À fin novembre 2025, les finances publiques marocaines dessinent un paysage contrasté : des recettes en forte progression, des dépenses en accélération et un déficit budgétaire qui se creuse sensiblement. Selon le Bulletin mensuel de statistiques des finances publiques de la Trésorerie générale du Royaume (TGR), le déficit du Trésor atteint 68,8 milliards de dirhams (MMDH), contre 45,7 MMDH un an auparavant, malgré un solde ordinaire redevenu nettement positif, à 25,9 MMDH, contre 21,8 MMDH un an auparavant. D'après le même document, cette évolution reflète à la fois la vigueur des recettes fiscales et non fiscales, la pression continue sur les dépenses, notamment d'investissement, et des mécanismes de financement en recomposition. Le bilan à fin novembre révèle ainsi une année où l'État a absorbé une montée des charges tout en s'appuyant davantage sur le marché intérieur et sur un recours extérieur redevenu positif. Forte dynamique des recettes ordinaires À fin novembre, les recettes ordinaires brutes atteignent 366,1 MMDH, en hausse de 15,8 % par rapport à la même période de 2024. Cette progression s'explique par l'envolée simultanée des recettes fiscales et non fiscales. Ainsi, les recettes fiscales progressent de 15,7 %, pour s'établir à 319,1 MMDH. Les impôts directs enregistrent la plus forte croissance, avec un bond de 22,4 %. L'impôt sur les sociétés (IS), dopé notamment par les régularisations et par une augmentation des restitutions, voit ses recettes brutes monter à 78,9 MMDH, en hausse de 29,9 %, tandis que les recettes nettes gagnent 28,9 % (75,5 MMDH) Quant à l'impôt sur le revenu (IR), il augmente lui aussi de 14,6 %, atteignant 60,9 MMDH en recettes brutes, soutenu par une amélioration des revenus salariaux et une hausse de 21,9 % des recettes liées aux profits immobiliers. L'opération exceptionnelle de régularisation volontaire instaurée par la loi de finances 2024 y contribue à hauteur de 3,8 MMDH. La fiscalité indirecte progresse de 11,4 %, portée par une hausse des taxes intérieures de consommation (+15,5 %), notamment sur les tabacs manufacturés (+13,3 %) et les produits énergétiques (+17,4 %). La TVA demeure la principale source de recettes : 87,9 MMDH en net, dont 57,4 MMDH à l'importation et 30,5 MMDH à l'intérieur, soit une progression globale de 10,5 %. Les droits d'enregistrement et de timbre augmentent également (+10,4 %) pour atteindre 21,1 MMDH. Recettes non fiscales : envolée des versements et des monopoles Selon le Bulletin mensuel de statistiques des finances publiques de la TGR, les recettes non fiscales, en hausse de 16,3 %, totalisent 46,98 MMDH. L'accélération provient de plusieurs leviers notamment les versements des comptes spéciaux du Trésor : 18,8 MMDH (contre 14,2 MMDH), les recettes des monopoles : 18,9 MMDH, en hausse de 30,8 %, avec notamment l'OCP (6,2 MMDH), Bank Al-Maghrib (4,2 MMDH) et l'Agence de la conservation foncière (5 MMDH) ainsi que les fonds de concours multipliés par près de trois (2,47 MMDH contre 862 MDH). En revanche, aucune recette n'a été enregistrée au titre des privatisations, contre 1,7 MMDH un an auparavant. Par ailleurs, les dépenses ordinaires s'établissent à 340,1 MMDH, en hausse de 15,5 %, un rythme proche de celui des recettes mais insuffisant pour contenir le déséquilibre global. Quant aux dépenses de personnel, elles augmentent de 10,4 %, pour atteindre 164,2 MMDH, conséquence d'une progression de la masse salariale structurelle. Les dépenses de matériel, elles, bondissent de 31,2 % (103 MMDH), en raison notamment des transferts vers les établissements