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Bahloul, le semsar Killer
Publié dans La Gazette du Maroc le 17 - 10 - 2005


Prison centrale de Kénitra
Bahloul Lhoucine est un personnage insaisissable. Dans le couloir de la mort, il file ses journées sans trop de remous. C'est le type de criminel qui a toujours la rage. Il s'est fait prendre un jour et il ne l'oublie pas. Une espèce de fatalisme dans l'attitude, une colère à peine déguisée et surtout une amertume devant le destin. Agent immobilier de son état (un semsar), il a tué plusieurs personnes. Lui n'avoue qu'un crime, le dernier, celui qui l'a fait plonger. Pourtant, les PV de la police attestent de crimes en série perpétrés par un père de famille qui avait l'apparence tranquille d'un homme ordinaire. Père de sept enfants, quatre filles et trois garçons, ce natif de Benslimane purge aujourd'hui une condamnation à mort à la prison centrale de Kénitra et ne s'attend à aucun espoir.
C'est un homme au corps presque disloqué qui a sa propre rythmique, où les organes semblent ne pas cohabiter dans le même continent, qui veulent appartenir à des corps différents, obéissant à des sensations dictées par une multitude de consciences aussi disparates les unes que les autres, c'est un individu mal luné qui avance vers nous, ses multiples manifestations, toutes ses présences qu'il tente d' assembler, de mettre sous le même poids pour garder un soupçon de son humanité. Nous sommes dans le couloir de la mort, pavillon B, à quelques encablures du fleuve Sebou, pas loin de la mer. L'air est frais, une belle journée automnale avec une brise légère qui vient fouetter ce beau jardin qui fait office de cour intérieure.
Smerdiakov ou Stavroguine ?
Une expression d'amertume qui n'est pas du tout feinte, une véritable aigreur, une réelle aversion qui en fait du reste l'un des détenus les plus éteints de la Prison centrale de Kénitra. Bahloul n'aime plus la compagnie des hommes. Il est rasé de près, une légère égratignure lui marque le bas du menton, le regard affûté et morne de celui qui porte un lourd fardeau. Un poids certes sur la conscience mais aucun remord ne transparaît, du moins pas ce jour où nous avons conversé pendant quelques heures. On nous dira par la suite que ce Bahloul est presque oublié puisqu'on le voit rarement, se fait très petit, évite de frayer longtemps les gens. Il arrive avec une espèce de mollesse dans la démarche. Le crâne est dégarni sur un front plissé ce qui lui donne un air désagréable. Et de fait, quand il entame sa longue litanie sur le destin, il laisse entrevoir une immense rage ravalée. Cet homme en veut au monde d'avoir été pris. Il en veut à la terre entière de ne pas avoir bien mené ses desseins de grand serial killer intouchable. On se demande l'espace d'un moment s'il n'en fait pas un peu trop, si ce n'est pas un jeu rodé, répété des centaines de fois qui lui sert de paravent, de garde-fou pour impressionner les autres? Sa colère vous marque de façon directe, sans fioritures. On se pose sérieusement la question si on n'est pas devant un maniaque, fou à lier, qui peut basculer d'un moment à l'autre dans une rage sans nom et qui pourrait faire éclater cette minuscule salle en millions de petits morceaux ? On se demande si on n'est pas devant un criminel complexe, à l'âme obscure, un personnage de roman noir, une espèce de “Smerdiakov” doublé d'un “Stavroguine” bien léché qui n'est que le concentré du mal, de la colère et du crime ? On vient voir un criminel condamné à mort, qui va passer le restant de ses jours en prison, dans une cellule individuelle de 1 m 80 sur 2 m 80, qui nous accueille avec un : «c'est comme ça et je n'ai rien à ajouter. C'est arrivé. Et je ne vais pas vous dire pourquoi. C'est comme ça et pas autrement ». Il est impossible de perdre de vue que nous sommes là devant un homme qui a tué plusieurs personnes par cupidité. Un être humain qui, à un moment de sa vie, a décidé d'ôter celle des autres. Le pourquoi du comment ? On ne le saura jamais. Bahloul peut tout débiter sauf pourquoi il a tué toutes ces personnes. D'ailleurs, il avoue un seul meurtre le dernier. Les autres, c'est par le silence qu'il répond. Le silence, et une étrange grimace.
