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Rencontre du 3ème âge
Publié dans La Gazette du Maroc le 08 - 06 - 2004


Des cinémas et des hommes
Notre balade se poursuit dans les salles de cinéma marocaines où se trament amours et vengeances des amants. Abdelwahad, un septuagénaire hilarant, avait tenu à nous accompagner cette fois-ci dans une salle moderne fréquentée par une bourgeoisie jeune et folle. De fil en aiguille, pendant que sur l'écran se joue un mélodrame policier, Abdelwahad fait des siennes en épiant des fiancés à la langue bien pendue.
Chaque fois, le regard de Abdelwahad -un septuagénaire tout en couleur habillé en cette soirée d'été d'un pantalon jaune et d'une chemise rouge- se posait sur l'une des affiches de cinéma qui garnissaient les murs du complexe. Il clignait des yeux comme un enfant et ne savait pas se décider. “Oh putain ! il faut bien choisir...C'est dur, ils proposent tellement de films en même temps que c'est une torture pour moi...” Abdelwahad, sans faille, pesait le pour et le contre, s'arrêtait longuement sur l'affiche du centre où une belle meuf était allongée en fumant une cigarette, allait vers une autre pancarte coloriée où un couple, cette fois-ci, se faisait face comme pour une guerre sans fin, revenait vers celles de gauche pour les jauger, avant de laisser tomber : “Ah ! De mon temps, on n'avait pas ce problème. Parfois on ne regardait même pas l'affiche de dehors. On allait au cinéma, on entrait et on suivait avec le même enthousiasme tous les films... C'était ça aller au cinéma à l'époque.” Abdelhak et moi lui rappelons qu'il commence à se faire tard et qu'il faut bien se décider à se payer ces trois
tickets avant que la caissière ne plie bagage. Le vieil homme, les cheveux blanchis et volant avec le vent, paraît surpris. Il rigola. “Mais il reste une demi-heure avant le film. Qu'est-ce que vous me racontez là mes fils?” dit-il. On l'a affranchi. On lui a fait comprendre que les temps avaient résolument changé et que les cinéphiles devaient aujourd'hui se pointer bien avant la séance pour acheter leurs places car les caisses fermaient. On voyait ses dents blanches, d'un coup : “vous vous moquez de moi, jeunes hommes. Nous, on y allait quand on voulait. Même qu'on avait droit d'entrer à la moitié du film ou vers la fin si ça nous chantait pour revoir les dernières scènes. Et là je vais encore vous étonner car de mon temps, messieurs (il paraît soudain nostalgique), on pouvait, lorsqu'on connaissait l'ouvreuse, rester pour la séance suivante...” Abdelwahad courbait du dos et levait son bras pour marquer son courroux, prêt à fondre l'air tel un mousquetaire qui défend sa belle dame. Le vieil homme de derb Sultan, qui était devenu notre ami au fil de notre enquête, semblait prêt à pleurer et à nous sortir un chapelet de souvenirs savoureux certes, mais qui allait nous faire rater la séance. En guise de femme et d'histoire mélancolique du passé qui risquaient de rendre cafardeux Abdelwahad, nous lui proposâmes ingénieusement de choisir le film en se basant non pas sur l'affiche, mais plutôt à la tête des clients, des spectateurs qui prenaient telle ou telle file. Car en définitif nous étions dans cette salle de cinéma pour le travail et pas pour autre chose, et il ne fallait pas tergiverser avec des données qui nous éloignaient du centre de notre intérêt. C'est là qu'il a commencé, en se dodelinant sur place, à fixer les visages et leurs traits, à rechercher dans la foule les potentialités des couples qui tournaient autour de nous, à vérifier ceux qui pouvaient nous intéresser car venus ici en amoureux et cherchant un nid d'amour où s'abriter. C'est cela qui le fit carburer sitôt qu'il se décida à choisir plutôt les spectateurs que le film...