publics et les comptes spéciaux du Trésor. Les charges d'intérêts de la dette augmentent de 11,6 % pour atteindre 41,9 MMDH, tirées par la dette intérieure (+19,2 %), tandis que les charges liées à la dette extérieure diminuent de 10,7 %. En parallèle, les dépenses de compensation reculent de 5,7 %, s'établissant à 13,6 MMDH, dans un contexte de baisse de la charge liée aux produits subventionnés. Les remboursements, dégrèvements et restitutions fiscaux progressent, eux, de 14,2 %, atteignant 17,44 MMDH, notamment en raison des remboursements de TVA (13,3 MMDH) et des restitutions d'IS (3,37 MMDH). Investissement public : une hausse soutenue L'investissement public continue de jouer un rôle majeur dans la trajectoire budgétaire. Selon le document de la TGR, les dépenses d'investissement atteignent 105,4 MMDH, en progression notable de 19,4 %, dépassant largement leur niveau de l'année précédente. Cette hausse est portée par les dépenses des ministères : 54,3 MMDH, en hausse de 8,1 % et les dépenses des charges communes : 51 MMDH, en hausse de 34,3 %. Les comptes spéciaux du Trésor reçoivent à ce titre 29,8 MMDH en transferts d'investissement, contre 23,5 MMDH un an auparavant. Comptes spéciaux et SEGMA : des soldes positifs mais un poids croissant dans les flux Selon le bulletin de la TGR, les comptes spéciaux du Trésor totalisent 186,2 MMDH de recettes et 176,8 MMDH de dépenses. Leur solde demeure positif, à 9,4 MMDH, bien qu'en baisse par rapport à l'an dernier. Plusieurs fonds se distinguent à savoir le Fonds routier (excédent de 1,04 MMDH), l'INDH (excédent de 577 MDH) et l'Appui à la cohésion sociale (excédent de 4,1 MMDH). En parallèle, les services de l'État gérés de manière autonome (SEGMA) présentent des recettes de 2,82 MMDH (+12,7 %) et des dépenses de 1,63 MMDH (+7,7 %), dégageant un solde positif modéré. Un déficit qui s'aggrave sous l'effet d'un besoin accru de financement Selon le document de la TGR, on observe que le déficit du Trésor se creuse nettement : 68,8 MMDH à fin novembre 2025, contre 45,7 MMDH un an auparavant. Les besoins de financement atteignent 89,6 MMDH, contre 55,9 MMDH à la même période de 2024. Cela dit, le financement extérieur contribue positivement pour 24,9 MMDH, contraste marqué avec 2024 où il était négatif (-1,1 MMDH). Par ailleurs, les tirages atteignent 44,2 MMDH, en grande partie provenant du marché financier international (20,9 MMDH) et de la Banque mondiale – BIRD (12,1 MMDH). En ce qui concerne les remboursements de la dette extérieure, ils diminuent fortement, passant de 33,5 MMDH à 19,3 MMDH. Ainsi, le Trésor mobilise 64,7 MMDH via le financement intérieur, contre 57,1 MMDH un an plus tôt. Cependant, le volume net des adjudications recule fortement : 40,8 MMDH, contre 59,4 MMDH en 2024. La dette intérieure atteint ainsi 796,2 MMDH, en hausse de 5,5 %, portée par des émissions conséquentes sur les maturités longues (30 ans, 20 ans, 10 ans). Une exécution budgétaire contrastée À fin novembre, les taux de réalisation de la loi de finances reflètent une exécution relativement conforme sur le volet des recettes ordinaires (99,7 %), mais plus lente sur les dépenses d'investissement (82 %). Les dépenses ordinaires, elles, atteignent 92,9 % des prévisions. Cette configuration, marquée par une hausse généralisée des recettes mais un élargissement du déficit, illustre une année budgétaire complexe : l'État bénéficie d'une dynamique fiscale forte, mais celle-ci ne suffit pas à contenir une progression soutenue des dépenses, en particulier d'investissement et de fonctionnement.