Faut-il réaménager la politique de change en profondeur? Loin de s'apparenter à un simple exercice de réflexion académique, la question est plus que jamais d'actualité. Pour les opérateurs, il n'y a même plus propos à s'interroger. Côté officiels, l'on pense tout autant qu'il y a lieu d'introduire du changement même si on ne l'avance encore qu'à demi-mot. Mais déjà pourquoi parler de réaménagement du régime de change ? L'objectif justifiant cette démarche serait de prime abord d'ajuster le taux de change du dirham. Celui-ci, pense-t-on, est aujourd'hui surévalué. Pour sûr, la parité entre le dirham et les monnaies des principaux partenaires commerciaux du Maroc (euro, dollar, livre sterling...) laisse bien apparaître une dépréciation tendancielle des monnaies étrangères vis-à-vis du dirham (voir graphe). Et il est difficile de se prononcer sur la tendance future, particulièrement dans le contexte actuel de «guerre des monnaies» relaté dans la presse internationale. Le taux de changes du Maroc surévalué Quoi qu'il en soit, cela nuit à la compétitivité des exportateurs nationaux, ce que confirme d'ailleurs même le Fonds monétaire international (FMI) qui avance dans son rapport, Questions choisies, publié fin 2008, l'idée que le taux de change du Maroc est surévalué en ce qui concerne la compétitivité dans le secteur de l'échange de biens. Cela est d'autant plus pénalisant que les concurrents des exportateurs marocains sont dans des zones où le dollar reste prédominant. Le billet vert s'est en effet beaucoup déprécié par rapport à l'euro sur les derniers mois (laquelle monnaie unique entre pour rappel à 80% dans la détermination de la valeur du dirham). Facteur aggravant, «tous les pays ayant une stratégie d'appui à l'exportation maintiennent un taux de change sous-évalué par rapport au dollar», pensent les membres du cercle d'analyse économique de la Fondation Abderrahim Bouabid dans leur rapport sur la stratégie de développement économique publié cet été. Le rapport cite à ce titre la Tunisie, qui n'a pas hésité à laisser sa devise se déprécier de manière glissante contre l'euro au moment où la monnaie européenne atteignait des sommets. Partant, l'idée explorée est de marcher sur les pas de ces pays et de dévaluer le dirham afin d'augmenter les parts de marché des exportateurs ou, au moins, de sauvegarder celles déjà acquises. Néanmoins, cette démarche aurait un prix et il paraît même lourd. D'abord, les importations s'en trouveraient mécaniquement renchéries. Et pour ainsi dire, le timing est mal choisi pour s'exposer à un tel risque. En effet, «au moment où de grands chantiers sont lancés, un renchérissement du prix des biens d'équipement, ou des intrants industriels importés serait des plus malvenus», argumente un économiste. Qui plus est, un ajustement du taux de change pourrait avoir des conséquences sociales négatives puisqu'il passerait par un renchérissement du coût de certains biens de première nécessité importés. En outre, «en dévaluant sa monnaie, le Maroc s'inscrirait en contradiction avec son attitude assumée de démanteler les droits de douane, puisque la dévaluation revient au final à remettre des barrières aux échanges extérieurs», pense un haut fonctionnaire ministériel. Autre point noir du scénario de dévaluation, la dette extérieure. Un contre-argument affaibli Il va de soi qu'une dépréciation de la valeur du dirham rehausserait de facto le service de la dette. Signalons toutefois que ce contre-argument pèse relativement moins que par le passé, du fait d'une diminution tendancielle en valeur des remboursements d'emprunts internationaux opérés par le Maroc. La dévaluation est même présentée comme l'option à éviter à tout prix par certains. «Elle introduit une amélioration artificielle de la compétitivité et de la productivité pour les exportateurs», résume un expert. Selon lui, elle serait même de nature à réduire la compétitivité des exportateurs à terme. En effet, en contexte de dévaluation, les importations coûteraient plus cher aux entreprises, ce qui introduirait de l'inflation importée. S'ensuivrait une hausse du niveau de vie et une révision à la hausse des salaires en conséquence, ce qui viendrait in fine entamer la compétitivité des entreprises exportatrices. En somme, cela fait beaucoup de désavantages pour la dévaluation d'autant plus que cette mesure, dont les effets ne dépassent pas d'ailleurs le court terme, ne paraît plus aussi vitale qu'il y a quelques mois. En effet, les prémices d'une reprise mondiale qui profitent déjà aux exportations nationales (26,8% de hausse à fin octobre 2010) sont venues se substituer au coup de fouet espéré d'une éventuelle dévaluation. La cotation du dirham sur les marchés internationaux pas pour demain Une autre piste explorée et qui recueille nettement plus d'avis positifs préconise de mettre en place un régime de change flexible. Plus de souplesse Cette option trouve bien plus d'échos favorables auprès des officiels. D'ailleurs, avant l'installation de l'actuel gouvernement, le projet était de basculer vers ce régime en 2009. «Bien sûr, il ne s'agit pas dans l'immédiat de passer à un régime de flottement pur du dirham, qui supposerait que la monnaie nationale soit totalement cotable sur les marchés internationaux et que ce soit ces derniers qui en déterminent la valeur», relativise une source ministérielle. En fait, il s'agirait plus d'introduire davantage de souplesse dans le régime de change sachant que le change flexible se décline sur plusieurs degrés laissés à l'appréciation des pays. Pourquoi le régime de change flexible plutôt que la dévaluation ? D'abord parce que le premier s'inscrit comme une mesure à long terme. Certes, il demeure qu'on n'a pas réellement idée de l'impact immédiat d'un basculement au régime de change flexible. En effet, «il est difficile de prédire, dans la situation actuelle, si un régime de change plus souple amplifierait l'appréciation ou la dépréciation du dirham», rappelle un opérateur. Ce que confirme d'ailleurs la Banque mondiale dans son rapport publié fin 2007 sur les conditions propices à une croissance plus rapide et équitable. Mais ce n'est pas plus mal, puisque les bienfaits d'un régime de change flexible sont indépendants du taux de change. En effet, le chemin qui mène au basculement vers un régime de change flexible passe par la libéralisation du compte capital (voir article ci-dessous), une mesure dont les bienfaits seraient multiples pour l'économie marocaine. En effet, «le fait que le compte capital ait été limité par des restrictions de change jusqu'à présent a provoqué une réallocation des ressources des activités exposées à la concurrence, vers des activités plutôt protégées», avance un spécialiste des marchés financiers. C'est ce qui explique, selon lui, que le poids de l'industrie dans l'économie stagne depuis plus d'une décennie, que sa contribution à l'emploi régresse et que la part des entreprises qui exportent s'amenuise. En regard, le prix des actifs a explosé, puisque ceux-ci ont capté l'essentiel de l'épargne nationale. Dans l'hypothèse d'une libéralisation totale du compte capital, l'investissement dans des actifs à l'étranger s'en trouverait favorisé, ce qui soulagerait la pression sur les actifs locaux qui en deviendraient moins rémunérateurs. «Et cela aurait in fine pour effet de réorienter les capitaux nationaux vers des activités à plus forte valeur ajoutée dont notamment l'industrie», pense-t-on. Néanmoins, il faut rappeler qu'une politique de change aussi volontariste soit-elle ne peut propulser à elle seule le Maroc sur la voie de l'industrialisation et de la croissance. Car la compétitivité du Maroc dépend, bien entendu, d'autres paramètres ayant trait à la productivité, à l'environnement des affaires, à la fiscalité ou encore à la capacité d'innovation.