Chronologie d'une “révélation” inquiétante C'est à Casablanca que les chemins de Youssef Fikri et Mohamed Dmir se croisent. Le premier est plus déterminé, plus aventurier. Le second, mieux formé à l'école afghane, est plus prudent. Et c'est tout naturellement que Fikri, auteur déjà de deux crimes, devient l'Emir du groupe “Excommunication et retranchement”. Les policiers qui s'apprêtaient à investir à Hay Douma une maison à Sidi Moumen pour appréhender des suspects dans l'affaire connue désormais sous l'appelation “ Salafia Jihadya ”, savaient qu'ils avaient affaire à un groupe particulier. Celui-ci s'est distingué par un engagement résolu et une détermination dans l'action qui ont commencé à faire les tristes jours des quartiers périphériques de plusieurs villes marocaines. Mais, dans un rapport de forces défavorable aux suspects, ils ne s'attendaient fort probablement pas à ce que le groupe privilégie l'affrontement à la tentative de fuite. C'est pourtant ce qui s'est passé lorsque le chef du groupe, Mohamed Dmir s'est attaqué à un brigadier de la police le blessant gravement d'un coup d'épée au niveau des poumons. Contraints de recourir à l'usage des armes à feu, les éléments de la BNPJ, (Brigade nationale de la police judiciaire), touchèrent Mohamed Dmir d'une balle à l'abdomen et de deux autres aux jambes, tandis que l'un de ses complices, Rabii Aït Ouzou en recevait cinq. Le troisième, Salah Zarli, échappe aux balles mais pas au coup de filet. Mohamed Dmir qui s'est donné pour nom de guerre Abou Al Harith est l'un des plus durs éléments des groupuscules qui se retrouvent derrière la dénomination commune “ Assalafiya Al Jihadiya ” (le salafisme combattant) sans qu'entre eux la relation soit toujours patente. Frère d'un autre intégriste, Mehdi, plus connu sous le nom de Soufiane, décédé lors d'un raid américain à Kaboul, Mohamed Dmir était surtout considéré comme “ l'émir ” d'un groupe qui sévissait à Hay Al Oulfa. Son arrestation fait tomber le quatrième maillon du groupe Youssef Fikri, et sa résistance introduit une nouvelle donne dans l'approche sécuritaire de l'activité clandestine d'un certain intégrisme en particulier et du mouvement islamiste en général. C'est, en effet, la première fois depuis de longues années, probablement depuis les événements de Dar Bouaâza en 1973, que les forces marocaines de sécurité se retrouvent en présence d'une logique d'affrontement armé. Le film des événements des derniers jours, chronologie d'une “ révélation ” inquiétante, menant à la capture de plusieurs individus considérés comme subversifs, est plus ou moins bien connu, mais l'arrestation de Mohamed Dmir et de ses amis boucle (provisoirement) une série de faits qui intriguent les services de la DST et de la DGSN depuis quatre ans. Pour la plupart, ils resteront inexpliqués jusqu'aux dernières arrestations. C'est le 16 novembre 1998 que le premier fait troublant survient à Casablanca. Abdelaziz Dahrane, un agent de police, est attaqué à la hache par un inconnu qui prend la fuite après avoir raté son coup. Abdelaziz Dahrane, blessé, survit sans rien comprendre, pas plus que ses collègues, à l'acte de son agresseur qui ne sera arrêté qu'en juin 2002. Abdelaziz Boukhlifi, c'est son nom, se révèle être un adepte de Bendaoud El Khili, toujours en fuite, qui pour avoir limité “ Dar al islam ” à lui-même, à sa famille et à ses disciples, est considéré comme l'un des plus radicaux de la mouvance “ Assalafiya Al Jihadya ”. Moins d'une année plus tard, en juin 1999, un groupe d'intégristes se signale à Youssoufia dans la région de Safi, pendant le mois de Ramadan, par l'organisation d'expéditions punitives accompagnées de vols. Dans un premier temps, les services de police croient au fait divers, mais l'arrestation par la suite d'une dizaine de personnes menées par un certain Bouchaïb Rquiba qui a purgé sa peine depuis, réoriente leur attention vers une piste autrement moins droit commun que l'agression et le larcin. C'est le début d'un phénomène dont la propagation aux quartiers périphériques des grandes villes ira crescendo. Sidi Moussa et Oued Eddahab à Salé. A 14 km de là, une véritable base arrière, Sidi Tayeb près de Bouknadel, Beni Makada à Tanger, Aouinat El Hajeb, Aïn Haroune, Ben Slimane et Ben Souda à Fès, aujourd'hui Toulal à Meknès, et quasiment l'ensemble de la périphérie casablancaise deviennent des zones de prédilection pour ces bandes et se transforment progressivement en fiefs. Parmi le groupe de Youssoufia, on découvrira plus tard le jeune Youssef Fikri “ donné ” à Tanger par deux complices et qui défraye aujourd'hui la chronique. Mais pour l'instant, il passe à travers les mailles. Il n'a alors que vingt ans mais déjà un C.V. bien garni avant de devenir un casier judiciaire chargé. La police ne le savait pas encore, mais c'est lui l'assassin de son propre oncle, Abdelaziz Fikri. C'est mine de rien, en écoutant l'épouse de son oncle se plaindre à sa mère de la débauche de son époux, qu'il décide d'en faire un exemple et passe à l'acte en octobre 1998. Ce n'est toujours que le premier pas qui coûte. Après l'arrestation de ses amis des punitions expéditives de Youssoufia et de leur mentor, Bouchaïb Raquiba, Youssef Fikri se trouve une retraite à Agadir. Avec deux compagnons, Youssef Addad et Abdelmalek Bouzegrane, le jeune Fikri se remet à l'œuvre et devient lui et ses amis rapidement les héros encore inconnus d'une série d'agressions et de vols, essentiellement des motos, avec l'objectif de se constituer un trésor de guerre. A mi-chemin du banditisme et du Jihad, les trois hommes attendent que l'un d'eux passe son permis - ce sera Y . Addad - pour passer au vol des voitures et aux choses plus sérieuses. Dans ce circuit infernal de “ l'exil et de l'excommunication ”, Agadir n'est qu'une escale, tout comme Nador où Youssef Fikri et l'un de ses compagnons donnent la mort en 1999 à un inoffensif candidat à l'émigration clandestine, réfractaire à la religion, répondant au prénom de Mohamed mais dont l'identité n'est pas connue. Dans ce crime on côtoie le morbide et le sordide. En attendant l'aube pour éparpiller les membres de leur victime, les assassins trouvent la voie au sommeil à côté du cadavre. Mais dans le dessein “ généreux ” de ces jeunes “ combattants de Dieu ”, c'est Casablanca qui apparaît comme le théâtre rêvé ! C'est là qu'un groupe “ Assirate Al Moustakim ” (le droit chemin) se fait remarquer par la lapidation publique d'un “ impie ”. Erreur fatale qui a mis le feu aux poudres et les services de sécurité en état d'alerte. C'est là encore que les chemins de Youssef Fikri et Mohamed Dmir se croisent. Le premier est plus déterminé dans ses engagements, plus aventurier. Le second, mieux formé à l'école afghane, est plus prudent. Par sa fougue Y. Fikri, auteur déjà de deux crimes, il en commettra trois autres, prend de l'ascendant sur Dmir et devient Emir de ce groupe “ Exil et Excommunication ” un arbre certainement qui ne fait que laisser deviner la forêt de groupuscules, à limage de celui de Sidi Moumen, qui se profile derrière un phénomène loin d'être marginal. Naim Kamal