Benslimane. Cambolo
1949, Bahloul Lhoucine est né à Benslimane à Douar Oulad el Bahloul. Il ne se souvient pas du jour ni du mois. Mais il assure l'année de sa naissance : 1949. “J'ai grandi à Cambolo (un quartier de la région de Benslimane), je n'ai pas beaucoup de souvenirs de mon enfance. On va dire qu'il n'y a rien à en dire”. À la sortie de l'adolescence, il se marie. Il a à peine 17 ans. Une fille du bled et il lui fait sept enfants. L'aîné a aujourd'hui 30 ans, le benjamin, 5 ans. “Oui, ils me manquent et c'est le destin. Tout cela est derrière moi. Aujourd'hui j'attends ce qui viendra certainement mettre fin à tout cela”. Même une discussion sur les enfants n'arrive pas à le décrisper. “Je ne veux plus en parler et d'ailleurs je n'en ai jamais parlé. J'ai été jugé et là je suis ici. Qu'y a-t- il de plus à ajouter ?” Quoi qu'il en soit, Bahloul passera vingt longues années de sa vie à Douar Oulad Bahloul à Benslimane avant de prendre la destination de Casablanca où il habite à Hay Hassani. Nous sommes en 1978. “Une période autre. La vie était différente. Mais je ne sais pas si c'était bien ou pas. Nous avons vécu quelques années là-bas, et c'est tout”. Rien ne peut l'attendrir, ni les souvenirs, ni le passé, ni les vieux temps, ni les jours anciens. On dirait que cet homme n'a pas de mémoire. Ou alors il en a une mais aseptisée. À l'âge de 20 ans, il se fait chauffeur. “Jamais une fois je n'ai commis un délit. De bons états de service. Je conduisais bien et je savais ce que je faisais”. C'est là l'unique fois où il laisse filtrer une espèce d'émotion. De la fierté ? Ou alors un pied de nez à la destinée ? Là non plus, on ne saura jamais ce qui trotte dans cette tête enveloppée dans ses propres méandres. L'épisode Hay Hassani est insignifiant. Bahloul y mène une vie ordinaire, sans accrocs avec l'existence. Il ne sait pas s'il était heureux. Pour lui, la question du bonheur ne s'est jamais posée. Il vivait. Point à la ligne.
Al Qods, rue 34, n° 55
Dans les années 90, Bahloul déménage à Sidi Bernoussi. Il traverse la ville de bout en bout comme s'il était attiré par les extrêmes géographiques de la grande ville grise. Dans le voisinage à Amal I où il a vécu jusqu'au jour où il s'est fait arrêter, on se souvient d'un homme simple et sans problèmes. Rien de plus. Les langues ne sont pas déliées et l'on préfère ne pas trop raconter sur le compte d'un type qui a achevé tant de vies dans le silence. Le chauffeur change de métier. Il s'improvise agent immobilier. Oui, Bahloul devient semsar et il a pignon sur rue à Hay Al Qods, rue 34 au numéro 55. Nous sommes en 1993. Le quartier en question est encore assez vide, les gens ne sont pas nombreux à habiter au bout de la ville. Mais l'avenir promet. Bahloul se fait une bonne clientèle et les affaires marchent. “C'est un métier où on peut se faire beaucoup d'argent. Pour ma part, le peu me suffisait. Je ne voulais pas amasser une fortune. Il y a les enfants et leur avenir, c'était le plus important. Puis, il faut dire que très vite, la concurrence est devenue rude et là, les ennuis commencent quand on ne peut plus gagner assez pour vivre bien”.
C'est là aussi le début de sombres idées sur le gain rapide. L'originaire de Benslimane n'aime pas la pauvreté où il a grandi. Il veut devenir un propriétaire terrien, il veut posséder une ferme, élever du bétail, bref mener la vie du bédouin repu dans toute sa splendeur. Faire le semsar à la petite semaine n'est pas le bon filon. Alors, il se découvre d'autres talents cachés. Il a des prouesses insoupçonnées qu'il peut utiliser pour se faire de l'argent et il s'y emploie avec religiosité.
Semsar Killer
Benaguida est sa première victime. Ce sont huit années plus tard que l'on saura que la disparition de Benaguida était due à sa rencontre avec Bahloul Lhoucine. Benaguida est un type de Bernoussi qui n'a plus donné signe de vie depuis le jour où le destin l'a mis sur la route de Bahloul. On conclura la mort, la disparition, l'errance et l'on attendra les aveux de Bahloul pour se faire une réelle idée sur la première victime du semsar. Lui ne se souvient pas de ce crime. Oui, il a oublié. Il ne veut pas en parler. Il a tourné une page sur le passé. Mais il se souvient de 22 septembre 2002, le jour où la police est venue lui mettre les menottes en l'accusant du meurtre avec préméditation de plusieurs personnes. Devant la police, il dégoupille tout ce qu'il sait et signe pour marquer du sceau de l'indélébile ce qu'il a fait. Aujourd'hui, il se souvient d'une bagarre : “Non, ce client était presque fou. Il me harcelait. Il ne voulait ni louer ni acheter. Il me faisait perdre mon temps. Alors, il y a eu un échange d'insultes et là je me suis emporté. Après, je l'ai tué, oui c'est parti comme ça, je ne sais pas comment. Il faut dire que le bonhomme était un fou qui me faisait littéralement chier. C'est son destin. Et le mien est d'être ici aujourd'hui. Comme on dit chacun son destin, n'est-ce pas ?”. Avouer un seul crime est une façade plus supportable que d'étaler toute la liste des cadavres qu'il a accumulés en plus de dix ans de crime. Il pense en racontant cet épisode de son cru se refaire une santé morale, après coup. Il est le premier à savoir qu'il n'y arrive pas. Et il se ravise et remet sa grimace étrange sur le visage. La bouche tordue et le regard bas.
