Présenté en première mondiale au Festival international du film de Marrakech, le documentaire « Fatna, une femme nommée Rachid » retrace le parcours exceptionnel de la Marocaine Fatna El Bouih, ancienne détenue politique devenue figure majeure des droits humains. Au micro de Hespress FR, la réalisatrice, Hélène Harder, conte un film de transmission et d'espoir, nourri par une rencontre humaine profonde. À travers les rues vibrantes de Casablanca, le film remonte aux débuts du combat de Fatna, arrêtée et torturée à seulement 21 ans. Aujourd'hui âgée de 67 ans, elle poursuit inlassablement son rêve de changement : défense des droits des femmes, accompagnement de détenues syriennes rescapées de Saidnaya, ou encore organisation d'un festival de cinéma dédié aux mineurs incarcérés. Un portrait inspirant d'une vie façonnée par la résistance et l'action. À l'origine du film, il y a un choc, un visage, une présence. Hélène Harder se souvient parfaitement du moment où elle croise Fatna pour la première fois : « J'ai rencontré quelqu'un qui avait une telle énergie de vie, un tel élan, une telle connexion avec le présent... C'est cela qui m'a poussée à faire ce film. » Elle avait d'abord lu le témoignage de Fatna sur les années de plomb, son enlèvement et sa détention. Un récit puissant, mais qui lui semblait chargé d'une responsabilité immense : « Je ne me sentais pas forcément légitime pour assurer la transmission d'une histoire aussi lourde. » Dès les premières étapes, Harder cherche à tisser un lien organique entre passé et présent. Pas question de compartimenter la vie de Fatna ni de la figer dans son statut d'ancienne détenue : « Je voulais éviter l'idée d'une rupture. Le désir de changement de Fatna perdure depuis sa jeunesse. Il fallait que passé et présent se répondent. » Les archives restaurées des années 1970, provenant notamment de la Cinémathèque marocaine, se mêlent aux trajets de Fatna dans Casablanca. Son regard, sa voix, sa démarche deviennent autant de passerelles entre l'histoire et l'actualité. Fatna coécrit la voix-off du film, un geste fort, essentiel : « Je tenais à ce que son écriture soit entendue. Fatna écrit merveilleusement, surtout en arabe. Sa voix devait raconter son parcours, depuis l'enfance jusqu'à l'activisme d'aujourd'hui. » Le film porte le même titre que le livre de Fatna, Une femme nommée Rachid, un choix que la réalisatrice explique avec conviction : « Le titre questionne cette logique qui voulait réassigner les femmes à une certaine idée de la féminité. Pour certains, si une femme se mêlait de politique, alors il fallait la considérer comme un homme. » Pour Harder, nommer le film ainsi, c'est rendre hommage à ces militantes des années 70 qui ont refusé qu'on les invisibilise : « Cette génération a ouvert des portes. Elles ont affirmé qu'en tant que femmes, elles étaient des sujets politiques à part entière. Ces portes ne doivent plus jamais se refermer. » Filmer la prison : un espace de lutte et de fragilité Le documentaire suit Fatna dans ses actions actuelles : accompagnement de survivantes syriennes, transmission auprès des plus jeunes, et surtout l'organisation d'un festival de cinéma pour mineurs à la prison d'Oukacha. Harder y a tourné pendant plusieurs années : « Ce n'est jamais simple de filmer en prison. Obtenir les autorisations est difficile, mais c'est surtout l'expérience humaine qui bouleverse. » Face aux jeunes détenus, elle ressent un choc profond : « Quand on voit leur potentiel, on ressent un immense sentiment d'injustice. Ce dont ils ont besoin, c'est d'éducation, d'expression, de possibilités... pas forcément d'enfermement. » Dans cet espace clos, Fatna crée ce qui manque : un lieu de parole, d'image, d'émotion. « Elle offre aux jeunes la possibilité d'écrire, de raconter, de mettre en forme leurs émotions. C'est un acte politique. » Une première mondiale accueillie avec émotion La projection au FIFM ne laisse personne indifférent. La salle réagit fortement, et de nombreuses jeunes femmes viennent à la rencontre de Fatna après la séance. « Beaucoup m'ont dit qu'elles ne connaissaient pas bien cette histoire. J'espère que le film éclaircit certaines zones d'ombre tout en ouvrant une réflexion : que faire aujourd'hui de cette mémoire ? » Pour Harder, la question est urgente et universelle : « La mémoire n'a de sens que si elle est conjuguée au présent. Nous sommes dans un moment où la répression revient, au Maroc comme ailleurs. Les années de plomb doivent nous apprendre quelque chose : il faut continuer à résister. » Avec Fatna, une femme nommée Rachid, Hélène Harder signe un film profondément humain, porté par la force d'une femme qui n'a jamais renoncé à son rêve de justice. La projection à Marrakech s'impose comme un moment fort du festival, avant que le film ne s'envole vers Bruxelles pour clôturer Cinemamed lors de sa première européenne.