J'ai reçu il y a peu un fax très courtois de la part du docteur Idrissi Moulay Ahmed, expert assermenté. Il me suggère de changer le portrait qui illustre mes chroniques en raison de la cigarette que je semble tenir entre mes doigts d'une manière ostentatoire. Le docteur Idrissi n'a pas fait référence à la loi qui engage à une lutte contre le tabac. Par tact, j'imagine, car il m'aurait assimilé à un panneau publicitaire. Bien que je ne tienne qu'un mégot entre les doigts, cette missive estimable va de toute façon dans le sens affiché et vite oublié par les pouvoirs publics de lutter contre le tabagisme en prévenant et non en s'efforçant de soigner quand il est trop tard. Bien sûr il y a ceux qui considèrent cette calamité avec un humour tragique, comme Humphrey Bogart qui disait à ses amis, chaque fois qu'il allumait une cigarette : “C'est un clou dans mon cercueil”. Ce trait de lucidité pourrait constituer un excellent slogan anti-tabac. Selon toute apparence, le docteur Idrissi ne prend pas appui sur une ONG pour mener sa lutte, car il ne fait aucun doute qu'il se soucie fort de la santé des Marocains. Il ne s'en rend peut-être pas compte, mais en pointant mon mégot il a soulevé un lièvre de belle taille, et je ne peux que l'aider dans cette tâche. Dans toutes les villes et villages du pays il y a des buralistes dont l'entrée est ornée d'un panneau offert par la Régie des tabacs. Ces panneaux peuvent être considérés comme une invitation à fumer. D'autre part, il n'échappe à personne qu'il y a des marchands de cigarettes au noir en pleine lumière sur les trottoirs. Je n'ai pas pour habitude de parler de ma vie personnelle –“Que m'importe ce qui n'importe qu'à moi” disait André Malraux- mais je me dois de raconter ce qui, au fond, intéresse tout le monde. Il y a deux ou trois ans, j'avais visité une douzaine de pharmacies –pas dans le sens de cambrioler- pour m'enquérir de ces produits tels que le “patch” qu'on colle sur le bras et qui aide le fumeur invétéré à se débarrasser de l'envie de fumer. Ce “patch” contient une quantité limitée de nicotine qui est transmise dans le sang, et avec un peu de volonté, le fumeur ne pense plus au geste devenu machinal et qui fait tant de ravages. Le traitement dure quelques mois ou moins, et à chaque phase la quantité de nicotine dans le “patch” est réduite. Tout cela après avis d'un médecin. Cela doit aider puissamment les personnes animées par la volonté de cesser de fumer mais qui n'y arrivent pas. Aucune pharmacie ne dispose de ce produit ni d'un autre. Avant de tracer ces lignes, j'ai visité d'autres pharmacies. A chaque fois ma question a eu pour réponse un regard bizarre des préposés. Etrange. Ce produit est en vente dans toutes les pharmacies d'Europe. On entend souvent dire que pour arrêter de fumer, il suffit d'avoir de la volonté. C'est vite dit. L'intoxication connais pas. Cela me remet en mémoire le très beau film de Louis Malle “Le feu follet”, d'après le roman de Drieu La Rochelle, qui avait collaboré avec les nazis et plus tard avait préféré le suicide au déshonneur. Le personnage principal était incarné par Maurice Ronet, alcoolique à l'écran comme à la ville. Aujourd'hui ailleurs, lui aussi. Comme disait Henri Jeanson, le scénariste, : “La vie est un combat contre la mort. Le meilleur ne l'emporte pas”. Maurice Ronet dans “Le feu follet” s'était désintoxiqué dans une clinique, mais ne voulait pas en partir, peu sûr de lui. Son médecin insistait sur le fait qu'il était désormais guéri et qu'il lui fallait seulement un peu de volonté. “La volonté est au cœur du problème” avait répondu Maurice Ronet. Autrement dit, il faut vouloir vouloir. Sur tous les paquets de cigarettes il est porté la mention : “nuisible pour la santé”. Loi n° 15/91. Les miennes portent en plus : “goudron 16 mg, nicotine 1,1 mg”. Est-ce suffisant pour inciter le fumeur à ne pas franchir la porte d'un buraliste ? Certes non. Les fumeurs moyens peuvent arrêter assez facilement, contrairement à ceux qui ont atteint le stade de l'intoxication et qui croient à tort ou à raison, qu'ils ont besoin d'un produit quelconque pour les aider. Dans cette quête, j'ai même rendu visite à un herboriste qui m'a proposé une tisane. Or, il se trouve que la tisane n'est pas ma tasse de thé. Il reste la prévention pour les jeunes, ce qui n'exclut pas l'aide à apporter aux fumeurs invétérés. Sur ce plan, il y a possibilité d'agir en s'appuyant sur la loi 15/91. Il serait tout à fait légitime de demander au ministère de la Santé s'il y a un ostracisme quelconque contre ces produits. La question doit être posée aussi au syndicat des pharmaciens. Est-ce le prix du traitement qui les fait reculer ? C'est assez cher en effet. Mais il s'agit de santé publique. Il est certain que des organismes internationaux comme l'OMS ne marchanderaient pas leur aide. Des pays amis, aussi. En particulier la France et l'Espagne. Concernant la jeunesse, une vaste campagne pourrait être organisée avec des courts métrages et des clips que les salles de cinéma et les chaînes de télévision diffuseraient avec leur civisme coutumier. Les réalisations des films et des clips seraient financées sans aucun doute par la Régie des tabacs –privatisée à 80 %- qui est l'un des poumons du Trésor public. La Chambre des représentants pourrait être sollicitée, et sans aucun doute si cela lui était suggéré, n'importe quel élu poserait une question orale au ministre de la Santé, lors d'une séance de l'après-midi. Quant à mon mégot, sans être là il sera là, car c'est un compagnon fidèle depuis de nombreuses années. C'est en effet déchoir que de jeter sa liberté et son passé dans un caniveau. Comme un mégot.