La décision du groupe Union des Droites pour la République de retirer une résolution symbolique sur les accords bilatéraux avec l'Algérie, en pleine affaire Boualem Sansal, reflète les équilibres fragiles entre diplomatie, mémoire et liberté d'expression. L'annonce imminente – la semaine prochaine – du verdict du procès en appel de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal ravive les lignes diplomatiques entre Paris et Alger, qui ont une nouvelle fois montré leur sensibilité. Le groupe parlementaire « Union des Droites pour la République », présidé par Eric Ciotti, a annoncé le retrait d'une résolution controversée appelant à dénoncer les accords franco-algériens de 1968 et 2013, qui régissent notamment le statut migratoire des ressortissants algériens en France. Initialement prévue à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, cette proposition, à forte charge symbolique mais dépourvue d'effet législatif immédiat, visait à remettre en question les privilèges conférés par ces textes aux Algériens en matière de séjour, d'emploi et de protection sociale. Elle faisait écho à des revendications récurrentes d'une partie de la droite française, qui considère ces accords comme désuets, inéquitables et contraires à l'universalité des règles migratoires de la France. Mais dans un geste qualifié de « responsabilité » par son auteur, Eric Ciotti a annoncé la suspension de la résolution, invoquant la nécessité de ne pas envenimer davantage les relations bilatérales dans un contexte déjà chargé par la situation de Boualem Sansal, condamné à cinq ans de prison en mars par la justice algérienne. Lire aussi : Algérie : Dix ans de prison requis en appel contre Boualem Sansal Âgé de 80 ans, atteint d'un cancer de la prostate, Boualem Sansal est poursuivi pour des propos jugés attentatoires à l'unité nationale et à l'intégrité territoriale de l'Algérie. En cause, notamment, ses déclarations dans lesquelles il évoquait la genèse artificielle du Front Polisario et rappelait l'appartenance historique de l'ouest algérien au Maroc avant la colonisation française. Des paroles qui, dans un pays verrouillé par un nationalisme d'Etat fondé sur le roman historique du FLN, relèvent presque du sacrilège. L'écrivain, salué en France pour son engagement humaniste et la radicalité lucide de son œuvre, est devenu malgré lui un symbole de la liberté d'expression bridée dans l'Algérie contemporaine. Lors de l'audience d'appel tenue mardi à Alger, le parquet a requis dix ans de prison. Le verdict est attendu pour le 1er juillet. Une manœuvre sous couvert d'apaisement En retirant la résolution, Eric Ciotti a ostensiblement choisi la voie de la prudence. « Il ne s'agit pas de renoncer à la vérité historique ni de diluer notre souveraineté législative, mais de ne pas compromettre les efforts diplomatiques en cours pour obtenir justice pour Boualem Sansal », a-t-il déclaré dans l'hémicycle. Le ministre délégué français au Commerce extérieur, M. Laurent Saint-Martin, a salué cette décision, y voyant un « geste d'apaisement bienvenu » dans un climat où les relations entre les deux pays oscillent entre rapprochements ponctuels et accès de crispation. Ce retrait est aussi révélateur d'une stratégie de temporisation : la résolution, qui n'a pas été abandonnée, pourrait être réinscrite à l'agenda parlementaire dès la session d'automne, a laissé entendre M. Ciotti. Une manière de ménager la diplomatie sans désarmer totalement sur le fond. Signés en 1968 puis révisés en 1985 et 2013, les accords franco-algériens restent un point névralgique des débats franco-français sur l'immigration et l'héritage colonial. Ils permettent notamment à des dizaines de milliers d'Algériens de bénéficier d'un statut dérogatoire leur conférant un accès facilité au marché du travail, à la carte de résident, et à certains droits sociaux. Pour leurs détracteurs, ces dispositions relèvent d'un privilège postcolonial dépassé, source d'inégalités et d'ambiguïtés juridiques. Côté algérien, toute remise en cause unilatérale de ces accords est perçue comme un affront historique, voire un acte hostile. Alger veille jalousement à leur préservation, y voyant une forme de reconnaissance implicite du rapport singulier qui lie les deux pays, sur fond de mémoire douloureuse. L'affaire Sansal agit comme un révélateur des limites de l'équilibre bilatéral. Paris, qui a tardé à réagir officiellement à sa condamnation, semble désormais adopter une ligne discrète mais active, multipliant les contacts diplomatiques pour éviter un affrontement ouvert. La suspension de la résolution parlementaire s'inscrit dans cette logique de désescalade, alors que les autorités françaises tentent de conjuguer défense des droits humains et préservation de canaux de dialogue. Pour autant, cette retenue ne dissipe pas le malaise profond qui continue de miner les relations franco-algériennes. Elle montre au contraire à quel point les héritages du passé restent vivaces, et combien la gestion de cas individuels comme celui de Boualem Sansal peut cristalliser des tensions structurelles, où s'entrelacent mémoire coloniale, sensibilité migratoire, et lutte pour les libertés.