Dans les souks et les marchés du royaume, une même complainte résonne depuis quelques jours : « Le poulet devient hors de prix » Et pour cause, depuis le début du mois de juin, les prix de cette volaille si populaire dans les foyers marocains ont pris l'ascenseur, grimpant de cinq dirhams le kilo sur les marchés de gros. Une hausse qui fait grincer des dents les mères de famille déjà confrontées à l'inflation du quotidien. Cette flambée des prix n'arrive pas par hasard. Elle coïncide avec l'approche de l'Aïd al-Adha, une période traditionnellement marquée par une consommation accrue de viande. Mais cette année, un élément change la donne : l'absence du sacrifice rituel habituel pousse de nombreuses familles à revoir leurs habitudes alimentaires. Plutôt que l'agneau ou le mouton traditionnels, beaucoup se tournent vers des alternatives plus accessibles, et le poulet figure en tête de liste. « Ma voisine Fatima m'a dit qu'elle a complètement changé son menu pour l'Aïd cette année« , confie Aicha, mère de famille rencontrée au marché central de l'Océan, Rabat. « Avec les prix qui flambent partout, le poulet reste encore ce qu'il y a de plus abordable pour nourrir toute la famille". Les professionnels du secteur confirment cette tendance avec des statistiques éloquentes. La demande a littéralement explosé, bondissant de 30 à 40% depuis le début du mois. Mohamed Abboud, président de l'Association nationale des éleveurs de poulets de chair, a vu de ses propres yeux cette transformation du marché. Sur le marché de gros de Casablanca qu'il connaît comme sa poche, les prix sont passés de 13 dirhams le kilo début mai à près de 18 dirhams début juin. « Franchement, cette ruée vers le poulet nous a tous surpris« , avoue-t-il. « On s'attendait à une hausse, mais pas à ce point. Les gens font la queue dès le matin pour s'assurer d'avoir leur part". Mais derrière cette hausse se cache une réalité moins reluisante : la spéculation. Comme souvent en période de forte demande, certains acteurs du marché n'hésitent pas à tirer profit de la situation. Ces intermédiaires achètent directement aux éleveurs à des prix encore raisonnables, puis revendent sur les marchés de gros avec des marges confortables. « C'est toujours la même histoire« , soupire Mustapha Montassir, président de l'Association nationale des producteurs des viandes de volailles. « Les principaux bénéficiaires de cette situation, ce ne sont ni les éleveurs ni les consommateurs, mais bien ces spéculateurs qui s'enrichissent sur le dos des familles". Cependant, tout n'est pas noir dans ce tableau. Les détaillants, conscients de la situation difficile des ménages, font des efforts pour limiter la casse. Dans la plupart des boucheries et supermarchés, le prix du poulet reste contenu autour de 20 dirhams le kilo, loin de refléter entièrement la hausse observée en amont. Les professionnels se veulent rassurants pour les jours à venir. Mustapha Montassir anticipe même un retour rapide à la normale : « Dès vendredi, à la veille de l'Aïd, on devrait voir les prix redescendre vers les 13 dirhams le kilo". Une prévision basée sur l'expérience des années précédentes, où les pics de demande s'estompent traditionnellement après les grandes fêtes. Plus important encore, les stocks sont largement suffisants. « Aucun risque de pénurie« , martèle-t-il. « Nos élevages tournent à plein régime, et les disponibilités nationales peuvent largement absorber cette demande exceptionnelle". Une assurance qui devrait rassurer les familles marocaines, déjà bien éprouvées par les aléas économiques du quotidien.