Nous sommes au rond-point de Treichville, le centre d'affaires d'Abidjan, l'équivalent de l'ancienne médina de Casablanca. L'endroit est parsemé d'échoppes et de magasins, et grouille de monde en ce samedi après-midi. Parmi les tenanciers de ces magasins qui animent la zone, des Marocains, qui ont pignon sur rue aux principaux axes desservant le rond-point. Il faut dire que les Marocains étaient encore plus nombreux ici il y a quelques années. En 2000, lors de l'éclatement de la crise ivoirienne et avec le début de l'instabilité politique qui s'est emparée du pays, ce haut lieu de négoce ne fut pas épargné par les pillages, vols et autres exactions du même genre. Des moments très durs pour la communauté marocaine commerçante d'Abidjan. Par la suite, certains ont pris la lourde décision de retourner au Maroc, avec leur famille, laissant tout derrière eux. D'autres, par contre, sont restés, «peu importait la situation». Ces derniers ne sont maintenant qu'un petit millier au marché de Treichville, dont nous avons voulu revisiter le vécu de la crise politico-militaire. Notre première approche se fit dans un grand magasin de jouets, géré par une jeune Marocaine trouvée sur place. Partager le même destin Elle se nomme Khadija et vit depuis 13 ans en Côte-d'Ivoire, après avoir décidé de rejoindre son mari, Abdellatif qui, lui, s'était installé à Abidjan il y a 25 ans de cela. En vrai chasseur de bénéfices, le couple ne voulut pas nous accorder un entretien, de peur de «rater des clients» en cette veille de fête de Noël, pendant laquelle les jouets sont très prisés. Abdellatif se contenta de nous résumer, en un français très «ivoirien», qu'il n'a pas voulu partir «parce que j'ai toute ma vie ici». Une opinion qui ressemble beaucoup à d'autres, comme celle exprimée par Karim, un autre vendeur de la «rue 12» de Treichville. La soixantaine, Karim est originaire de la ville de Fès et gère une échoppe chargée, du haut en bas, de djellabas, babouches et autres types de vêtements marocains et subsahariens, confectionnés sur place. En comparaison au premier couple de commerçants, il fut beaucoup plus généreux en paroles, dans un accent tout aussi typiquement ivoirien. «Je suis venu ici depuis 1982, après l'obtention de mon baccalauréat», se rappelle-t-il. À l'éclatement des hostilités entre forces gouvernementales et rebelles, Karim fait partie de ceux qui ont choisi de rester, pour partager «le même destin que les Ivoiriens». Ce père de deux enfants avait pourtant failli perdre son magasin. En effet, ceux de ses voisins, situés à quelques encablures de là, ont été pillés lors des émeutes. «Mais grâce à Dieu, des soldats de l'armée sont venus pour protéger nos boutiques et sont restés pendant trois jours à monter la garde», nous confie-t-il. Et d'ajouter «quand on a fait des dizaines d'années ici, ce n'est pas facile de tout laisser tomber pour retourner au pays. D'autant plus que l'on ne sait pas si la situation que nous trouverons là bas nous permettra de vivre aisément. Je suis alors resté comme d'autres, des Libanais et des Sénégalais, l'ont fait, pour les mêmes raisons». Karim s'en est donc remis à la providence divine, et tient à nous rassurer: «Maintenant tout va bien, la stabilité est revenue pour l'instant et nous espérons que ça va durer une fois que les élections auront eu lieu». Reportées au mois de mars 2010, les élections présidentielles ivoiriennes sont vues comme l'issue à la crise que vit le pays.