Ils sont étudiants, cadres, travailleurs dans les champs ou ouvriers dans la construction et tous ont, au moins une fois durant leur séjour sur le sol d'Espagne, été victimes d'actes racistes. Leur crime ? Porter leur identité dans la peau. «J'ai vécu durant six ans en Espagne en tant qu'étudiant en marketing et gestion des entreprises. Je vivais la discrimination au quotidien, dans le regard des gens, mais aussi à travers leur faits et gestes qui dénotaient les préjugés qu'ils nous portaient, à nous les Marocains», nous raconte Driss, 33 ans un ex-étudiant marocain en Espagne, aujourd'hui installé au Maroc. Driss a appris à cohabiter avec les regards effrayés des petites vieilles croisées dans les ruelles et les usagères du métro préférant rester debout pour ne pas occuper le siège libre à ses côtés «J'ai appris à avaler ma colère et à cohabiter avec ces faits, au point que cela me paraissait normal. Mais quand je suis parti vivre aux Etats-Unis, personne ne me regardait de travers. J'ai compris, alors, que les Espagnols avaient une dent contre les Marocains», ajoute ce jeune Casablancais qui ne garde que de mauvais souvenirs de son séjour en Espagne. Son teint brun et ses cheveux frisés faisaient fuir les serveurs dans les cafés. «Une fois, j'étais avec mon père dans un café à Barcelone, le serveur ne s'est même pas présenté malgré mes incessants signes. Je suis sorti en parler à un policier. Sur un ton hautain, l'agent m'a fait comprendre que je n'avais qu'à changer de café si je n'étais pas satisfait du service», retrace Driss. Rentré au Maroc, il jure ses grands dieux qu'il ne remettra plus jamais les pieds en Espagne. C'est pour éviter ces accusations gratuites et ces regards incriminants que Hicham, 33 ans, cadre en informatique dans une multinationale basée en Espagne, évite de décliner sa nationalité à ses interlocuteurs, quoique son accent et ses traits le trahissent. Coupable jusqu'à preuve du contraire «Lors de mes premières années en Espagne, je niais le fait d'être Marocain pour éviter les a priori. Les étudiants de ma faculté me demandaient souvent, sur un ton sérieux, si j'avais débarqué en Espagne à bord d'une patera», raconte non sans un brin d'humour Hicham. Il garde en mémoire une foule d'incidents liés à la discrimination dont il a été victime depuis qu'il a foulé le sol espagnol. «Je venais de quitter un centre commercial en compagnie d'un ami. À peine étais-je assis sur un banc que deux policiers en civil se sont présentés : Ils voulaient vérifier le contenu du sachet estampillé aux couleurs d'une galerie marchande de grande notoriété. Quand ils ont vu qu'il s'agissait d'une casquette, ils ont demandé le ticket de la caisse. Fou furieux, j'ai refusé, vu qu'on ne peut avoir un sachet du magasin sans passer par la caisse. Mon ami, habitué à ces pratiques de la part de la police espagnole, m'a calmé et a brandi le ticket d'achat. Je venais à peine d'arriver en Espagne», raconte Hicham qui préfère ne pas s'attarder sur les suites qu'auraient eu cet incident si son compagnon avait jeté le ticket. Toutefois, au fil des années, les Marocains ont converti ces incidents en anecdotes racontées entre copains. Mais ces histoires n'ont pas toutes une fin sans suite . Kamal, 31ans, garde vifs dans sa mémoire, les souvenirs poignants de cette nuit d'été de 2003. En attendant la justice Il était en compagnie de ses amis sur une place publique quand une touriste finlandaise le prend au collet et l'accuse de vol. «Je n'ai pas hésité un seul instant à appeler la police», se remémore Kamal. Une fois que la police a débarqué, Kamal et la touriste ont été conduits au commissariat. «Une fois au poste, je découvre que la touriste, qui était sous l'emprise de l'alcool, m'accuse de lui avoir dérobé des objets de valeur dans un bistrot où nous avions fait connaissance, selon ses dires», ajoute t-il. Conduit dans une cellule, ses amis espagnols ont protesté contre cette détention arbitraire, mais le policier les a mis à la porte. Quand Kamal a exprimé son indignation face à cette