Des cadavres et du pognon
L'histoire telle qu'elle est racontée par Bahloul devant la police est tout autre. La démarche est très simple à la base. Bahloul repère ses clients. Il a l'oeil et il sait qui a de l'oseille et qui n'en a pas. Il choisit le pigeon facile à décapiter et il se lance à sa poursuite. C'est un procédé de chasseur qu'il utilise. Il y a du gibier et il faut l'abattre avec à la clef beaucoup d'argent. Après Benaguida, Bahloul sait qu'il peut tuer et dormir tranquille. Les problèmes de conscience, il ne connaît pas. Le remords, le regret et tout le bazar de l'âme, ce n'est pas son fort. Il s'emploie à fructifier ses dons d'assassin. L'agence de Hay Al Qods lui sert de point de chute. Un couple débarque. Ils veulent acheter une belle maison. Ok, on y va, j'ai le meilleur pour vous. Il y va et il leur montre ce qu'ils veulent voir. Le couple est heureux. Le couple voit la vie en rose ; le couple est sous sédatif. Et le prix ? Pour vous, c'est une affaire qui se profile. Il les attendrit et leur offre moins que ce qu'ils voulaient mettre dans leur maison. Difficile à croire, mais on y croit. Le couple est dans le sac. On va signer ? Ok, mais pas à Casablanca. Il faut partir à Benslimane et ramener l'argent avec vous. Le propriétaire habite la région. Ok, on y va. Et le semsar conduit le couple à sa dernière demeure. On arrive à destination et le jeu peut commencer. Sur place, il isole le mari et le zigouille. Puis revient chercher la femme et l'achève à son tour. Après cela, la ronde cruelle pour se débarrasser des corps. Il les enterre dans les champs de son patelin qu'il connaît comme sa poche et il revient la besace pleine de billets de banque. Le scénario implacable marche deux fois, puis arrive un gros poisson qui a envie d'acheter une terre dans la région de Casablanca. Bahloul a du répondant. Il est l'homme de la situation. Là encore même jeu. J'ai ce que tu cherches et au meilleur prix. Le client est dans le cirage, obnubilé par l'efficacité du semsar. On refait le même chemin et on prépare le terrain pour d'autres acrobaties sur le thème de la dissimulation de restes humains. Le client qui rêvait d'une ferme, y sera enterré et pour longtemps. Bahloul aura avoué lui avoir pris quelque 36 millions de centimes bien propres avant de l'expédier dans les limbes de l'oubli. Sauf que la police va s'en mêler et là Bahloul ne sait plus quoi faire. Il perd les pédales, il devient fou. Il se laisse trahir. Mais il remet le coup encore une fois comme dans un acte de grande perdition. Mais l'efficacité meurtrière n'y est plus. La victime échappe à la mort et la police se met sur les traces du semsar. Son père, Lhaj Benali n'en revient pas. Sa mère non plus. Lhoucine aurait fait tout cela ? Eh, oui et il comptait amasser une immense fortune pour se payer de belles journées de grand nabab du bled sous le soleil d'Allah. Les rêves de fortune s'évanouissent le 24 avril 2003, à l'instant même où la sentence tombe. Une condamnation à mort sans appel. Bahloul n'en revient pas lui non plus. Mais où j'ai déconné ? Il ne le sait pas encore. J'ai certainement fait une erreur ? Oui, mais laquelle ? Il ne sait pas non plus. Alors, l'amertume vis-à-vis de lui-même prend des allures de grand châtiment. Il se fait mal et se terre dans la colère. “Je ne sais pas ce que je vais faire, mais je dois faire quelque chose”. C'est ce qu'il dit quand il se lève pour retourner dans sa cellule. Son survêtement Kappa lui va de travers sur des épaules tombantes. Les mains grasses et lisses laissent une impression illusoire d'un homme qui n'était pas réellement là avec nous pour cette longue discussion sur ses crimes. “Oui, j'ai tué celui-là, mais il faut savoir que je suis pauvre”, la dernière phrase qu'il prononce avant de fermer la porte derrière lui.


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