Ils se comptent par milliers dans un document particulièrement volumineux. Il s'agit des dysfonctionnements décelés par la Cour des comptes et publiés dans son fameux rapport annuel. Si la situation alarmante de la gestion des collectivités territoriales en général, et des communes en particulier, n'est pas nouvelle, la dernière livraison de la Cour des comptes au titre de l'année 2012 confirme ce constat, et il y a effectivement de quoi s'alarmer, entre absences de procédures, opacité des marchés, non application de la règlementation, les catégories d'«omissions» et d'abus se comptent par centaines, à un tel point que les recenser exhaustivement ne révèle aucun intérêt analytique, du moins pour se faire une vision globale et une lecture structurelle. Néanmoins, quelques dysfonctionnements types sont rapidement décelables dans ledit rapport, revenant de manière récurrente dans les différents rapports des Cours régionales des comptes (CRC) portant sur des dizaines de collectivités territoriales. En 2012, les CRC ont réalisé 95 missions de contrôle de gestion, qui ont concerné cinq provinces, 20 communes urbaines, trois gestions déléguées, 64 communes rurales et deux services publics locaux. L'essentiel des entités contrôlées étant représenté par les communes urbaines et rurales, focalisons-nous d'abord sur cette cible. Ainsi, sur ce registre, un constat saillant ressort du rapport : les communes n'arrivent pas à percevoir une part importante de leurs ressources fiscales et ont encore plus de mal à recouvrer les arriérés des exercices précédents, même si globalement, elles affichent une santé financière stable. Sous-mobilisation et sous-emploi «Dans leur globalité, les collectivités locales sont dans une situation financière leur permettant d'honorer normalement leurs engagements et disposent même d'une large capacité d'endettement et d'un potentiel appréciable de recettes propres les prédisposant à mobiliser davantage de ressources», souligne le rapport produit par l'institution chapeautée par Driss Jettou, mais ce n'est pas vraiment une bonne nouvelle, pas pour le «bon» citoyen en tout cas, car dans cette sous-mobilisation des ressources et leur sous-emploi, c'est in fine le citoyen qui est perdant, ne bénéficiant pas des services publics de base, qui sont théoriquement à la charge des communes, sans parler des dérapages éthiques occasionnés. «Ce sont là des atouts dont les collectivités territoriales pourraient user pour contribuer à plus de bien-être pour les populations et à plus de créations de richesses pour la nation», déplorent d'ailleurs les rédacteurs du fameux rapport. Prenons l'exemple de la commune urbaine de Rabat, qui n'échappe pas à cette problématique de mobilisation des ressources et de leur recouvrement. Les taux des restes à recouvrer atteignent des proportions inquiétantes, que ce soit en pourcentage ou en délais, dont certains risquent inévitablement d'entrer dans le domaine de la prescription. Absence de moyens de pression, l'argument «Les recettes transférées, qui sont marquées par de très importants arriérés (51% du total des restes à recouvrer des recettes de fonctionnement), représentent environ 72% des recettes de fonctionnement de la commune», indique la Cour des comptes à propos de la commune urbaine de Rabat. «Les restes à recouvrer ont atteint 58% du total des recettes de fonctionnement du fait de l'accumulation de cotes d'impôts et de taxes prises en charge pendant les années 2003 et antérieures (représentant 67% des RAR) et d'un modeste effort de recouvrement par la commune. Les restes à recouvrer représentent plus de 34% des montants liquidés aggravés par le non recouvrement des montants des années antérieures à 2004», poursuit l'institution dans le détail. Une situation que vivent, à des degrés différents, l'ensemble des communes sur le territoire national, et dans leurs réponses à la Cour, les présidents de communes se déclarent impuissants face à cette situation, arguant le plus souvent «n'avoir aucun moyen de pression sur les contribuables pour qu'ils s'acquittent de leurs obligations, ou qu'ils régularisent leurs arriérés». Or, à cette