arrestation, un agent lui rétorque qu'il devrait s'estimer heureux car au moins en Espagne, les détenus ne se font pas tabassés contrairement à ce qui se passe dans les commissariats du Maroc. A 6h du matin, un agent s'est présenté devant sa cellule avec une photo à sa main, fournie par l'accusatrice. «Il scrutait la photo puis me regardait. Le gardien des cellules tapait de son gourdin sur les barres en fer dans une démonstration de force méprisante pour que je me mette à table», continue la voix nouée. «L'agent me disait que si je n'admettais pas mon forfait, il se chargerait lui-même de mon extradition». Même le droit à un appel téléphonique lui a été refusé. «Quand je l'ai réclamé pour contacter mon supérieur afin de justifier mon absence, le policier m'a fait signifier que c'était lui qui s'en chargerait», poursuit Kamal. Après avoir déposé sa déclaration, on lui montre la photo du présumé voleur. Aucune ressemblance entre les deux hommes, sauf la couleur de la peau. Libéré, Kamal l'a été de la détention, mais pas de la crainte. Celle de tomber sous le coup des préjugés, encore une fois. «Quand je suis rentré chez moi, j'ai ressenti l'impuissance, la rage et la haine. Moi qui suis instruit et qui connais mes droits et obligations, qui suis bardé de diplômes de l'université espagnole, je me suis retrouvé dans une situation où mon intégrité était en jeu. Et j'ai pensé à ces milliers de travailleurs illettrés marocains sur lesquels l'injustice s'abat à la moindre suspicion», conclut-il. Si l'affaire de Kamal est un lointain souvenir, d'autres attendent un verdict où les accusés cette fois-ci sont des policiers. C'est le cas de Ali, 34 ans, victime des exactions de la police espagnole. Les agents l'ont malmené et insulté suite à un incident avec un établissement de loisirs qui lui refusait l'accès suite à une altercation verbale. «L'un des quatre policiers m'a giflé en me disant qu'il détestait tous les «Moros» et que je ferais mieux de rentrer dans mon pays». Les policiers ont accusé Ali d'atteinte à l'ordre public. Une accusation dont il a été blanchi par le juge. Ali a engagé une poursuite contre ses agresseurs. Il espère que la justice lui restituera sa dignité bafouée. La crise comme alibi Certains, pour justifier cette montée de ségrégation raciale qui sévit en Espagne brandissent la carte de la crise économique. Or, les temps de vaches maigres que traverse notre voisin ne sont qu'un alibi pour donner libre cours à cette haine raciale. Depuis toujours, les études ont montré du doigt le comportement peu tolérant de la société espagnole. Depuis que l'Espagne est devenue une terre d'accueil, un fait très récent, vu que la péninsule ibérique était longtemps un pays émetteur d'émigrés vers le reste de l'Europe, les conflits se sont vite manifestés entre la population autochtone et les nouveaux arrivants. Les sondages menés avant l'époque des 4 millions de sans-emploi montrait que l'immigration trônait toujours en tête des préoccupations des Espagnols. De fait, l'intolérance a toujours existé sur le sol ibérique. Selon le dernier rapport de l'ONG espagnole «Mouvement contre l'Intolérance», le pourcentage des Espagnols considérant que les lois sur l'immigration sont très tolérantes a augmenté de 18 points en l'espace de cinq ans seulement. La gent masculine est la première victime du fanatisme racial. L'étude révèle que 42% des sondés pensent que leurs concitoyens devraient avoir la priorité d'accès aux établissements hospitaliers et sanitaires tout en sachant que les immigrés payent les mêmes cotisations que les nationaux. Mais aux yeux des Espagnols, les immigrés sont des citoyens de second degré. À l'heure de l'embauche, 60% des Espagnols pensent qu'il est tout à fait convenable d'accorder une préférence aux nationaux au détriment des immigrés. Le seul mérite de la récession économique c'est qu'elle a pu mettre à nu l'hypocrisie de la société, laquelle légitime son ressentiment vis-à-vis des immigrés, surtout les Marocains, considérés comme les plus rebelles et les moins intégrés.