Depuis presque quarante ans, ce comédien à l'accent campagnard authentique, spontané et attrayant, s'est déplacé d'une scène à l'autre, d'une troupe à l'autre, sans jamais se fatiguer, toujours en quête d'une “stabilité artistique” à laquelle il a tant aspiré. Ramadan, il a donné un coup de barre à sa vie artistique en mettant de côté un certain humour un peu frivole (pour amuser la galerie) et en devenant plus “sérieux” et plus engagé, dans des feuilletons télévisés et au cinéma. Néanmoins, tout ce chamboulement a quelque peu troublé le public qui n'arrivait plus à suivre l'itinéraire de son humoriste préféré. Reste que, dans la peau d'un comique ou dans celle d'un personnage à l'étiquette sérieuse, Mohamed Benbrahim a toujours su rester honnête et digne en interprétant -en accomplissant plus exactement- les rôles qu'on lui confie. Il a su, intérieurement et professionnellement, rester lui-même : quelque peu naïf mais travailleur, droit, efficace et altruiste. Ce qui est, de nos jours, assez rare pour un grand nombre de nos artistes. Aujourd'hui, dans le cadre de cette rubrique, nous l'invitons à passer à table. Le domaine théâtral vous a-t-il donné ce que vous attendiez de lui ? Mohamed Benbrahim : Moralement et sentimentalement je n'ai rien à dire ! Mais, pour ce qui est du côté matériel, je n'ai rien à vous cacher. On est tous en train de souffrir en silence tout en s'aggripant toujours à ces planches poussiéreuses que nous aimons de toute notre âme. Etes-vous parmi ceux qui fréquentent souvent les restaurants ? Si non, pour quelle raison ? Vous savez, quand on manque de moyens matériels, il est difficile de fréquenter ce genre de lieux où les repas coûtent les yeux de la tête, comme on dit ! Je fréquente parfois de petites gargottes pour changer un peu, quand l'occasion se présente et dans la limite de mes possibilités matérielles qui ne sont pas fameuses. Qu'auriez-vous fait en premier si vous êtiez millionnaire ? Changer de maison pour avoir plus d'espace afin de faire vivre ma petite famille dans des conditions plus agréables. Prenez-vous des vacances de temps en temps ? Des vacances ? Pourquoi faire ? Déjà, avec cette léthargie artistique que nous vivons, nous sommes constamment en vacances, avec cette petite différence qu'il ne nous manque que de l'argent pour en profiter… Vous passez rarement à la télévision, y a-t-il une raison spéciale à cela ? Ce n'est pas à moi qu'il faut poser cette question. Il y a des gens qui ont la clef de la question et celle de la réponse. Je ne décide pas pour moi-même. Je passe sur le petit écran quand on prend la peine de faire appel à mes services. Et en attendant qu'on le fasse, j'attends… Quand quelqu'un se comporte de manière hypocrite avec vous, quel sentiment éprouvez-vous à ce moment-là ? A la fois de la colère et de la pitié. De la colère parce que je me suis laissé naïvement tromper, et de la pitié pour cette personne qui est descendue trop bas pour récolter un quelconque intérêt. Voulez-vous que vos enfants fassent carrière, eux aussi, dans le monde artistique ? Absolument pas, car je ne tiens pas à ce que mes enfants souffrent comme cela a été le cas pour leur père. Je les conseille dans ce sens, je leur fournis des exemples, je leur montre l'autre face affreuse du domaine artistique, mais je leur laisse tout de même le dernier mot. Qu'avez–vous à nous dire sur l'infidélité conjugale ? C'est abominable ! Et je ne vois pas pourquoi certaines personnes se marient si elles tiennent toujours à s'accrocher à leurs instincts d'adolescents. Ou l'on se marie pour de bon, ou l'on reste célibataire. Il faut choisir. Si quelqu'un qui vous a fait beaucoup de mal par le passé sollicite votre aide (matérielle) aujourd'hui, répondriez-vous sans tarder à son appel de détresse ? Moi, je ne suis pas du genre rancunier. Si on me fait du mal, j'essaie de compenser cet acte malveillant en faisant du bien sans compter. Peut-être que mon comportement ramènerait-il la personne concernée au droit chemin et lui ferait-il regretter son geste. Quand vous êtes déprimé, optez-vous pour le fait de manger tout seul ou bien en compagnie des gens ? Quand je suis déprimé ou énervé, j'aime bien m'isoler pour méditer ou pour manger. Je n'aime pas faire partager mes soucis avec les autres. C'est une affaire qui me concerne. Et même si je mange en compagnie des gens, ils sauront facilement d'après les traits de mon visage et d'après mon silence que je suis inquiet et que quelque chose ne va pas bien chez moi. Autant ne pas les déranger et les laisser tranquilles. Lorsque vous assistez à un accident sur la voie publique et qu'un agent vous demande de témoigner sur les circonstances exactes de l'événement, accepteriez-vous de le faire sans hésiter même si cela risque de vous coûter quelques dérangements ? Si c'est afin de faire éclater la vérité et sauver d'innocentes victimes, je n'hésiterai nullement à le faire. Vous savez, il ne faut pas se dérober à un devoir, à une responsabilité. Et contrairement aux badauds, qui ne cherchent qu'à profiter du « spectacle », et même si cela devait me causer un quelconque dérangement, j'irais jusqu'au bout pour faire triompher la vérité. Au début de votre carrière, vous avez été saboté dans beaucoup de vos tentatives, pour des raisons obscures. Pardonnez-vous aujourd'hui à ceux qui se sont mal comportés avec vous en ce temps-là ? Bien sûr que je leur pardonne de tout mon cœur. Ils avaient leurs propres raisons de se comporter ainsi et moi j'ai mes propres raisons de leur pardonner, de ne pas leur tenir rancune. Enfin ! Si l'on se met à se venger de tous ceux qui nous ont fait de mal, on ne s'en sortira jamais ! Faites-vous confiance facilement à des gens avec qui vous venez de faire connaissance ? Et pourquoi pas ? Il faut leur faire confiance et laisser tout “entre les mains de Dieu”. C'est à Lui de les récompenser ou de les punir selon leurs vraies intentions. D'ailleurs, avec le temps, rien ne se cache plus et tout se dévoile au grand jour. Si vous êtes en train de traverser une période de difficultés matérielles et que l'on vous offre beaucoup d'argent afin de participer à un film dont le scénario n'est pas à votre goût, le feriez-vous ? (Après quelques hésitations). Hum… non ! Au-delà de l'argent, il y a tout de même des principes à respecter et une dignité à sauvegarder. Et comme on dit, on peut vivre sans argent, mais on ne peut vivre sans dignité. C'est ma propre devise dans cette vie. La ou les questions que vous n'aimez pas qu'un de vos admirateurs pose dans la rue… “Imta ghadi n'choufouk fetelfaza ?” (Quand est-ce qu'on va vous voir à la télévision ?), “Ouach kayne chi j'did assi Benbrahim ?” (Est-ce qu'il y a du nouveau M. Benbrahim ?) ou bien “Tfeddal tchrob chi khiwa mâaya !” (Venez prendre un petit café avec moi). Ce sont des questions gênantes. Cela n'empêche pas qu'un admirateur est toujours un admirateur. Il ne vous tient un tel langage que parce qu'au fond il vous aime et admire ce que vous faites. Alors, on doit accepter de telles questions, même si elles ne nous plaisent pas.