«Le délégué médical, de façon exclusive et en dehors de toute activité commerciale, présente les spécialités pharmaceutiques afin d'en assurer la promotion dans le respect des orientations de l'entreprise, et d'en permettre la connaissance par les membres du corps médical ainsi qu'une utilisation conforme au bon usage», stipule le premier article de la charte médicale en France. Au Maroc, en l'absence de contrôle, la promotion médicale a changé depuis les années 1980 où la relation entre le délégué médical et le médecin était scientifique. Les laboratoires envoyaient leurs visiteurs médicaux pour informer les médecins sur tous les aspects pharmaco-thérapeutiques relatifs au médicament. Ces visiteurs médicaux étaient formés sur le produit, à l'incitation à la prescription médicale et aux techniques commerciales. Puis, tout a changé à partir des années 1990, lorsque les laboratoires ont décidé d'externaliser cette fonction. «Aujourd'hui, ce langage est devenu purement commercial, à telle enseigne que nos délégués se sont transformés en véritables représentants commerciaux ou même agents de voyage pour certains médecins», affirme un industriel pharmaceutique. Selon ce dernier, certains laboratoires qui ont réussi à bien pénétrer le marché, «ont dû passer des contrats commerciaux avec certains médecins». Surenchère Aujourd'hui, il y a une surenchère entre certains laboratoires locaux et internationaux. «Si je suis gentil avec certains médecins, mon chiffre d'affaires augmente, sinon il baisse. En fait, mon chiffre d'affaires est au bout du stylo de ces praticiens», affirme un autre industriel. Selon ce dernier, des médecins ont même développé des mécanismes ingénieux leur permettant de soutirer des avantages à des laboratoires. Il s'agit de certaines associations de médecins qui se créent maintenant au niveau des quartiers. «Pour la même pathologie, il y a plusieurs associations, nationales, régionales, du sud, du nord et même de quartier. Et si on ne participe pas à leurs séminaires, nos produits ne sont pas prescrits», affirme un dirigeant de laboratoire. Cette participation se manifeste par la réservation de stands durant ces séminaires, stands qui coûtent entre 20.000 et 100.000 DH. Autrement dit, il faut acheter l'espace. «À Casablanca, il y a même une association de quartier qui négocie des contrats de prescription exclusifs pour une durée déterminée», affirme un délégué médical. Bien évidemment, plus la molécule est chère, plus la demande d'avantages (billet d'avions, aménagement du cabinet, ordinateurs, prise en charge à l'étranger...) est conséquente. Cette pratique concerne aussi bien le secteur privé que le secteur public. À noter à ce niveau que pour bien lancer un médicament sur le marché, il faut entre 1 et 2 millions de DH de marketing. Lorsque le produit est mature, sa promotion peut coûter jusqu'à 25% de son chiffre d'affaires, sans compter la force de vente qui en coûte 12%. Quant à la «promotion» auprès de certains médecins, appelée «action» dans le jargon des laboratoires et de leurs délégués, elle peut coûter jusqu'à 6 millions de DH, un chiffre qu'il faut bien évidemment justifier auprès du fisc. S'agissant de la justification, elle peut prendre la forme d'artifices de faux frais de restaurant... Cependant, certaines multinationales sont, en quelque sorte, perdantes dans cette surenchère et guerre promotionnelle, car elle doivent tout justifier à leur maison mère. En effet, en Europe et notamment en France, les laboratoires ne peuvent plus s'adonner à ce genre de pratique, suite à l'adoption d'une charte éthique et un contrôle rigoureux. À titre d'exemple en France, le médecin est obligé d'envoyer ses ordonnances à la caisse de sécurité. Il doit aussi expliquer son choix de protocole thérapeutique (prescription d'un médicament au lieu d'un autre). Bien sûr, il y a des sanctions lorsque le praticien ne respecte pas l'éthique et la déontologie. Ceci sans oublier qu'en Hexagone, il est interdit de délivrer des échantillons au médecin. Il faut que ce dernier en fasse la demande écrite pour en avoir en nombre limité. Au Maroc, c'est tout autre chose : les médecins sont gavés d'échantillons. Ce ne sont pas tous les laboratoires qui ne respectent pas la procédure de publicité exigée par la loi avant de mettre un médicament sur le marché. Enfin, il faut souligner qu'il n' y a pas que les médecins (et pas tous, heureusement) qui s'adonnent à ces pratiques, certains pharmaciens sont aussi dans le circuit. La cherté des consultations combinée à la faiblesse du pouvoir d'achat des Marocains ont fait que les pharmaciens sont les premiers prescripteurs de médicaments.