impuissance affichée s'ajoutent les dysfonctionnements multiples recensés au niveau des perceptions fiscales, dont certains remettent en cause la fragile confiance des contribuables dans le système fiscal. Les recommandations prioritaires de Jettou Sur un autre registre, cette sous-mobilisation des ressources est doublée de lacunes flagrantes dans l'exécution des projets d'investissement entrepris par les communes. «Si les prévisions de recettes et de dépenses de fonctionnement se réalisent à un niveau relativement acceptable, il n'en est pas de même de l'investissement, dont le taux d'exécution est très en deçà des objectifs», dénonce la Cour des comptes.. Pour tenter de remédier à cette situation contre-productive, l'institution de Jettou émet une série de recommandations, dont la mise en œuvre se fait urgente. L'accroissement et l'amélioration des capacités managériales et organisationnelles des collectivités territoriales pour la préparation, le pilotage et le suivi de leurs projets d'équipements, une meilleure appréhension de l'assiette imposable et la modernisation des procédures d'émission et de recouvrement des taxes locales gérées directement par les collectivités, sont notamment préconisés. «Aussi, importe-il de relever les niveaux de qualification requis des responsables locaux des services techniques et administratifs, ainsi que leur statut et les modalités de leur intéressement et de leur motivation, qui devront être axés dorénavant sur les résultats et les performances», préconise la Cour des comptes, mettant ainsi le doigt sur la délicate problématique des RH. Toutefois, pour Jettou, il est prioritaire «d'adopter un modèle de programmation pluriannuelle des plans d'actions des collectivités territoriales et d'améliorer la lisibilité des états comptables, en s'inspirant des meilleurs standards et pratiques en la matière». Les perles des communes Les missions de contrôle des Cours régionales des comptes (CRC) débouchent sur des rapports listant les dysfonctionnements des entités contrôlées et les recommandations y afférentes. Les différents rapports, qui sont rassemblés dans le rapport annuel de la Cour des comptes sont ensuite envoyés aux concernés. Ces derniers après avoir pris connaissance des résultats des contrôles des CRC leur envoient leurs réponses, point par point, qui sont également inclues dans le rapport. Les «justifications» des responsables sont souvent argumentées, mais les perles ne manquent pas, relevant d'un humour dramatique, puisque les situations sur le terrain ne prêtent pas au rire. Voici une petite sélection, parmi tant d'autres, de ces perles : «Cette observation relève de la compétence de l'ex-conseil communal» «Cette observation interpelle le conseil précédent» «Une fonctionnaire a démissionné, trois ont demandé leurs mutations et les sept restants sont mis à la disposition de la province, le cercle et le caïdat. Des lettres leurs ont été adressées afin de regagner la commune» «Le service technique agira dès maintenant pour faire respecter les termes du contrat» «Le conseil communal fait des efforts pour remédier à cette situation» «Le plan du lotissement a été établi avant le plan d'aménagement et le plan du lotissement a vu une série de modifications et de remaniements présentés par la société» «La commune n'a pas entrepris de percevoir la redevance des débits de boissons vu qu'ils n'ont pas de licence pour l'exercice de l'activité». Taxes illégales ! Alors que l'essentiel des communes font face aux difficultés de mobilisation et de recouvrement des ressources fiscales, d'autres enfreignent les lois et règlements en vigueur en «inventant» de nouvelles taxes auxquelles peuvent être soumis leurs contribuables. C'est l'une des aberrations cocasses que révèle le dernier rapport de la Cour des comptes. Les experts de la Cour parlent en l'occurrence de «recouvrement des recettes sans bases légales». C'est notamment le cas de la commune urbaine de Kénitra, où la CRC de Rabat a recensé 5 cas de recettes «illégalement» perçues. Ces cas concernent l'occupation temporaire du domaine public, la vente d'imprimés ou encore la gestion d'espaces publicitaires.