En attendant la séance
L'aventure pour laquelle avait opté Abdelwahad était un mélange de drame passionnel et de suspense policier. Il nous avait dit : “il paraît que c'est une femme qui trompe son mari qui finit par assassiner l'amant. Regardez combien cela a attiré la foule et surtout de couples en mal de vertige...” Il avait raison, Abdelwahad. Il y avait notamment de jeunes amants qui se tenaient par les mains, des couples récemment mariés et d'autres profils d'amoureux divers qui allaient de la copine que l'on invitait pour la première fois et que l'on tentera aujourd'hui d'embrasser durant la projection, jusqu'au profil des vieux amants lassés aux noces d'or qui choisissent le film pour un peu de piquant dans leur quotidien. Dans le hall gigantesque où l'on attendait sagement, Abdelwahad trépignait sur place et commençait déjà à émettre des sons gutturaux très difficile à interpréter : “Ouf...regardez cette belle femme... Ahrrrrrrh quels beaux yeux, quel regard...” Il partait ainsi dans un soliloque mouvementé qui poussait Abdelhak et moi à le calmer, à suspendre son ardeur et à lui apprendre les rudiments du métier de journaliste qui sont la discrétion. Il rêvait intérieurement de devenir journaliste et nous avait à maintes fois affirmé les jours passés avoir raté sa vocation en devenant commerçant à derb Omar. “Vous tissez des textes, moi j'ai tissé et vendu toutes ma vie des étoffes et des soieries. C'est presque pareil”. Il partait alors dans un éclat de rire qui faisait se retourner tous les gens qui nous entouraient. Il ne comprenait pas non plus lorsqu'on lui disait que les cinémas d'aujourd'hui sont moins bruyants qu'auparavant et que la règle d'or des cinéphiles était la contenance des sens. Il nous narguait et disait encore une fois que le cinéma de sa jeunesse était meilleur que le nôtre car désormais on ne pouvait pas crier dans les salles, siffler pendant des minutes, faire des réflexions à voix haute sur les actrices et les scènes, crier quand on le voulait et appeler ses amis qui se trouvaient dans un autre coin de la salle. Et c'était des “Oh putain quelles femmes dans ces salles. Si mon épouse me voyait elle me répudierait... Je lui ai dit que j'allais revoir les deux journalistes, mais là c'est trop pour mes vieux yeux. Cette salle moderne dont j'oublie le nom à chaque fois car il est compliqué, ressemble à une passerelle de mode ! Je vous jure mes enfants que si ma femme lalla Yamna me savait ici, je serai dès demain sans toit, dans la rue, avec le papier de ma répudiation entre les mains. Vous savez, maintenant, les femmes ont tous les droits. Lalla Yamna, à cinquante ans, s'est mise à jour et connaît maintenant par cœur la nouvelle moudawana. Elle pourrait vous réciter des extraits entiers sur le divorce et ses droits...” Abdelwahad partit dès lors dans une autre digression sur la nouvelle femme marocaine jusqu'à ce que nous sentîmes la file cahoter, bouger lentement et finalement autoriser le public à entrer dans l'antre des images. C'est en soufflant d'aise que nous accédâmes au temple pyramidale. Abdelwahad vit les escaliers et leur angle accentué et parut étonné. “C'est quoi ça ? C'est pharaonique ?” Puis, quand il comprit que tout le mur d'en face représentait l'écran sur lequel il allait voir les scènes, il manqua de tomber : “Quoi, comment on va faire ? Je ne vais pas pouvoir suivre le film comme ça. C'est pas possible. Et comment font ceux qui se mettent tout en bas... ?” Nous lui conseillâmes de chercher des couples intéressants tant que la lumière pouvait l'aider et de ne pas se préoccuper d'autre chose. “nous sommes là pour l'enquête alors cessez, Abdelwahad, de gigoter comme un poisson” lui recommandait Abdelhak en lui tapotant l'épaule.
