généralement sous l'appellation de motion ou de résolution. Le texte qui a été adopté avec 20 voix pour, 12 contre (PSOE) et cinq abstentions (Vox) veut empêcher le transfert du contrôle de l'espace aérien du Sahara occidental au Maroc. La motion demande au gouvernement d'informer les députés sur l'état d'avancement des négociations avec le Maroc au sujet de la gestion de l'espace aérien du Sahara occidental. Le texte demande également que «toute modification de la gestion de l'espace aérien du Sahara occidental soit soumise à un débat parlementaire et bénéficie du soutien des organisations internationales compétentes.» En réalité, le PP est dans son rôle de principal parti d'opposition et son initiative vise essentiellement à mettre en difficulté le gouvernement de gauche. Le porte-parole du PP a dénoncé l'absence d'information sur «les engagements pris ou convenus avec le Maroc suite au revirement du président Pedro Sánchez concernant le Sahara après avoir soutenu le plan d'autonomie du Maroc pour l'ancienne colonie espagnole.» En définitive, le PP veut maintenir le statu quo dans les limites du cadre juridique actuel. L'OACI ne décide pas En 1976, l'Espagne a notifié au secrétaire général de l'Organisation des Nations unies (ONU) la fin de sa présence au Sahara et s'est considérée libérée de toute responsabilité internationale à ce titre. De fait, contrairement à une idée répandue, l'ONU ne considère plus l'Espagne comme puissance administrante de l'ancienne colonie. Quel est alors pour Madrid l'intérêt de vouloir maintenir le contrôle aérien d'un territoire sur lequel l'Espagne n'exerce plus d'autorité politique ? La principale justification avancée par le gouvernement espagnol n'est pas convaincante. En 2017, le gouvernement de Mariano Rajoy avait en effet affirmé que «l'Espagne est responsable de la gestion de l'espace aérien au-dessus du Sahara occidental par décision de l'OACI.» Cette affirmation n'est que partiellement exacte : l'OACI, agence spécialisée de l'ONU, n'a pas compétence pour trancher des litiges de souveraineté. Elle attribue formellement la gestion des espaces aériens à des Etats, mais dans un cadre technique et non politique. Ce sont les Etats qui ont la responsabilité opérationnelle, l'OACI n'impose pas mais reconnaît une répartition sur la base de la capacité technique, de la continuité historique et de l'accord des Etats concernés. L'OACI ne «décide» pas qui gère tel ou tel espace aérien : elle entérine une situation proposée ou acceptée par les Etats, pour des raisons techniques. ➢ Appendice 1 de l'annexe 11 à la Convention de Chicago : «La répartition de la responsabilité en matière de services de la circulation aérienne doit être basée sur des accords entre les Etats concernés, approuvés par le Conseil de l'OACI.» Le paradoxe juridique n'en est que plus flagrant : l'Espagne s'est désengagée politiquement du Sahara, mais garde la main sur la gestion de l'espace aérien du territoire. Dit autrement, si le gouvernement espagnol s'est retiré du Sahara, terre et mer, en 1976, qu'est-ce qui l'empêche, aujourd'hui, de se retirer de son espace aérien ? Ne dit-on pas «qui peut le plus, peut le moins» ? En quoi le transfert aux services marocains poserait-il un problème aux autorités espagnoles ? La raison serait-elle bassement matérielle, sachant qu'ENAIRE facture chaque vol contrôlé ? À moins que Madrid, par sa réticence, veuille affaiblir la position de Rabat et avoir des garanties au sujet d'un autre espace, maritime celui-là, à savoir les eaux territoriales du Maroc et leurs limites avec les îles Canaries. Cette situation, en tout cas, est révélatrice des ambiguïtés espagnoles. Imbroglio juridique Il ne pourra être mis fin à cet imbroglio juridique qu'au prix d'un accord formel entre le Maroc et l'Espagne, avec notification à l'OACI. Cet arrangement bilatéral mettrait fin aux responsabilités espagnoles ponctuelles qui remontent à une époque révolue, et fixerait les limites des FIR espagnoles dans la gestion de la circulation aérienne dans l'espace aérien du Maroc. Quoi qu'il en soit, en pratique, le Maroc exerce une gestion de facto sur l'espace aérien des provinces du Sud, même si la FIR Canaries est incluse dans la boucle. Les vols militaires n'étant pas concernés par la Convention de Chicago, l'armée marocaine ne rend pas compte de ses activités dans la zone. Des équipements d'aide à la navigation aérienne ont été installés aux aéroports de Laâyoune et de Dakhla pour garantir la sécurité et la régularité des vols desservant ces aéroports. Les vols internationaux passent certes par le système de planification espagnol mais sont coordonnés avec la FIR Casablanca pour les autorisations locales. Une décision du gouvernement espagnol ne pourra intervenir qu'à l'aune des rapports du Parti socialiste (PSOE) avec ses alliés. Or, Sumar s'est opposé au PSOE en soutenant l'initiative présentée par le PP. Son porte-parole, née dans les camps de Tindouf (Algérie), s'active intensément sur cette question. À reste, plusieurs PNL hostiles au Maroc ont été présentées dans le passé, sans conséquences majeures. En 2016, par exemple, EH Bildu demandait la reconnaissance de la «rasd» et l'établissement de relations diplomatiques avec la «république»... La PNL, on l'a vu, ne crée aucune obligation juridique pour le gouvernement. C'est une pression politique, à laquelle le gouvernement n'est pas tenu de donner suite. Ce texte compliquera sans doute la marge de manœuvre du gouvernement de Pedro Sánchez mais ne l'empêchera pas forcément d'agir, en particulier par des arrangements techniques. Le Polisario pourrait essayer d'intenter des actions en justice mais leur issue serait incertaine. En 2018, un recours a été introduit contre l'accord euro-méditerranéen relatif aux services aériens entre l'Union européenne et le Maroc. Le Conseil de l'Union européenne a soulevé une exception d'irrecevabilité, à laquelle la Cour de justice de l'Union européenne a fait droit en déclarant le recours introduit par le polisario irrecevable, au motif que ce mouvement ne dispose pas de la qualité pour agir.