Un film peut en cacher un autre
Tant bien que mal, nous réussîmes à nous asseoir bien au fond sans trop attirer l'attention des gens. C'était l'idéal et le vieil homme le comprit très vite : “Ah ces escaliers arrangent l'affaire. On voit bien les au-tres fauteuil”. C'était vrai. Il n'avait que l'embarras du choix. Il pouvait jeter l'œil en bas, à gauche ou à droite il verrait des couples aux têtes rapprochées, des mains qui s'enlacent tendrement, des regards d'amour et des promesses d'éternité. Puis, très vite, la lumière s'était éteinte et des images avaient commencé à défiler sur l'écran. Abdelwahad s'était assis au milieu. C'est à ce moment là qu'on a vu ce couple dissimulé par la pénombre qui grimpait timidement les escaliers et cherchait une place commode. Fort heureusement il n'y avait plus beaucoup de fauteuils libres dans notre coin et les deux amoureux furent obligés de prendre place à deux rangées de la nôtre, en plein dans notre champ de vision et accessibles à nos oreilles. Abdelwahad nous consultait du regard et paraissait content de l'évolution de la situation. Sur l'écran, le mélodrame australien, cette fois-ci, avait commencé calmement. Un couple marié, qui avait un enfant, paraissait mener une vie tranquille dans une petite ville. Des scènes complaisantes et l'on s'attendait à ce que les choses changent rapidement. Alors que l'on s'y attendait le moins, on avait brusquement entendu la jeune fille du couple dire que “pour eux ça sera comme ça et qu'elle voulait un enfant, pas plus...” On avait compris qu'on avait affaire à des fiancés. On avait noté que la fille avait dix-huit ou dix-neuf ans, son futur mari la trentaine. Abdelwahad tendit son oreille pour mieux entendre et nous rapporta quelques paroles volées à l'intimité des amoureux. “Oui ma chérie, je veux que tu sois comme cette épouse. Regarde comment elle est avec son mari” disait le fiancé que l'on saura s'appeler Jamal. A quoi répondait sa fiancée : “Oui hbiba, ne t'en fais pas, je m'occuperai bien de toi...” Abdelwahad était toute ouïe mais en voulait plus très vite. Il était même prêt à descendre à l'autre rangée sur un siège resté libre pour avoir plus de détails sur l'affaire en cours.
Le Lamartine marocain
La fiancée avait soudain dit “je serai donc une Lamarti. J'ai hâte que l'on se marie” Jamal Lamarti tenait sa dulcinée par la main et lui chuchotait un “je t'aime roulala (escargot)”. Sur l'écran, le film avait basculé étrangement : on voyait maintenant l'épouse se diriger vers un hôtel de la ville où selon toute vraisemblance elle avait un rendez-vous. Abdelwahad n'aimerait pas trop et penserait que l'épouse allait finir par tromper le mari. Cependant en bas, dans la rangée des fiancés, une autre discussion avait commencé : “Moi je te dis qu'elle va le faire...” disait le jeune homme. Sa fiancée, qui avait les yeux cloués au film, disait “que non ouili (équivalent de Mon Dieu) cela n'était pas possible. Tu te trompes voyons. C'est une femme intègre de bonne famille (elle disait bent anass) cela saute aux yeux regarde comment elle est habillée et comment elle vit avec son mari” Et lorsque Jamal, agacé, lui demandait ce qu'elle foutait dans un hôtel à quinze heures alors qu'elle devrait se trouver dans son office, la fiancée lui répondait que “sans doute elle avait rendez-vous avec une amie ou un parent...” Bref, le suspense était entretenu chez les Lamarti. Abdelwahad écoutait passionnément le dialogue des amoureux ; il paniquait : “que va-t-il se passer...” Entre-temps l'épouse avait fini dans le film par atteindre une porte close, la chambre de l'hôtel, et avait posé sa main élégante sur le poignet. C'est là le moment choisi par le réalisateur pour faire un petit break et laissait les spectateurs pendus à un fil dérisoire qui faisait battre leurs cœurs. Des scènes de son mari, jouant tendrement avec son enfant de dix ans, venaient remplacer l'attente de la salle. Abdelwahad, qui en avait vu d'autres dans la vie, nous susurrait que “certainement que le mari était un sacré numéro et qu'il trompait sa femme de son côté”. Le couple de fiancés, les Lamarti, commençait à s'essouffler. Jamal n'en pouvait plus attendre et commençait à manifester son impatience en prenant à parti sa fiancée pour les agissements louches du personnage féminin du film : “Je t'ai dit kbida (mon foie) que les femmes étaient toutes pareilles et qu'elle allait certainement s'envoyer en l'air un collègue de travail ou un pompiste du coin. Sinon comment expliquerais-tu que le réalisateur ait choisi de couper la scène au moment précis où elle allait entrer dans cette chambre d'hôtel pour passe. Tout ça c'est de la psychologie”. Sa fiancée adorée rouspétait et lui disait qu'il se précipitait et allait trop vite dans ses jugements : “tu vas voir, elle sera fidèle...” Jamal lui lançait : “crois-moi je sais les reconnaître, je te dis que c'est une infidèle”. Abdelwahad rigolait sous cape une énième fois. Il savait que la discussion des amants allait se corser et s'enflammer avec le film et que le meilleur allait encore venir.
A SUIVRE


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